Recherche...

Sinbad

(1ère publication de cette chronique : 2005)
Sinbad

Titre original :Sinbad dei Sette Mari

Titre(s) alternatif(s) :Sinbad of the Seven Seas

Réalisateur(s) :Enzo G. Castellari, (scènes additionnelles : Luigi Cozzi)

Producteur(s) :Menahem Golan

Année : 1987

Nationalité : Italie / Etats-Unis

Durée : 1h33

Genre : Sinbad is no good !

Acteurs principaux :Lou Ferrigno, John Steiner, Al Yamanouchi, Teagan Clive, Alessandra Martines, Ennio & Stefania Girolami

Nikita
NOTE
4/ 5

Bon, il faudrait tout de même se souvenir que Menahem Golan et Yoram Globus, les patrons de la Cannon, ont produit quelques bons films (« Love Streams » de John Cassavetes, par exemple). Oui, parce que sinon, on finirait par croire que le duo disposait du super-pouvoirs de pourrir instantanément tout ce qu’il touchait. La franchise Superman, la ligne de jouets Les Maîtres de l’Univers, Massacre à la Tronçonneuse… aucune mythologie, de la plus prestigieuse à la plus cheap, ne résistait à leur capacité à transformer les lingots en daube !


Ici, nos deux compères s’attaquaient à du costaud : Sinbad le marin et l’univers des Mille et une nuits allaient-ils résister à l’implacable machine à nanardiser de la Cannon ? Hé ben non. « Sinbad », signé par le malheureux Enzo G. Castellari, est sans doute l’un plus gros affronts que les contes orientaux eurent jamais à subir au cinéma. Mélange épais comme du saindoux de mauvais goût italien, d’incompétence scénaristique, d’acteurs laissés à la dérive et d’effets spéciaux artisanaux dans le mauvais sens du terme, « Sinbad » est le prototype même du film invendable, imbitable, ni fait, ni à faire, ni à voir… sauf bien sûr pour qui aime les gros nanars extrêmes ! Le principal problème qui se pose au chroniqueur voulant se colleter à « Sinbad » demeure en fait la densité du bestiau, qui réclamerait une recension scène par scène et plan par plan (donc très fastidieuse) pour épuiser toute sa nanardise !


Mine de rien y avait du pognon quand même !


Le film souffre déjà à l’arrivée d’un léger problème de casting. Sinbad, rappelons-le, est un personnage d’aventurier qui use généralement de sa ruse et de sa débrouillardise pour se tirer d’affaire. Or, qui joue le rôle ici ? Lou Ferrigno ! Un peu comme si on confondait Robin des Bois et Conan le Barbare… Avec « Hercule » et sa suite, « Les Aventures d’Hercule », Golan et Globus avaient déjà prouvé que Ferrigno pouvait être le plus mauvais acteur du monde, ils semblent décidés à apporter une nouvelle pièce au dossier alors que personne ne le leur demandait !



Malgré ce léger handicap, « Sinbad » aurait pu donner à l’arrivée un film au moins acceptable, mais il allait connaître une genèse démentielle, encore pire que le désordre qui accompagna le tournage de « Casablanca », mais avec un résultat artistique légèrement en-dessous de celui du film de Michael Curtiz. Les différents protagonistes de l’affaire ayant donné des versions quelque peu contradictoires (voir à ce sujet l’interview d’Enzo G. Castellari et celle de Luigi Cozzi), il nous a été nécessaire de démêler le vrai du faux, ce qui revenait à peu près à rechercher la paternité des Evangiles apocryphes. Les grandes lignes de la saga « Sinbad » sont les suivantes : Golan et Globus, via leur filiale italienne, souhaitaient produire une mini-série télévisée à grand spectacle, destinée à une vente sur les marchés internationaux. Sur un scénario original de Luigi Cozzi, auteur de « Starcrash » et des « Hercule » avec Ferrigno, le tout fut tourné vers 1987 par Castellari. Mais ce dernier ne respecta pas le scénario de départ, supprimant des scènes d’effets spéciaux pour les remplacer par des bagarres davantage dans son style habituel. Mécontents du résultat final, Golan et Globus firent retourner des scènes de complément à un autre cinéaste, apparemment le Z-man américain Tim Kincaid (auteur du glorieux « Robot Holocaust »), qui devait traîner en vacances à Cinecittà. La série étant un vrai désastre artistique, impossible à exploiter, Golan et Globus la rangèrent sur les étagères sans même tourner l’intégralité des scènes prévues.


