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Entretien avec
Tommy Wiseau & Greg Sestero


Tommy Wiseau & Greg Sestero

En février 2013, l'association Panic Cinéma organisait à Paris une projection de The Room, l'œuvre majeure du très fantasque réalisateur Tommy Wiseau. Cette projection eut lieu en présence de l'artiste et de son acteur principal - et ami - Greg Sestero, dont nous avons découvert, à l'occasion, les origines françaises.

Certes, depuis une dizaine d'années que The Room est sorti aux États-Unis et tourne partout dans le monde à l'occasion de projections plus ou moins officielles, les interviews et autres prestations de Tommy Wiseau sont nombreuses sur le web, même si - il faut bien l'avouer - celles-ci tournent rapidement, du fait de la malveillance ricanante des interviewers ou des réponses cryptiques de l'auteur, à l'équivalent journalistique d'un dîner de cons. Telle n'était pas notre intention en allant à la rencontre de Tommy Wiseau car c'était le réalisateur que nous souhaitions interviewer et non le couillon sublime que celui-ci est devenu, entretemps, sur Internet.

...Mais Tommy Wiseau n'en reste pas moins Tommy Wiseau ! Entre sa maîtrise très approximative de l'anglais (au point qu'en dépit de ses allégations, nous doutons qu'il soit réellement américain, glosant plutôt sur une origine slave qu'il chercherait à dissimuler), son sens si particulier de la métaphore et sa capacité à éluder les questions dérangeantes, le personnage demeure encore un mystère. De même, pour des raisons de décence, nous avons évité de l'interroger sur certains à-côtés de son film et, notamment, sur la participation financière de la productrice Chloe Lietzke au projet, celle-ci étant décédée quelques temps auparavant.

Fidèle à sa réputation, Tommy Wiseau élude, Tommy Wiseau esquive, Tommy Wiseau ment, parfois intentionnellement, parfois par omission, et répond presque toujours à côté de la question posée. De fait, la genèse de The Room demeure encore énigmatique, mais cet entretien apporte un certain éclairage sur la personnalité très éthérée du réalisateur. Pour une meilleure compréhension, nous avons considérablement réduit l'oralité des propos, perdant certes au passage tout le sel de l'élocution « wiseauesque », mais garantissant une lecture plus confortable. En revanche, nous avons conservé à dessein quelques idiosyncrasies typiques du personnage (les incessants « Long story short » et autres « et caetera » dont il ponctue ses interventions) ainsi que les didascalies de Greg Sestero, très révélatrices des énormités proférées par Tommy Wiseau.

Bonne lecture, donc. Et cætera, et cætera !

Interview menée par François Kahn (Sledgehammer) et Benjamin d'Alguerre (Zord) en février 2013.


Racontez-nous votre parcours avant de vous lancer dans le théâtre, puis le cinéma. Qui est, en réalité, Tommy Wiseau ?

Tommy Wiseau : (rires) Tout vous raconter prendrait au minimum deux ans ! Alors, je vais vous donner les grandes lignes, d'accord ? J'ai grandi à la Nouvelle Orléans, en Louisiane. Long story short, je me suis installé dans la baie de San Francisco et je suis allé au, comment encore ?, oui, au Laney College. C'est là que j'ai commencé à m'intéresser à faire du cinéma. J'ai toujours eu tendance à remplir tous les bouts de papier qui me passaient par la main, à écrire des pages et des pages... Alors, j'ai écrit un premier livre. Ça devait être une pièce de théâtre dont l'histoire était déjà celle de The Room. De cette pièce est née un script et à partir de ce script, nous avons décidé de tourner The Room, le film. Là-bas, j'étais acteur dans des pièces. J'aime beaucoup le théâtre, la scène. J'en ai vu la psychologie et j'ai beaucoup de curiosité pour la politique et cætera, et cætera...



Quant à vous, Greg, vous avez des origines françaises...

Greg Sestero : Ma mère est de Grenoble à la base et elle a émigré aux États-Unis. Donc j'ai grandi bilingue, anglais et français. Et j'ai fait beaucoup de séjours en France quand j'étais petit. Je m'y plaisais beaucoup.

Comment a germé, puis s'est développé, le projet de The Room ?

