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Entretien avec
Robert de Laroche


Robert de Laroche

Le hasard réserve parfois d’agréables surprises. Comme celle que nous avons eu lorsque Robert de Laroche – acteur dans le film Les Week-Ends Maléfiques du Comte Zaroff sous le pseudonyme de Robert Icart – nous a contacté, tout étonné de trouver une critique du film sur web. Evidemment, nous ne pouvions pas décemment laisser passer l’occasion de lui poser quelques questions complémentaires, afin d’en savoir un peu plus sur le film et ses protagonistes, son réalisateur Michel Lemoine en tête. Il nous a répondu avec une grande amabilité et une franchise des plus appréciables. Nous le remercions donc sincèrement pour les réponses instructives qu’il nous a gentiment données.

Interview menée en février 2007 par La Team Nanarland.


Pouvez-vous nous dire comment vous avez commencé à travailler dans le cinéma et plus précisément avec Michel Lemoine ?

Très cinéphile depuis l’âge de douze ans, et fan de films fantastiques, j’ai voulu être réalisateur depuis l’adolescence. J’ai réalisé deux courts-métrages, dont une histoire de vampires, puis je me suis retrouvé journaliste de spectacle dans un grand hebdo féminin, Elle. C’est à l’occasion d’un numéro d’été spécial cinéma que je suis allé interviewer Janine Reynaud, alors mariée à Michel Lemoine ; pour le journal, l’idée d’un mari dénudant sa femme à l’écran les intriguait. Janine et Michel m’ont accueilli avec beaucoup de gentillesse. Moi, j’étais fasciné. Rencontrer le Monstre aux yeux verts et l’héroïne de Nécronomicon, pour un cinéphile de 23 ans, c’était génial !



Deux mois après, Lemoine m’a invité à la projection de presse des Confidences érotiques d’un lit trop accueillant. Entre temps, je m’étais laissé pousser les cheveux et la moustache, et il ne m’a pas reconnu. Pire ! Il m’a pris pour un comédien que devait lui envoyer une amie. Le lendemain, coup de fil, excuses, nous nous voyons, et il me propose un rôle dans ce qui s’appelait alors L’Étreinte cordiale. Je lui dis que je préfèrerais être assistant réalisateur, il me prend donc comme stagiaire, mais pour que je sois payé, je signe donc un contrat pour un rôle de comédie, qui disparaît un peu plus tard du planning, car trop cher à réaliser (il fallait un carosse !). C’est comme ça que j’hérite du personnage du faux étudiant anglais et que je me retrouve à poil en compagnie de l’adorable Nathalie Zeiger ! Je vous laisse imaginer la tête de Daisy de Galard (alors rédactrice en chef de Elle) quand elle a su les conséquences de la fameuse interview !



Michel Lemoine pensait déjà à Zaroff quand Les petites saintes y touchent étaient en préparation. Connaissant ma passion du fantastique, il m’a proposé aussitôt d’être deuxième assistant… et « jeune premier », bien malgré moi, pour les mêmes raisons financières, et aussi je crois parce qu’il éprouvait une certaine tendresse pour le couple un peu surréaliste que nous formions dans les Petites saintes, Nathalie et moi.

Des souvenirs de Michel Lemoine et de sa méthode de travail ?

Autant le tournage des Petites saintes (à Londres et dans divers lieux, Paris et province) s’est déroulé tout seul, autant celui de Zaroff a été hallucinant. Ça tient avant tout au fait que nous l’avons bouclé en moins de trois semaines, avec beaucoup d’extérieurs (c’est le château d’Us, près de Pontoise, que l’on voit), et que créer une atmosphère de mystère et de poésie quand tout le monde hurle est mission impossible ! En plus, Michel était des deux côtés de la caméra, ce qui était très lourd. Pour tout arranger, les dialogues étaient réécrits le soir pour le lendemain, les engueulades avec divers membres de l’équipe s’enchaînaient, j’étais chargé de rabibocher les uns et les autres, et l’atmosphère était à couper au couteau.


