Recherche...

Dick Randall

Consulter la filmographie / Consulter les films chroniqués



Question : quel point commun y-a-t-il entre le film italien « Le Château de Frankenstein », l’espagnol « Supersonic Man » et le franco-italo-hongkongais « Bruce Contre-Attaque » ? Bon, d’accord, ce sont tous des nanars chroniqués en ces lieux. Mais à part ça ? Hé bien, mes jeunes amis, sachez que ces films si différents les uns des autres ont tous été financés, co-financés ou distribués par le même homme, Dick Randall, le Menahem Golan du pauvre, le pygmalion protéiforme du nanar européen à budget microscopique. Sa filmographie ressemble à un chaudron bouillonnant qui renfermerait tel un alambic de sorcier tous les ingrédients du cinéma bis européen de la grande époque : érotisme cheap, films d’horreur approximatifs, polars anémiques et même kung-fu, importé tout droit d’Asie à la grande époque des sous-Bruce Lee ! Un tel homme ne pouvait que susciter l’intérêt de Nanarland, tant son histoire est méconnue.



Les données biographiques concernant Dick Randall sont plutôt floues : IMDB le classait un temps comme un Canadien, né en Ontario, mais des témoignages directs nous ont appris que l’homme était américain, né à New York au sein d’une famille juive de Brooklyn. Dick Randall aurait vu le jour le 25 août 1925. Après une enfance et une jeunesse paraît-il un peu difficiles (il aurait été élevé à la dure par un oncle et une tante), il commence à travailler dans le cinéma durant les années 1950, se lançant dans une activité de producteur et, surtout, de distributeur de films. Il est en relation avec la firme AIP, dirigée par James H. Nicholson, principale importatrice de films bis européens aux Etats-Unis, pour des circuits de drive-ins et de salles de quartier.



Dick Randall acteur dans "Quante volte quella notte" de Mario Bava.



Dick Randall semble avoir connu à la fin des années 1950 ce que Richard Harrison nous a décrit comme « un problème fiscal », qui l’aurait décidé à s’expatrier. Selon Mike Monty (voir l’interview de ce dernier), le problème en question aurait été de nature assez grave, jusqu’à valoir à notre homme une brève peine de prison. Toujours est-il que Dick Randall éprouve ensuite le besoin de changer d’air et s’embarque pour l’Europe.



Dick et son épouse Corliss (photo fournie par Andrew Leavold).



Il produit en 1958 un film érotique en Suisse, et se fixe définitivement en Italie, où il va faire une carrière des plus remarquables. Dick Randall fonde à Rome plusieurs sociétés de production et de distribution, dont la principale porte le nom de Spectacular Trading Films. Toutes ses entreprises sont domiciliées dans le même bureau, mais reliées à des téléphones différents ! Il devient au passage un bon ami de Richard Harrison, qu'il a rencontré à Rome et qui se trouve être l'ancien gendre de James Nicholson, patron d'AIP et relation d'affaires.



Ceux qui ont connu l’homme le décrivent comme une personne affable, un peu étrange, parfois lunaire. John P. Dulaney, acteur-producteur américain expatrié en Italie à l’époque, se souvient d’un Dick Randall à l’épais accent juif new-yorkais, le cigare au bec et la cravate mal nouée, « un rude travailleur, dont on sentait bien qu’il ne venait pas de l’élite sociale ». Sebastian Harrison, fils de Richard, l’évoque en ses termes : « Quand je l’ai connu, il vivait déjà en Italie depuis des années mais il ne parlait guère italien et s’habillait à la mode américaine : on aurait dit que quelqu’un l’avait pris à Brooklyn, amené en Italie et abandonné sur place le jour même. Un jour, il m’a emprunté un livre que je n’avais pas encore lu. Quelques temps après, je lui ai demandé s’il l’avait fini car j’avais envie de le lire. Or, il n’en avait lu que la moitié. Il l’a sorti de sa poche, l’a déchiré en deux, et m’a tendu la partie qu'il avait déja lue. Ce n’était même pas une blague de sa part, il fonctionnait simplement comme ça. »



Dick Randall n’est pas raffiné pour deux sous, mais c’est un homme d’affaires futé. Principalement distributeur, il achète et revend des films bis italiens de toutes sortes, des films d’horreur espagnols, des films de kung-fu asiatiques, s’affirmant comme l’un des plus énergiques pourvoyeurs de cinéma bis d’Europe. Mais il va progressivement se lancer dans la production, se spécialisant un temps dans les érotiques soft et autres films d’exploitation : il se fait remarquer en 1972 avec « Quante volte… quella notte », un érotique soft réalisé par Mario Bava, aujourd’hui bien désuet, mais qui connaîtra de gros problèmes avec la censure italienne. Parallèlement, Dick Randall s’intéresse de plus en plus au cinéma asiatique d’arts martiaux, qui connaît une furieuse vogue depuis la révélation de Bruce Lee : il fait de fréquents voyages à Hong Kong et y achète un grand nombre de films de kung-fu, dont la distribution en Europe lui rapportera une copieuse fortune.