Environ trois ans plus tard, ayant besoin d’argent, les big boss de la Cannon décident de sortir « Sinbad » des oubliettes pour remonter la mini-série de six heures et l’abréger au montage pour en faire un film d’une heure trente. Luigi Cozzi, auteur du scénario, est rappelé pour bidouiller le script et le montage, et tourner des scènes de raccord. Le film est ensuite envoyé aux Etats-Unis pour finir la post-synchronisation des nouvelles scènes, incluant notamment une voix off explicative pour boucher les trous du scénario. Les doubleurs ne disposant pas d’une copie à jour du script, le texte de la voix off fut écrit au jour le jour, en essayant de faire tenir ensemble les morceaux de l’histoire. Inutile de dire que dans de telles conditions, le résultat fut à la hauteur des espérances de tout nanardeur impénitent : totalement catastrophique ! Ce magnifique gadin allait notamment sortir au moment où la Cannon entamait sa vertigineuse faillite : Golan et Globus auront coulé avec Sinbad, ce qui n’est que justice.


Sinbad et son équipage très cosmopolite, incluant un nain, un viking, un samouraï etc.


Leo Gullotta, le sidekick comique le moins drôle du monde.

Bon, mais alors, et le film ? On y arrive… Sauf qu’il est dur de savoir par où commencer ! « Sinbad » est tellement catastrophique à tous les niveaux imaginables que le raconter par le menu serait un peu fastidieux. Commençons tout de même par le commencement, car il est déjà très incongru : une voix off pompeuse nous parle d’Edgar Allan Poe, de sa vie et de son œuvre. Le film serait inspiré d’une de ses nouvelles, « La Mille et deuxième nuit de Shéhérazade », et nous allons donc voir une œuvre placée sous un haut patronage littéraire. Oui, sauf que… si la plupart des œuvres tirées de Poe sont des adaptations très libres, celle-ci remporte le pompom, puisque le film n’a, de l’avis général, rien à voir avec le texte de l’écrivain. Il s’agit d’une nouvelle humoristique parodiant les Mille et une nuits. Sinbad le marin y apparaît, c’est déjà ça…



Passé ce petit bluff littéraire, nous passons directement à l’une des scènes de raccord tournées par Luigi Cozzi : un petite fille (Giada Cozzi, fille de Luigi) réclame à sa maman une histoire pour dormir. La maman (Daria Nicolodi, ex-Madame Dario Argento et mère d’Asia Argento) lui lit alors les aventures de Sinbad (donc, si on a bien suivi le pré-générique, elle lit du Edgar Poe à sa fille pour la faire dormir ! Bonjour le laxisme), conquérant des sept mers et héros de l’Orient. Le principe du récit en voix off va aider le remontage de la mini-série télé sous forme de film d’une heure trente, mais il ne va pas effacer pour autant tous les trous du scénario, bien au contraire!


Stefania Girolami, fille d'Enzo G. Castellari, dans un rôle original de kickoxeuse proche-orientale.


Le royaume où se déroule l’action est dirigé par un brave Calife particulièrement benêt, puisque ce bon vieux monarque ne voit même pas que son Grand Vizir Jaffar complote contre lui, alors qu’il est joué par un John Steiner totalement en roue libre, tout de noir vêtu et d’une méchanceté visible à l’œil nu ! Allié des forces du mal, Jaffar jette un sort sur la ville, qui a des effets terrifiants : un petit vent se met à souffler dans les rues en renversant trois paniers d’osier, et les figurants courent dans tous les sens. Satisfait de ce cataclysme, Jaffar hypnotise ensuite le Calife et fait prisonnière la Princesse Alina, fille de ce dernier, qu’il souhaite épouser. Arrivant en ville, Sinbad le marin et ses compagnons (un nain, un Viking, un Chinois karatéka…), accompagnés du Prince Ali, fiancé d’Alina, se rendent compte de la situation et partent aussitôt à la recherche des cinq gemmes magiques qui garantissaient la prospérité de la ville et que Jaffar a dispersées aux quatre coins du monde. Des aventures innombrables, fascinantes et totalement ridicules les attendent…


La classe, Lou !