Comme pas mal d’acteurs passés à la réalisation, Lemoine est quelqu’un qui aime bien montrer lui-même les plans qu’on va tourner. Il aime beaucoup ses acteurs, et encore plus ses actrices : il y a chez lui une vraie jouissance à les montrer en beauté. Dans Zaroff, il suffit de regarder Martine Azencot, qui n’a jamais été aussi belle, pour voir ce que je veux dire. Il faut dire que le chef opérateur était tout à sa dévotion !

Martine Azencot, également vue chez Jean-Marie Pallardy (Règlements de femmes à O.Q. Corral, L'arrière-train sifflera trois fois) et José Bénazéraf (Les Lesbiennes, Voir Malte et mourir).

Avez-vous quelques anecdotes sur « Les Petites saintes y touchent » et « Les Week-ends maléfiques du Comte Zaroff » ?

À l’époque des Petites saintes, j’étais encore un jeune homme pudique. Pour la fameuse scène de lit, je rentrais de vacances et j’étais très bronzé. Lemoine, en voyant mes fesses blanches, m’a expédié faire un tour au maquillage. Odette Berroyer, la maquilleuse de BB, voyant mon air très gêné, m’a fait un grand sourire en me disant : « T’inquiète pas, mon grand, j’ai fait ça des tas de fois pour Brigitte. » J’ai trouvé la comparaison tellement cocasse (et valorisante pour mon postérieur, quand même !) qu’un moment après, nu avec Nathalie devant vingt-cinq personnes, je n’y pensais même plus et trouvais les choses naturelles. Ce que j’ai trouvé le plus drôle ? Voir le clapman venir faire son clap au ras de mon zizi. Pour la petite histoire, Les Petites saintes ont été le dernier soft français (il est même sorti à l’étranger avec des inserts), il ne fallait rien montrer, et Nathalie et moi avons été contraints à une gymnastique peu confortable pour ne pas effaroucher la censure. Je vous laisse imaginer le travail de Bob Wade, le monteur…


Dans Zaroff, je garde le souvenir, malgré le stress, de fous rires homériques. Le chien danois qu’Howard Vernon lâche sur Martine Azencot était en fait le chien de Martine. Tourner la scène où il la poursuit le long des couloirs et finit par la précipiter par la fenêtre a été un moment épique. Première prise : Martine part en hurlant « Non, Igmar, non ! » et le chien reste planté sur son derrière, l’air effaré. Deuxième prise idem. Finalement, comme on tournait en son-témoin, Martine a trouvé la solution : avec une voix toute mignonne, elle s’est mise, en courant, à psalmodier : « Viens Igmar, viens mon bébé, viens jouer avec maman ». Et ça a marché tout seul ! Mais je vous laisse imaginer la rigolade sur le plateau…


Autre grand moment : quand Howard nous laisse sur le « lit d’amour » et que les pointes de fer nous transpercent. La scène a été tournée dans une étable, à Marines. À côté de l’instrument de torture, il y avait une longue et vaste mangeoire dans laquelle Janine Reynaud et un des assistants étaient couchés, munis de poires reliées à des tuyaux de caoutchouc répartis entre Nathalie et moi. Le tournage a duré une après-midi entière. J’étais couché sur une plaque de cuivre, attaché pour de bon par les poignets et les chevilles, et il faisait très chaud ; Nathalie avait beau être légère, j’avais mal partout. Et, accessoirement, j’étais le seul à savoir que ce que nous allions prendre dessus n’était pas de l’hémoglobine, mais quinze litres de sang de bœuf ramenés d’un abattoir…


La tension montait au fil des heures. Michel en avait après moi parce que j’essayais de lui dire qu’au moment de mourir, je n’aurais pas débité des dialogues si ampoulés. Puis on a commencé à tourner les plans avec le sang. Au bout d’un certain nombre de prises, les poires se sont vidées. Et moi, crevé de fatigue, j’ai commencé à piquer un fou rire silencieux en entendant le bruit infâme que faisaient les tuyaux entre Nathalie et moi. Nathalie, me sentant rire alors que la caméra tournait, en a fait autant ; on a foiré plusieurs prises tellement on riait, je n’arrivais même pas à expliquer que ces foutues poires étaient vides, et je sanglotais en entendant le fameux bruit. J’ai cru que Lemoine allait m’étrangler. Ce qui fait que les larmes qu’on voit dans mes yeux ne sont pas la conséquence de l’épouvante, mais bien d’une crise de fou rire mortelle ! Conclusion, quand on m’a détaché, toujours hilare et pleurant, puant le cuivre, le sang et la transpiration, je ne savais plus où j’étais. Je me suis laissé déshabiller et laver, et ramener à l’hôtel. Difficile d’oublier ce moment du tournage !


