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Les Aventuriers du Système Solaire

(1ère publication de cette chronique : 2005)
Les Aventuriers du Système Solaire

Titre original :Solar Adventure, Roboteuwang Sseonsyakeu

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :Seung-cheol Park (crédité Roy Thomas)

Année : 1990

Nationalité : Hong Kong / Corée du Sud

Durée : 1h08

Genre : Mangâtisme

Acteurs principaux :Plein de pseudos anglais bidons pour les doubleurs

Barracuda & Nikita
NOTE
5/ 5



Il est des visionnages qui sont plus que de simples spectacles audiovisuels. Ce sont de véritables chemins initiatiques, des voyages qui vous emmènent du doux confort de la normalité jusqu'aux pics les plus élevés de la folie furieuse. Et si en plus on est plusieurs pour l'apprécier, c'est forcément encore meilleur.


Ce fut le cas ce soir-là avec « Les Aventuriers du système solaire », apporté par Dao et que nous avions décidé de déguster en apéritif chez Mr Klaus en attendant Ghor et Lantak, perdus dans les méandres de Levallois-Perret. De l'extérieur, « Les Aventuriers du système solaire » est déjà un objet fort curieux. En apparence, il s'agit d'un manga assez banal, un dessin animé de science-fiction avec des robots géants qui se battent et se tirent dessus dans tous les sens. Le nom du Chinois Joseph Lai comme producteur / distributeur attire toutefois l'attention, cet homme étant, on s'en souvient, co-responsable d'une bonne partie des ninjateries réalisées par Godfrey Ho et impliqué à des degrés divers dans la plupart des tomastangueries.


Le film s'ouvre par les crédits défilant sur fond de dessins statiques au thème incontestablement SF. Puis le film commence et, première surprise, ce n'est pas du tout un dessin animé mais un vrai film avec de vrais acteurs. Un peu interloqués, mais pas tellement surpris, on se dit alors qu'il s'agit là d'une énième arnaque à la jaquette et qu'à la place d'un manga, ce vieux forban de Joseph Lai nous a refilé un de ces films d'action tout pourris dont il s'est fait une spécialité. Le groupe s'installe donc dans l'attente d'un nanar classique, mais de bonne tenue. Sur ce point il n'est pas déçu par le doublage, gros point fort du film, ni par le montage absurde ou le scénario débile. Il nous faut souligner au passage que la totalité des personnages ont été manifestement doublés par deux ou trois doubleurs, s’appliquant à camoufler leurs voix par des intonations ultra-excessives et se souciant tout juste de prendre des voix de fausset extrêmement peu crédibles quand ils interprètent les enfants. Une scène particulièrement mémorable, plus loin dans le film, nous offrira même le spectacle d’un doubleur qui tente d’interpréter une foule paniquée à lui tout seul ! Mais nous n’en sommes pas encore là…






L’école en Corée du Sud, c’est vachement relax : « Aujourd’hui cours d’Histoire, je vais vous expliquer pourquoi les communistes sont méchants ! »
« Hé non, m’dame, c’est nul, si on partait en classe verte ? »
« D’accord, nous partons demain ! »


« Les Aventuriers du système solaire » se déroule en Corée du Sud, au moment où trois vilains espions du Nord tentent de s'y infiltrer. Parallèlement, une classe scolaire décide, sur un coup de tête, de partir en classe verte. Pris dans un feu croisé entre Nordistes et Sudistes, les 6 ou 7 élèves qui la composent se réfugient dans leur tente, où, manifestement pas très inquiets, ils ne tardent pas à s'endormir. Plus tard dans la nuit, ils sont réveillés par un grand bruit à proximité. Ils sortent de la tente...




Les méchants communistes.


Le général sud-coréen et son attirail de haute technologie : « Ils doivent se trouver par ici dans le secteur 9 ».









Et tout bascule.
Les acteurs sont remplacés à la sortie par leurs alter-egos animés et c'est à ce moment, après environ dix minutes de film, que « Les Aventuriers du système solaire » commence vraiment.








Le grand bruit entendu plus tôt était celui d'un vaisseau spatial s'écrasant dans le lac d'à côté. Ses passagers, un couple d’aliens verdâtres mais parlant parfaitement le français (enfin… le coréen !) viennent avertir les Sud-Coréens qu'un tyran galactique est sur le point d'envahir la Terre.


Les gentils extraterrestres.