Le point de départ du film en vaut un autre et aurait pu aboutir à une réussite sympathique, dans la lignée du « Voleur de Bagdad » (le film de Castellari s’inspire en partie de la version de 1940, notamment pour ce qui est du nom et du look du Grand Vizir). Mais c’est l’exécution qui fait tout le sel nanardesque de la chose. Grosse kitscherie pour enfants à base de costumes chatoyants, de décors en carton, de figurants empotés et d’effets spéciaux en mousse, le film était déjà une catastrophe artistique avant même que le remontage sauvage des producteurs n’achève d’en faire de la compote.


Le nanar se niche-t-il plus dans sa carrière italienne ou dans sa carrière avec Lelouch ? Non attendez avant de répondre...


Visuellement, « Sinbad » rappelle beaucoup les téléfilms de la série « La Caverne de la rose d’or », dont il était une sorte de précurseur. C’est d’ailleurs Alessandra Martines, future Madame Lelouch, qui joue la princesse Alina et qui fut ensuite l’héroïne des « rose d’or ». Hormis cette petite madeleine de Proust, on ne peut pas dire que « Sinbad » réveille vraiment l’enfant qui est en nous : le grotesque est tel que le premier gamin de onze ans venu se tordrait de rire !



Tout d’abord, il y a Lou Ferrigno. Misère ! Notre ami Lou avait déjà prouvé dans « Hercule » et « Les Aventures d’Hercule » que, sorti de Hulk, il se révélait très (mais alors très, très, très) piteux comédien. Avec « Sinbad », il trouve le moyen de se montrer encore plus lamentable ! Dans les deux Hercules, Lou était mauvais, mais son inexpressivité limitait en quelque sorte les dégâts. Ici, l’inconscient Enzo G. Castellari a eu l’idée de lui faire JOUER LA COMEDIE ! Attention les yeux ! Appuyant ses expressions au point de ressembler à un Ben Stiller sous acide, le sympathique Lou Ferrigno joue comme un très mauvais élève en première année de théâtre. On imagine la direction d’acteur : « Bon, maintenant, Lou, tu mimes la surprise ! Euh, pas trop quand même… » Les muscles saillants et hypertrophiés, les pectoraux palpitants au moindre mouvement (un véritable effet spécial), l’ex-Monsieur Univers fait de Sinbad le marin un gros boeuf, charismatique et séduisant comme un videur de boîte de nuit !

Et un superbe pantalon mauve moulant en prime !

Après avoir vu ce film et les deux « Hercule », je subodore cependant que Lou Ferrigno doit secréter quelque substance toxique qui contamine ses partenaires et les empêche de jouer normalement.

Ici, la principale victime du syndrome de la « louferrignite » se nomme John Steiner. Mon Dieu !

John Steiner en roue libre... Peut aller se rhabiller Michael Youn !

Second rôle britannique très présent dans le cinéma bis italien des années 1970-80, Steiner avait prouvé son talent de comédien dans un certain nombre de films. En le voyant ici interpréter le Grand Vizir Jaffar, on a quelque peu l’impression de voir un mauvais acteur du cinéma muet se lancer dans une pantomime improvisée après une ingestion de cocaïne frelatée. Gesticulant, grimaçant, hurlant la moindre réplique, John Steiner, totalement frénétique, réussit à pulvériser toutes les limites connues et inconnues du cabotinage !