Un scoop : pour le rôle d’Anne, tenu (très bien à mon avis) par Joëlle Cœur (une fille très attachante et désespérée), j’avais recommandé à Lemoine et à son directeur de production une inconnue dont je venais de voir un film en projection de presse. Le film, c’était Emmanuelle, l’actrice, Sylvia Kristel. Je leur ai dit qu’elle ne payait pas de mine au naturel, mais que ce serait une star dans les semaines qui allaient suivre. Ils l’ont convoquée, et l’ont jugée insignifiante. J’ai insisté. Ils ont dit non. Ils le regrettent encore ! En 1974, on aurait vendu n’importe quoi sur le nom de Sylvia Kristel…

Quels souvenirs gardez-vous de votre rencontre avec Howard Vernon ?

La rencontre avec Howard Vernon a été le point de départ d'une longue amitié. À l'époque (1974), il était très désenchanté, prenant les tournages surtout à l'étranger comme des alibis de voyages lui permettant de mener une vie agréable. Je l'ai souvent interviewé sur son travail d'avant le fantastique, et il aimait beaucoup en parler.

Howard Vernon.

Il y avait malgré tout un regret caché de cette époque où il était une vedette du cinéma français. Mais Howard était un marginal, désireux de ne pas se laisser enfermer dans un carcan. Franco et d'autres lui ont permis de mettre au jour ce personnage étrange, lunaire, inquiétant, cette douceur somnambulique qu'il avait aussi dans la vie. Nous avons beaucoup ri pendant le tournage, c'était très dur de garder son sérieux quand il était dos à la caméra ! Par la suite, quand Biette, Vecchiali, Huillet, Borowczyk, Guiguet et d'autres ont fait appel à lui, il a retrouvé le goût du cinéma, tout en faisant semblant de ne pas y attacher d'importance. C'était un personnage très complexe, à la fois sombre, solitaire, malheureux, et en même temps sociable, drôle, d'une grande curiosité. Un excellent photographe: j'avais écrit pour lui le texte d'un album de photos de travail du danseur Michaël Denard, et qui n'est jamais sorti. J'adorais aller dîner avec Howard. On ne s'ennuyait pas une seconde avec lui !



Des souvenirs de vos prestations d'acteur ?

Pour être franc, je ne me suis jamais considéré comme un acteur. Ce qui me plaisait, c’était d’approcher l’univers du cinéma, parce que je rêvais d’être réalisateur. J’ai eu la chance de voir travailler Melville, Bresson, Chabrol et d’autres, ça me fascinait. Je retenais tout ce que je voyais. Mais en tant qu’acteur, dans les deux films qui nous intéressent, je souffrais de ne pas être vraiment dirigé, avec la conscience d’être mauvais comme un cochon. Quoique pour les Petites saintes, j’étais moi-même, et cette spontanéité passait, me semble-t-il. On voyait que je m’amusais. Pour Zaroff, je ne riais plus du tout. Nathalie non plus. Elle était si tendue qu’elle était incapable de retenir une ligne de dialogues. Dans la scène d’anthologie (mais… tu es stupide), un assistant était couché par terre devant nous et lui soufflait son texte. Vous comprenez mieux la spontanéité, maintenant ?



Comment avez-vous réagi à l'interdiction des « Week-ends » et comment Michel Lemoine a-t-il réagi ?