On apprendra dans la scène suivante que l’infâme envahisseur s'est allié à rien moins que Kim Il-Sung ("Grand leader" de la Corée du Nord jusqu'à sa mort en 1994 : très reconnaissable à sa tumeur au cou malgré la faible qualité du dessin) pour mener à bien ses desseins expansionnistes.


Kim Il-Sung et ses sbires (malheureusement, on ne voit pas son fils Kim Jong-Il, la fête aurait été complète !).



Bon, lui, pas la peine de préciser, c'est le méchant alien.





Mais que fait Gérard Jugnot dans un manga !?


Aidez-moi, on m’a mal dessiné, j’ai la bouche de travers !

Aucune justification ne nous est bien sûr apportée à ce passage du film live à l’animation, sinon que les effets spéciaux sont trop chers à réaliser en trois dimensions, rendant la transition particulièrement grotesque. Joués à la base par des acteurs irritants au possible (les enfants battant tous les records de laideur et de grimaces), les personnages se trouvent transformés en hideuses caricatures de manga, dessinées avec les pieds et ressemblant très grossièrement aux comédiens.




Ce début nous assurait déjà un quotient nanar extrêmement élevé. Le reste est juste culte. Car Joseph Lai, fidèle à ses habitudes de margoulin, n’a probablement fait qu’acheter et distribuer sur les marchés internationaux un dessin animé sud-coréen, malgré le générique anglo-saxon qui le crédite comme producteur. Bien que la copie (manifestement faite à partir d’une copie anglaise destinée à l’international) porte le copyright de 1990, le dessin animé est visiblement bien antérieur à cette date. Impossible de dire qui en est le véritable auteur : sûrement pas ce « Roy Thomas » crédité au générique pour appâter le chaland anglo-saxon : ce nom étant celui d’un scénariste de comic-book réputé, y-a-t-il tromperie intentionnelle dans le choix du pseudo ?
En tout cas, Jojo n’a pas fait son choix au hasard : le dessin animé qui nous est proposé constitue le fond du fond de la poubelle de l’animation asiatique, jusqu’à nous offrir quelque chose qui ressemble à la version dessinée d’un film de Godfrey Ho !












Imaginez toutes les tares, toutes les manies, toutes les incohérences et toutes les arnaques d'un film de Joseph Lai appliquées à un dessin (mal) animé et transcendées par celui-ci. Dessin nul, animation pourrie (« A la Peckinpah » dixit Mr Klaus en référence aux ralentis mal fichus), doublages de folie, mais aussi scénario pourfendant les frontières de l'absurde, faux raccords en pagaille et même passages surréalistes d'authentique deux-en-un. On remarque d'ailleurs au générique la présence au montage de « Homer Kwong », qui occupait la même fonction sur certains films de Godfrey HoFlic ou Ninja » notamment). De là à dire que le maléfique Godfrey – dont Homer Kwong est peut-être l'un des nombreux pseudos – a lui-même collaboré à l'opération, il n'y a qu'un pas qui nous amène loin !

ATTENTION, GRAND MOMENT !
Un faux raccord dans un dessin animé :


Nos héros tentent d’éviter un garde communiste…





…le garde se retourne…





…et tire ! Si vous n’avez rien remarqué, c’est que vous êtes daltonien !


Le montage des séquences animées est d’une totale incohérence : un plan du personnage de Kim Il-Sung en train de parler est même inséré au milieu d’une conversation des gentils dans leur QG, alors que le tyran nord-coréen n’a évidemment aucune raison de se trouver là ! L’erreur de montage se trouve certainement dans le métrage d’origine (ou du moins dans le remontage effectué par Joseph Lai pour l'international), puisque Kim dit un dialogue censé être prononcé par le gentil savant : le doubleur français essaie de suivre en faisant la voix de Kim Il-Sung, ce qui fait qu’on a l’impression que le dictateur complote contre lui-même !


Champ : les gentils en train de discuter…



…contre-champ : Kim Il-Sung leur répond…



…champ : Kim Il-Sung n’est plus là !
« Monsieur Kim Il-Sung, vous êtes un sacré sans-gêne ! Que faites-vous dans mon salon ? »
« J’y peux rien, c’est le monteur qui m’a laissé traîner là en stock-shot ! »


A un Kim Il-Sung totalement grotesque répond point par point le tyran galactique, sorte de croisement improbable entre Valéry Giscard d'Estaing et un concombre. Kim étant tellement mal dessiné qu’il ressemble vaguement à Charles Pasqua sur certains plans, on croirait presque à une parodie volontaire de la politique française !