Tout en continuant à produire des films érotiques – dont une resucée de « Gorge Profonde » avec la transgenre Ajita Wilson – Randall se pique de produire ses propres films de kung-fu : il est ainsi le responsable de « The Clones of Bruce Lee », film-concept de la bruceploitation, qui réunit Bruce Le, Bruce Liang, Dragon Lee, Bruce Thai et Bruce Lai !


Ajita Wilson...


...est la « Gorge Profonde Noire ».



Bruce Le deviendra un bon ami de Dick Randall, qui produira plusieurs de ses films : dans « Challenge of the Tiger », le faux Bruce partage l’affiche avec Richard Harrison. Ce dernier a évoqué pour nous certains aspects de la méthode Randall : « J’ai été déçu quand j’ai lu le scénario et je lui en ai parlé, mais ça ne semblait pas important pour lui. Le réalisateur était quelqu’un de gentil [NDLR : Luigi Batzella était le vrai metteur en scène du film - du moins les scènes tournées en Espagne, de ce film signé par Bruce Le] mais je ne le trouvais pas très bon. (…) Beaucoup de gens profitaient [de Dick] mais c’était un bon homme d’affaires et tout le monde l’appréciait. »





Bruce Le, Dick Randall et Brad Harris sur le tournage de « Challenge of the Tiger » (photo fournie par Andrew Leavold).



Dick Randall semble en effet avoir mené sa barque en grossiste plus qu’en artisan, bricolant ses films avec les moyens du bord en suivant les modes, sans se soucier de la qualité intrinsèque des scénarii ni du talent des réalisateurs, et fagotant tant bien que mal des produits pour salles de quartier. C’est justement ce côté foutraque et sans vergogne qui fait aujourd’hui le charme de la filmographie de Randall, véritable roitelet d’un cinéma d’exploitation dénué de scrupules comme de prétention. Egalement scénariste, Dick s’amuse aussi à faire l’acteur dans un certain nombre des films qu’il produit.







Dick Randall, jouant le rôle de l’ambassadeur des Etats-Unis dans « Bruce Contre-Attaque »



La carrière de notre homme donne en outre le vertige par son côté international : véritable globe-trotter du nanar, Randall œuvre aussi bien en Espagne (il coproduit « Supersonic Man ») qu’aux Philippines, puisqu’il semble avoir voulu profiter des compétences cinématographiques locales en co-produisant l’impensable sous-James Bond lilliputien « For Your Height Only », avec le nain Weng Weng, à qui il confèrera une célébrité mondiale en assurant la distribution du film dans une partie du monde. Randall signe des coproductions exotiques, comme « Manone all’attacco » (un sous-Bud Spencer italo-israélien) ou « Cuibul salamandrelor », co-produit par l’Italie et la Roumanie (en plein régime de Ceaucescu !) sans parler de certains films sino-thaïlandais auxquels il apporte de l’argent occidental.





Au passage, il refait un saut dans son pays natal pour y financer avec Al Adamson « La Dimension de la Mort », avec Jim Kelly, film qui mixe allègrement toutes les modes des années 1970 (Bruce Lee, James Bond, la blaxploitation…) en une mirifique synthèse de l’essence même du cinéma bis.



Parallèlement, Dick Randall épouse une jeune chanteuse américaine tombée dans la débine à Rome : Dick et Corliss Randall formeront un couple haut en couleur, au sujet duquel leurs vieux amis racontent encore des anecdotes corsées.