Tommy Wiseau : La raison pour laquelle j'ai décidé d'en tirer un film vient de mes découvertes. Je vous ai parlé de mon intérêt pour la psychologie. J'ai fait des recherches et j'ai découvert que très peu d'Américains vont au théâtre, moins en fait que de gens qui vont au cinéma. Et en plus, c'est très cher. En Amérique, faire une mise en scène a un coût exorbitant. Et vous avez des limites, vous devez la jouer deux semaines, pas plus. Et vous assumez les risques. Alors, j'ai décidé de tout prendre en charge moi-même et je leur ai dit : « Vous savez quoi ? Je peux faire toute cette pièce (I can do all this play). » C'est ce que j'ai changé.

L'ironie, c'est qu'aujourd'hui, on joue vraiment la pièce. On a donné des représentations il y a deux ans à l'American Film Institute à Washington, D.C., sur scène ! Il y avait Greg [Sestero] dans la distribution. Et cette mise en scène, on va la faire à Broadway et caetera, et caetera... (Greg Sestero soupire et lève les yeux au ciel...)

Mais pour répondre à votre question, la mise en scène d'une pièce de théâtre est différente de la réalisation d'un film ou d'un téléfilm. On doit choisir dans quelle direction aller. Et on dispose d'une heure contre une heure et demie... Il y a plein d'éléments à prendre en compte pour la mise en scène au théâtre ou comparé à la version film. Et puis, il y a le public. C'est un autre public. Il y a plein d'aspects différents. Bon, allez, question suivante !

Quelles sont vos influences en matière de cinéma ? Qui sont les réalisateurs, les acteurs ou les films qui vous ont inspiré ?

Tommy Wiseau : Je me suis influencé moi-même ! Mais comme je l'ai déjà dit dans de précédentes interviews, si je devais retenir quelques inspirations, je citerais Citizen Kane, Orson Welles, Cléopâtre, Elizabeth Taylor, James Dean ou Casablanca, par exemple. Et bien d'autres ! Je suis un grand fan des réalisateurs américains. Je pourrais vous citer plein de noms, mais ça ne serait pas forcément intéressant. Je vais à la rencontre de tous les grands réalisateurs, que ça soit celui-ci ou celui-la.

Mes influences ?... J'aime la vie, figurez-vous. La vie m'influence également pour faire ce que j'ai envie de faire. Ce qui est ironique, c'est que des gens mettent en avant l'âme. C'est souvent une zone trouble. Ces personnes vont assez loin et disent : « Oui, j'ai des influences indirectes, pas frontales. Peut-être untel ou untel à cause d'une oeuvre bien particulière. » C'est « Il faut que je le fasse. » Moi, je ne suis pas comme ça.

Connaissez-vous le cinéma français ? Si oui, qu'en pensez-vous ?

Tommy Wiseau : Ouais. Il m'arrive de regarder des films français. J'en ai vu quelques-uns. Pas encore à Paris (rires). Les Français ont une "couleur" différente. Aux États-Unis, notre style est différent. On peut comparer par exemple le cinéma japonais, le cinéma français et le cinéma allemand. Je les regarde tous pour avoir des échantillons différents. Et je les ai étudiés. Ils ont tous une certaine vibration. Et là, vous regardez des films américains et vous vous dites: « Minute ! C'est encore différent ! »

L'ironie, c'est qu'on peut trouver un public pour n'importe quel film. Il faut se battre pour ça ou que le public accroche au film. Dans le cas de The Room - comme vous avez pu vous en rendre compte - le monde entier a accroché ! On l'a projeté de Londres, au Canada, en passant par la Nouvelle-Zélande, le Danemark et, pour la première fois aujourd'hui [16 février 2013], en France. Je suis très heureux d'être là aujourd'hui et j'aimerais d'ailleurs saluer et remercier tous les fans de The Room en France. Nous sommes là grâce à eux. Comme vous le savez, les séances vont se jouer à guichet fermé. J'espère bien que tout le public français pourra voir The Room au moins une fois.

Y a-t-il des films français qui vous ont inspiré ?

Tommy Wiseau : Comme je viens de vous le dire, je n'aime pas mettre l'accent sur les noms ou les titres. Oui, j'ai vu quelques films français, mais je déteste le "name-dropping".

Et que pensez vous de Paris ?

Tommy Wiseau : J'y suis déjà passé. J'aime l'architecture, les bâtiments anciens, donc c'est une ville qui me plaît. Je dis toujours en Amérique « Allez à Paris, passez un bon moment. » Il y a plein de choses à voir.

Greg, vous aimez beaucoup le cinéma français de votre côté...