Kim Il-Sung était déjà un méchant nanar dans la réalité, mais ce film l'achève !



Giscard naval !

De même, la totale incohérence entre ce que font les personnages et le déplacement du background nous offre quelques morceaux de bravoure, tels la « course dans le ciel » ou « le bâtiment qui n'en finissait pas », caricaturant les pires tares de l’animation asiatique telles que les imaginent les ennemis les plus farouches du manga. Cerise sur le gâteau, la musique est piquée tout droit aux « Chevaliers du Zodiaque ». On n'en attendait pas moins.

LA MAUVAISE ANIMATION ASIATIQUE, LECON N°1 :
LE BATIMENT QUI N’EN FINIT PAS !







Vite, dépêchons-nous ! 

LA MAUVAISE ANIMATION ASIATIQUE, LECON N°2 :
LA COURSE DANS LE CIEL !
 


Vite ! Fuyons vers le haut !



…pendant que le méchant nous poursuit en remuant du cul à deux images/seconde ! 

LA MAUVAISE ANIMATION ASIATIQUE, LECON N°3 :
UNE INTERACTION SUBTILE ENTRE LES PERSONNAGES, LE DECOR ET LES OBJETS !






« L’alliance entre les méchants de la Terre et les méchants de l'espace ! » (dixit le dialogue)



Les prisonniers du goulag nord-coréen, obligés de porter des cordes ! 

LA MAUVAISE ANIMATION ASIATIQUE, LECON N°4 :
DES PERSONNAGES AUX EXPRESSIONS TRAVAILLEES !


Ce garde nord-coréen est visiblement en train de bailler tandis qu’il garde le robot la nuit, mais la VF a rajouté un « Mouahahaha ! » sardonique de grand méchant.



Lui, je ne veux même pas savoir ce qu'il fait !

Médusés, nous tentons de suivre cet écheveau de conneries où les incohérences s'enchaînent sans laisser une seconde de répit lorsque soudain, c'est le drame : en plein milieu d'une scène-clé, patatras, le lecteur DVD de Mr Klaus, sans doute scandalisé par ce qu’on lui fait subir, refuse obstinément de lire la suite. En désespoir de cause, nous migrons vers sa chambre pour continuer à suivre le film sur le minuscule écran d'un lecteur DVD portable. Et il faut nous imaginer là tous les cinq (MrKlaus, Nanja Monja, Dao, Nikita, Barracuda), penchés en avant pour ne pas perdre une miette des robots géants pulvérisant sans faiblir des dizaines de tanks et avions nord-coréens.








Il nous est impossible de vous raconter précisément ce qui se passe dans le film, tout le monde ayant été largué par le scénario autour de la 45e minute. La fin en tous cas revient au vrai film du début, avec les enfants endormis dans la tente tenant à la main des jouets en forme de robots, suggérant que tout n'était qu'un rêve. Les trois Nordistes sont abattus au cours d'une fusillade molle et presque fade après un tel déchaînement nanar. On s'apprête tranquillement à voir apparaître le mot « fin » quand soudain, sans prévenir, le film repasse en dessin animé et repart encore plus loin dans la folie furieuse. Cette fois plus personne n'essaie de comprendre, cette fois il n'y a plus rien à comprendre, c'est l'absurde au pouvoir, c'est l'apothéose finale. Ghor et Lantak nous ont rejoint un peu plus tôt, nous sommes maintenant sept les yeux rivés sur le petit écran, la bouche ouverte et des larmes de rire encore plein les yeux. Après trois minutes le film se termine enfin, c'était magique.












Ça c’est de l’explosion bien dessinée, madame !


5/5, pour ce tout premier dessin animé nanar chroniqué ici.

Une lobby card.

- Barracuda & Nikita -
Moyenne : 4.29 / 5
Barracuda & Nikita
NOTE
5/ 5
Kobal
NOTE
5/ 5
John Nada
NOTE
4.5/ 5
Mayonne
NOTE
3.5/ 5
Labroche
NOTE
4.5/ 5
MrKlaus
NOTE
4/ 5
Wallflowers
NOTE
3.75/ 5
Drexl
NOTE
3/ 5
Barracuda
NOTE
5/ 5
Nikita
NOTE
5/ 5
Rico
NOTE
4/ 5
Jack Tillman
NOTE
4.25/ 5

Cote de rareté - 3/ Rare

Barème de notation

Le film, très méconnu, ne semble avoir bénéficié en France que de deux édition VHS successives chez "Scherzo". A surveiller, perdu dans les bacs à solde de films pour enfants !