Je suis tombé des nues ! Surtout en lisant le motif principal d’interdiction : « Incitation à la nécrophilie ». Sic ! Ça en dit long sur les fantasmes desdits censeurs… Ça a été un très gros choc pour Michel qui s’était vraiment donné à ce film, en imposant l’idée du fantastique à une productrice qui voulait surtout un film érotique. Il y avait en outre l’aspect perte financière, le film n’étant sorti qu’aux USA, en Italie et en Espagne, et plus tard en vidéo. À l’époque, on présentait les films risquant le X à la censure avec une copie légèrement tronquée, histoire de passer sans heurts. Le destin (ou un mauvais plaisant) a voulu que la copie tronquée soit partie à la projection pour les acheteurs tandis que la version intégrale est allée à la censure ! Il n’a même pas été question de X : interdiction totale, qui n’a été levée que par Jack Lang, mais le film n’est en fait passé que deux fois en salle à Paris ; une projection en 1974 dans le cadre d’un festival de cinéma fantastique, et à la Cinémathèque française, un soir d’hommage à Michel Lemoine.


Initialement, le film durait 2h15, avec un prologue où Alain Venisse et Jean-Claude Romer expliquaient la filiation entre le mythique comte Zaroff et Boris. Il y avait aussi plusieurs scènes fantastiques, avec des renvois au moyen âge. Tout a été coupé pour le vendre comme un film érotique, et il ne reste plus aujourd’hui que la triste copie d’1h25, dans un état lamentable, alors que la photo de Philippe Théaudière était fort belle. Vous avez échappé à une scène encore mieux que « tu es stupide » où Nathalie et moi nous retrouvions dans le passé, elle en jeune paysanne, moi en hobereau lubrique bardé de cuir et fouet en main. Le cher Howard Vernon jetait Nathalie à mes pieds en lançant, avec un solide accent bourguignon (sic) : « Cette ribaude nous a donné bien du mal, monseigneur. » Vous voyez que vous avez perdu le meilleur !



Que s'est-il passé pour vous après le film ? Avez-vous continué dans le cinéma ?

Non. J’ai continué mon métier de journaliste de presse écrite (je le suis toujours), j’ai fait de la radio (RMC, France Inter, RFI) pendant quinze ans, un peu de télé, j’ai écrit une cinquantaine de livres (notamment sur les chats et Venise, mes deux passions en dehors du cinoche, sans oublier des nouvelles fantastiques), des livrets d’opérette et de ballet, et je travaille en ce moment à un bouquin sur le cinéma d’épouvante (chassez le naturel…) et à mon premier roman.


Je suis resté proche de Michel et Nicaise Lemoine, et aussi de Janine Reynaud, depuis 35 ans. Ils ont conservé le même enthousiasme, la même gentillesse, la même folie au-delà des ans. Je les adore comme au premier jour !

PS : Je précise que je n’ai utilisé le pseudo Robert Icart que comme acteur dans les deux films de Michel Lemoine, mais que je figure sous mon vrai nom, Robert de Laroche, comme assistant réalisateur.

MA BRILLANTE FILMOGRAPHIE :

Apparitions :

1970 - Quatre nuits d’un rêveur (Robert Bresson)

1971 - Le Fou de mai (Philippe Defrance)

1972 - Demain matin (CM, Gilles Béhat)

1973 - L’Amérique (CM, Michel Lemoine)

1974 - Der Junge Graf Kessler (Télé allemande)

Films :

1969 - Exil (CM de Jean-Paul Leyvastre ; assistant réalisateur)

1970-71 - Chronique de voyage (CM 26 mn ; scénario, musique, réalisation et rôle du vampire). Avec Marc-Olivier Cayre, Claude Moro, Francine Roussel.

1972 - Baphomet (CM 14 mn ; scénario, musique, réalisation). Avec Gilles Béhat, Marie Séline, Michèle Delanty, Francine Roussel, Maud Molyneux.

1973 - Les Petites saintes y touchent (alias L’Étreinte cordiale, À la découverte du plaisir, Jeunes filles en extase). Rôles de Mike et du journaliste ; assistant stagiaire.

1974 - Les Week-ends maléfiques du comte Zaroff (rôle de Francis ; deuxième assistant).

- Interview menée par La Team Nanarland -