Corliss Randall (alias « Chick Norris ») dans « Bruce Contre-Attaque »







Dans les années 1980, Randall continue de produire avec vigueur des films dont certains resteront dans les annales du mauvais goût, comme l’espagnol « Le Sadique à la tronçonneuse » de Juan Piquer Simon (le réalisateur de « Supersonic Man »), ou « Bruce Contre-Attaque », qu’il co-produit avec les Français André Koob et Jean-Marie Pallardy. Mais il va connaître des problèmes de santé à la fin de la décennie. Alors que lui et son épouse ont quitté l’Italie pour Londres où il poursuivait ses activités de producteur, Dick Randall subit un grave infarctus qui va le laisser très diminué. Son épouse, qui avait vécu avec lui une union orageuse, va passer plusieurs années à veiller sur lui, l’entourant pour le détendre d’infirmières sexy triées sur le volet. Dick Randall meurt à Londres le 14 mai 1996 : il reste de lui l’image d’un producteur indépendant, marchand de soupe à ses heures, mais responsable de quelques-unes des plus belles croûtes du cinéma d’exploitation. Ce qui était jadis une honte cinématographique prend aujourd’hui un charme désuet, empreint de la naïveté délicieusement désuète du cinéma bis d’antan : Dick Randall, homme trop méconnu, aura fait à lui seul le lien entre le cinéma d’horreur Italien, l’érotisme français, le film de super-héros espagnol, le kung-fu made in Hong Kong et le cinéma bis philippin ; il aura été le producteur de Weng Weng, Bruce Le, Richard Harrison et Jean-Marie Pallardy ! Pas mal comme bilan… Un véritable bienfaiteur de l’humanité nanarophile, en somme, qui aura tant œuvré pour le mauvais goût cinématographique que Nanarland ne pouvait manquer de lui dédier une petite chapelle !



Remerciements à Richard Harrison, Sebastian Harrison, John P. Dulaney, Mike Monty, Corliss Randall et Andrew Leavold.


- Nikita -

Films chroniqués

Filmographie



1990 - Living Doll

1989 - Don't Scream It's Only a Movie

1988 - Urge to kill

1986 - Le Jour des fous (Slaughter High)

1985 - Emmanuelle Goes to Cannes

1985 - Space Warriors 2000

1984 - Don't Open 'Til Christmas

1983 - Les Visiteurs extraterrestres (Los Nuevos extraterrestres / The Return of E.T.)

1982 - Bruce contre-attaque / La Revanche du ninja

1982 - The Young Bruce Lee

1982 - Jacky et Bruce défient le maître du karaté (Jackie and Bruce to the Rescue)



1982 - Les Sept salopards / Salopards platoon (La Belva dalla calda pelle)

1982 - Le Sadique à la tronçonneuse (Pieces)

1982 - Angkor: Cambodia Express

1982 - Les Aventuriers de l'or perdu (Horror safari)

1981 - L'Implacable défi (Gymkata Killer / Challenge of the Tiger / Dragon Bruce Lee)

1980 - Le Journal érotique d'une Thailandaise

1979 - For your height only

1979 - Supersonic Man

1979 - Contrat pour la mort (Bruce the super hero)

1978 - Les Femmes vicieuses

1978 - Proibito erotico

1978 - La Dimension de la mort (Death Dimension)

1978 - Violez les otages ! (Le Evase - Storie di sesso e di violenze)

1978 - Chorake / Crocodile / crocodile :les machoires de l'épouvante (Agowa gongpo)

1977 - The Clones of Bruce Lee

1976 - Gola profonda nera / Black deep throat / Queen of sex

1976 - Dimensioni giganti / Cuibul salamandrelor



1975 - The Erotic Adventures of Robinson Crusoe

1974 - Le Château de l'horreur / Le Château de Frankenstein (Terror! Il castello delle donne maledette)

1973 - La Casa della paura

1973 - Manone all'attacco / Koreyim Li Shmil

1973 - The Real Bruce Lee

1972 - L'Amante del demonio

1972 - Maison de rendez-vous (Casa d'appuntamento / The Paris sex murders / French sex murders)

1972 - Une Nuit mouvementée (Quante volte... quella notte)

1971 - Snake Fist Fighter / Stranger in Hong Kong

1971 - L'Etrangleur de Vienne (Lo Strangolatore di Vienna)

1970 - Le Troisième oeil (The Yin and Yang of Mr. Go)

1968 - The Wild, Wild World of Jayne Mansfield

1968 - Eva, la Venere selvaggia



1967 - Cottonpickin' Chickenpickers

1964 - L'Amore primitivo / Primitive love

1964 - Il Pelo nel mondo / Weird wicked world

1963 - The Sound of Laughter

1963 - Mondo di notte numero 3

1962 - My Bare Lady

1961 - Shangri-La

1958 - Lust for the Sun / Around the world with nothing on