Greg Sestero : (Entièrement en français dans le texte) Mes films préférés, ceux que j'ai vus quand j'étais jeune, c'était par exemple Jean de Florette. J'ai beaucoup aimé ce film et après ça j'ai continué à suivre la carrière de Daniel Auteuil. J'ai vu Manon des Sources, Le Huitième Jour, La Doublure. Je pense qu'il a vraiment fait une bonne carrière parce qu'il peut jouer dans des films dramatiques et de la comédie. Oui, j'adore le cinéma français, c'est très bien...

D'où vient le financement de The Room ?

Tommy Wiseau : L'argent est incontournable. Mais quand on vit en Amérique, les rêves se réalisent, n'est-ce pas ? (rires) C'est une bonne question en fait. J'ai trouvé quelques investisseurs qui ont cru en moi et m'ont accordé les fonds nécessaires pour le projet. De plus, j'ai toujours été avisé en affaires. J'ai par exemple investi dans la construction dans la région de la Baie et je n'ai plus à m'inquiéter pour mes revenus.

Si The Room a coûté autant, c'est que nous avons filmé avec deux caméras, l'une vidéo HD, l'autre 35 mm et il a fallu investir dans le matériel nécessaire. Je l'ai déjà expliqué dans plusieurs interviews que vous pouvez lire sur Internet mais je suis toujours là pour répondre à cette question et j'insiste, la raison numéro un d'un tel budget, c'était le tournage avec deux caméras.

Tournage à deux caméras.

La raison numéro deux, c'est qu'on voulait étudier la HD face au 35 mm. Aujourd'hui, l'industrie cinématographique tourne à 90 % avec des caméras HD, Panasonic, Sony, etc., Mais lorsque j'ai réalisé le film, il y a dix ans, ce n'était pas le cas. À l'époque, dans le système hollywoodien et en dehors - et vous pourrez certainement confirmer pour la France - comme vous le savez sûrement, vous qui vivez en France - c'était le 35 mm, et lorsque nous avons sorti The Room, il fallait du 35 mm. Maintenant, les gens réclament du Blu-Ray et des trucs dans le genre... l'industrie cinématographique a changé !

Mais pour répondre à votre question sur le montage financier du film, je dirais simplement que lorsque vous croyez en vous-mêmes, il faut faire le plongeon.

Ce qui est ironique, c'est qu'Hollywood ne m'a pas aidé comme j'aurais cru qu'on le ferait, mais c'est ainsi ! D'ailleurs, je n'ai rien contre Hollywood. Hollywood est une ville unique en son genre. On peut y trouver un paquet de gens qui vous encouragent et, depuis quelques années, des stars hollywoodiennes défendent également The Room ! Les gens ont compris le film. Les cadres de tous les gros studios, je les croise dans des soirées. Et on discute : « Alors, comment ça va ? - Super ! - Au fait, j'aime beaucoup votre The Room. » Je suis très heureux de pouvoir répéter ça.

De nombreux comiques et stars se déclarent fans de The Room. Seth Rogen, Kristen Bell, Alec Baldwin, Jonah Hill, Patton Oswalt et beaucoup d'autres vantent votre film et s'amusent à en rejouer certaines scènes entre eux. Comment vivez-vous cette notoriété ?

Tommy Wiseau : J'aurais des tas d'anecdotes à raconter. On a un paquet de supporters, de gens qui disent « Ce mec, il a vraiment fait un truc bien ! » (rires). Mais vous savez quoi ? Il y dix ans, j'ai reçu un message comme quoi je serais le dernier dans la blague. Non, j'étais le premier dans la blague, le premier à rire du film. (Greg Sestero réprime péniblement un fou rire) Je voulais que les gens rient tout du long ! Et oui, nos fans sont nombreux ! Je n'ai rien fait pour, mais beaucoup parlent spontanément de The Room, dont des stars qui vont même jusqu'à mentionner le film dans des séries télé et des émissions. Vous citiez Kristen Bell. Je prends comme un compliment le fait qu'elle ou d'autres payent de leur personne pour faire connaître le film. On ne leur a pas versé d'argent. Leur déclaration d'amour est spontanée. C'est génial.

Combien de temps le tournage a-t-il duré ?

Tommy Wiseau : Six mois. Il faut garder à l'esprit qu'on travaillait avec deux syndicats distincts, celui de Los Angeles et celui de San Francisco. Deux syndicats, deux endroits. Et en fait, deux villes.

Vous pensiez que ça durerait aussi longtemps ?

Tommy Wiseau : Encore une fois, c'est une sacrée bonne question ! En fait on a changé toute l'équipe à quatre reprises ! Y compris les acteurs. Ce qui est ironique, c'est que des gens ont voulu modifier mon projet. Ça a créé des complications que je n'avais pas anticipées. Dans l'idéal, le film aurait dû être bouclé en deux-trois semaines. En fait, on a tourné six mois.