Mais Lou et John ne sont que les cerises (bien juteuses) sur un gâteau dégoulinant : monstres en carton-pâte, maquillages approximatifs, dialogue à tomber assis par terre, doublage français à hurler, amazones en tenues affriolantes, gemmes magiques en plastique, combats réglés en dépit du bon sens par un Castellari sous acide, tous les ingrédients du mauvais film d’aventure sont ici réunis et maximisés au centuple pour nous offrir un spectacle pétaradant de nanardise !


Les spectres-zombies de la mer.



Le golem.



Le... euh... l'homme-caca ??



La Reine des Amazones.

A noter que le film nous permet de retrouver quelques trognes sympathiques du bis italien, comme Ennio Girolami (frère de Castellari) en improbable guerrier viking, ou Hal (Haruhiko) Yamanouchi, le Japonais de service, ici dans un rôle de Chinois karatéka danseur de kazatchok.



Une débauche de couleurs chatoyantes et fascinantes ! (euh, oui, bon...)



Cela ne serait encore rien sans le désordre absolu qui vient du remontage sauvage du film : voix off contredisant l’action, personnages apparaissant et disparaissant sans explication, incohérences inexplicables… Le comble est atteint par le personnage de la sorcière Soucra (interprétée par la culturiste Teagan Clive, qui ressemble à une sorte de Catherine Lara body-buildée), alliée de Jaffar dont on ne comprend absolument pas l’utilité dans le récit (elle ne fait strictement rien !) et par l’une des scènes finales où Sinbad demande à ses compagnons de « s’occuper du monstre », alors que l’on n’a vu aucun monstre dans le château et que l’on n’en verra d’ailleurs pas ! Une petite perle, enfin : une scène qui montre Sinbad nageant est en fait... un stock-shot tiré d'« Hercule » ! (on aperçoit la barbe de Ferrigno !)



Je serai Calife à la place du Calife, mouahahahaha !




Conte pour enfants spectaculaire par son ratage, « Sinbad » est l’une des plus belles aberrations d’un cinéma italien en pleine décadence : sans doute le pire film de Castellari, qui ne fait même pas preuve ici du métier qu'il montrait sur « Les Nouveaux Barbares » ou « Les Guerriers du Bronx ». La tristesse de voir l’artisanat transalpin incapable d’accoucher du moindre spectacle correct est compensée par la joie de découvrir une véritable perle du nanar ! Ce film est si riche en éléments grotesques que plusieurs visions sont nécessaires pour toutes les déceler. On croit avoir épuisé tous les trésors de Sinbad le marin, et il en a encore sous la babouche ! Tout simplement indispensable !!


Bon, pour faire carrière, il ne me reste plus qu'à épouser un réalisateur célèbre... Il est libre, Claude Lelouch, en ce moment ?

(Une petite dédicace aux membres de www.secondscouteaux.com, site hélas défunt, à qui j’ai fait découvrir le film et qui m’ont fait remarquer l’improbable parenté entre Lou Ferrigno et Ben Stiller !)

Icono : le défunt site www.vhs-survivors.com ; www.badmovies.org

- Nikita -
Moyenne : 3.71 / 5
Nikita
NOTE
4/ 5
Kobal
NOTE
3/ 5
Wallflowers
NOTE
3.5/ 5
MrKlaus
NOTE
3.5/ 5
John Nada
NOTE
3.5/ 5
Jack Tillman
NOTE
4.75/ 5

Cote de rareté - 2/ Trouvable

Barème de notation

Des Blu-ray et DVD anglais et allemands édités chez "MGM" (qui a racheté le catalogue Cannon) existent mais paradoxalement ce sont les versions américaines qui, marché québécois oblige, bénéficient de sous-titres français et peuvent être aisément trouvées sur des sites de vente en ligne canadiens. Existe même une version avec les deux Hercule avec Lou. Du tout bon hormis l'absence de la VF.

Par ailleurs, des DVD à 1,99 € édité par "Lazer Films" ou par "Red" ont été un temps disponibles dans certains hypermarchés Leclerc (visuel ci-dessous).

Sinon, il reste toujours la cassette de chez "Delta Vidéo" déclinée en deux éditions, dont une dans une "Collection Confettis" pour les minots.