L'autre version "Scherzo", collection Cosmos !


Aux Etats-Unis, un DVD toutes zones existe chez "Digiview Entertainment" mais ne comporte qu'une piste anglaise (visuel en début de chronique).


La VHS britannique (notez comme le robot ressemble à celui du film).


La jaquette polonaise.



La jaquette russe. Ils ont vendu cette chose dans le monde entier !

Bonus

Interview exclusive : l’avis d’un professionnel du DA sur « Les Aventuriers du Système Solaire »


Sidney Kombo Kitembo travaille depuis plusieurs années dans le dessin animé. « Character Designer » (créateur de personnages) et « Character Animator », il a été en 2002 le lauréat du Prix Arte France au concours international de projet du festival d’Annecy pour son court-métrage « Parabole du Semeur ». Il a depuis travaillé sur plusieurs séries de dessins animés diffusées sur les chaînes de TV nationales [Mise à jour : il a surtout travaillé par la suite sur des productions Marvel comme Les Gardiens de la Galaxie, Avengers : L'Ère d'Ultron et Avengers: Infinity War, mais aussi Gravity ou La Planète des singes : Suprématie ! Il travaille aujourd’hui chez Weta Digital (Nouvelle-Zélande), le studio créé par Peter Jackson]. Nous lui avons demandé ses réactions à chaud, en lui montrant des extraits des « Aventuriers du Système Solaire ». On ne peut pas dire qu’il ait été favorablement impressionné.

Propos recueillis en 2005 par Labroche.



Quelles sont tes premières impressions devant un tel dessin animé ?

Sidney Kombo (visiblement consterné) : Pfff… franchement je ne sais pas si on donnerait un diplôme à un étudiant dans une école pour un truc comme ça... C'est pas sérieux ! C'est traité comme un dessin animé de série et puis, c'est très vieux.

Et techniquement, qu’en pense le professionnel ?

Les animations sont extrêmement limitées. Sur la plupart des plans, les cycles se font uniquement au niveau de la bouche. L'acting (les mouvements des personnages) est quasiment inexistant, et le film semble contenir un maximum « d'anim’ partielle ».


Dans beaucoup de plans, rien ne bouge. Il font un film avec du son et des images fixes : à ce niveau ils sont invincibles et… putain, c’est vieux ! Ils font de la « réut’ » à fond ! [Nanarland : « Réut’ » pour « réutilisation ». Technique d’animation qui consiste à utiliser plusieurs fois la même animation pour allonger la durée d’un plan]. Les rythmes de narration par contre ne sont pas mauvais, ça on ne peut pas l'enlever : si le spectateur ne fait pas attention il peut se laisser porter d'un plan à l'autre sans remarquer à quelle point l'animation est inexistante.

Peut-on en déduire que le film est bien réalisé ?

Non, faut quand même pas déconner. Techniquement c’est vraiment n’importe quoi ! Dans beaucoup de plans, la bouche est tordue, on dirait que le dessin est mal posé. Un truc très emmerdant aussi, c’est le cut systématique des voix : il n’y a pas de voix « off champs « [autrement dit une voix que l’on entend même quand le personnage n’est pas à l’écran].


Au-delà de ce que raconte l’histoire, tout cela s’apparente plus à un story-board filmé, à du « layout posing ». Excepté les cycles de la bouche il n’y a aucune animation. Il n’y a même pas de « blink » [Nanarland : clignements d’yeux], donc c’est grave. C’est pire qu’une animation à l’économie… il n’y a pas de budget !

Et pour ce qui est des proportions qui nous sont parfois apparues un peu fantaisistes ?

C’est clair qu’il y a souvent un mauvais « relation size » d’un plan à l’autre. C’est vraiment signe d’un mauvais travail du réalisateur.


Ah bon, ce n’est pas les dessinateurs qui sont à blâmer ?

Ah ben non, ce n’est pas la faute du dessinateur. C’est le réalisateur qui n’a fait attention à rien !

Donc si l’on devait désigner le grand responsable de tout cela ?

Le réalisateur ! C’est à lui de chercher les choses qui ne vont pas. Si le résultat final est si mauvais c’est qu’il l’a validé ainsi. Quand on cherche des problèmes, c’est toujours la faute du réalisateur. Je vous garantis que les dessinateurs travaillent encore. Le réalisateur par contre… il a dû changer de métier !