Les scènes sur le toit de l'immeuble ont en fait été tournées en studio sur fond vert. Pourquoi ne pas les avoir filmées à San Francisco ?

Tommy Wiseau : D'une part, pour des raisons de coût. On avait déjà deux caméras. Si on faisait venir à San Francisco tous les gens dont avait besoin pour ces scènes, ça aurait coûté très cher. D'autre part, je voulais expérimenter avec le fond vert. C'est la raison.

Il y a eu des accrochages sur le plateau ?

Tommy Wiseau : Oh que oui... Des centaines. Non, c'est un mensonge... Je vais corriger ma réponse. Il y en a eu des milliers... Que ça soit le type des lumières ou pour un autre truc, c'était conflit conflit conflit. C'est pour ça que j'ai dû changer l'équipe quatre fois. Je veux faire les choses à ma façon. Ce que vous pouvez voir c'est ma manière de façon absolue à 100 %. Cent pour cent (en français dans le texte). Oui, monsieur !

Pourquoi avoir également changé la distribution autant de fois ?

Tommy Wiseau : Cela vient de mon expérience du théâtre. Tous les acteurs ont des doublures dans chaque rôle. J'avais plusieurs choix, même pour mon rôle de Johnny. Certains acteurs faisaient de leur mieux pendant les répétitions, ils avaient l'air bien mais quand les répétitions progressaient, un truc ne passait pas. Donc j'ai choisi de remplacer certains des acteurs. Et, pour être honnête avec vous, certains sont partis. Et il nous a fallu nous y prendre à quatre fois pour avoir les bons comédiens.

Greg, comment vous-êtes vous retrouvé à jouer dans The Room ?

Greg Sestero : Un peu par hasard. J'ai suivi un cours d'interprétation à San Francisco et j'y ai rencontré Tommy. Pile à ce moment, il montait The Room. Au départ je devais simplement superviser la production, puis à un moment donné j'ai hérité du rôle de Mark.

Comment décririez-vous Tommy en tant que réalisateur ?

Greg Sestero : Un réalisateur très passionné, énergique et totalement unique.

Tommy, en plus des acteurs que vous avez remplacés, il y a même eu des acteurs qui sont partis en cours de tournage, comme Kyle Vogt, qui jouait Peter, le psychiatre.

Tommy Wiseau : Il y a eu un conflit d'intérêt, si je puis dire. (rires) Il devait tourner un autre film. On a trouvé une solution en le remplaçant par un nouveau personnage, Steven, dans les autres scènes. L'histoire exigeait qu'il y ait quelqu'un dans le rôle en question car c'était un personnage majeur. J'ai changé son nom et hop ! Nouveau personnage ! Même si, à y réfléchir, le script était identique. C'est vrai, nous n'avons pas changé le script.

Certains personnages changent de nom et d'acteur en cours de route, mais il y a aussi des personnages dont l'identité reste floue. Denny est-il, par exemple, un enfant, un ado ou un jeune adulte ?

Tommy Wiseau : En fait, Denny est handicapé mental.

Le personnage ou l'acteur ?

Tommy Wiseau : (Rires) Ouais, bonne question ! J'aime beaucoup (en français dans le texte). Le personnage. Je ne sais pas si vous vous en souvenez, si vous avez vu The Room, il y a une scène où Lisa et Johnny commencent à faire l'amour et Denny s'incruste pour demander s'il peut regarder. Ça, c'est le handicap, parce que les gens ne parlent pas comme ça d'habitude. L'idée était, avec douceur, que le public se dise « Hein ! Pourquoi il dit ça ? ». Mais en fait, quand vous êtes chez vous, ça arrive pour de vrai en France, ou à Londres, ou en Amérique que des gosses se rendent dans votre chambre à coucher et disent « Oh, je suis fatigué, je peux rester ? ». Et là, les parents vont dire : « Non, non, non, non... Pas maintenant. Peut-être plus tard. »

Ici, la situation est la même parce que la relation entre Denny et Johnny ressemble à un rapport père-fils. Johnny est une figure paternelle, mais en même temps il conserve une distance. Ils ne sont pas proches à ce point-là. Il y aura toujours une distance. Il y en a toujours une avec les enfants en bas-âge.

Certains ont émis l'hypothèse que Denny était l'enfant naturel de Lisa et Johnny...

Tommy Wiseau : En fait il est adopté. Et une des raisons pour ça, je ne sais pas si vous la connaissez... Au fait, good question, j'aime ça. Donc une des raisons vient de mes études et de mes recherches et me tient à coeur... Figurez-vous qu'en Amérique on a aussi des enfants abandonnés... Donc je voulais présenter le personnage au public et leur montrer la réalité : « Attention, il y a des gens qui sont à la dérive, et ils ont besoin de votre aide. »

On voulait aussi aborder les problèmes de drogue en Amérique et c'est pour ça que Denny a des problèmes avec son dealer. À un moment, pendant la scène du toit, Claudette dit : « Allons police ! » (sic) et je réponds : « Quoi ? C'est impossible pour Denny. » C'est en fait un autre signal d'alerte. Une fois qu'un adolescent passe par la case « police », il aura un casier et caetera et caetera.

Un autre personnage problématique est Lisa. Est-elle une simple tentatrice qui trahit Johnny ou y a-t-il plus de profondeur chez ce personnage ?

Tommy Wiseau : Elle est très proche de la Cléopâtre d'Elizabeth Taylor et d'autres filles. Elle manipule son entourage pour accomplir ses ambitions. Mais en fin de compte, ça ne sert à rien. Mark finit par lui dire: « Je ne veux pas être avec toi. Notre relation ne compte pas. » En fait, il y a des choses dans la vie qui comptent plus que la trahison. Si vous lisez le livre de 800 pages duquel j'ai tiré le film, il y a davantage de détails sur Lisa, ses motivations, ses méthodes... Mais au fond combien y a-t-il de divorces dans le monde qui sont causés par la manipulation ? Les gens se mettent en couple et divorcent. Ce sont des sujets qui font partie de notre vie, où qu'on vive, France, Allemagne, Londres ou ailleurs.


Lisa est-elle représentative des femmes en général ?

Tommy Wiseau : Pas du tout. Il y a des femmes qui sont le contraire de Lisa. Encore une fois, The Room a pour but d'alerter. J'ai pour habitude de dire : « Ne vous attachez pas trop à une Lisa. C'est un simple cas et ça ne veut pas dire que vous devez finir comme ça. » C'est un message.

Greg, vous avez lu le script intégral du film.

Greg Sestero : Oui, et je suis un des rares privilégiés à avoir pu le consulter. (très diplomatique) Il était très détaillé et très unique dans son contenu.

Pourquoi selon vous votre personnage, Mark, est-il attiré par Lisa ?

Greg Sestero : Je n'ai toujours pas compris pourquoi. Je n'en ai en fait aucune idée.

Surtout que Johnny est quand même son meilleur ami...

Greg Sestero : ...mais n'oubliez pas que Lisa est tellement belle...

Tommy, votre personnage de Johnny semble avoir toutes les qualités : il est intelligent, généreux, attentionné. En dehors d'être dans le déni vis-à-vis de Lisa, quels sont ses défauts ?

Tommy Wiseau : Vous avez mis dans le mille. Johnny est dans le déni. Il rejette tout. Il refuse de croire que Mark, son ami, le trahit. Il y a une scène où ils font du jogging en smoking et ils parlent de femmes et caetera, et caetera... Et c'est pareil avec Lisa. Elle dit à sa mère : « Je ne l'aime plus » dans une des scènes et sa mère lui répond : « Non, non, non... C'est ta sécurité financière. » Vous voyez ce que je veux dire ? Bref, tout s'écroule et Johnny refuse de voir les choses en face. Il n'y arrive pas. Ça n'a rien d'atypique. Il y a beaucoup de personnes en Amérique qui finissent par craquer. Jeunes, adultes... Il y a eu beaucoup d'accidents comme ça ces dernières années, comme vous pouvez le vérifier. À un moment les gens s'arrêtent et quand je dis « arrêter », c'est au sens où les gens ne supportent plus leur vie. Trop d'émotions négatives. C'est ce qui arrive à Johnny. Il ne supporte plus sa vie. Il dit à ce moment : « Je ne peux plus. Dieu, pardonne-moi. » Qu'est-ce qu'il y a derrière ces mots ?

Pourtant Johnny est apprécié de tous les personnages du film en dehors de Lisa et de Mark. Pourquoi ne font-ils rien pour l'aider ?

Tommy Wiseau : Les gens essayent de le prévenir, mais il est déjà trop tard. Le mal est fait. C'est comme dans l'expression : « Deux valent mieux que trois. Trois c'est trop. » (Nanarland : « Two is better than three. Three is crowd », amalgame wiseauesque entre « Two is better than one » et « Two's company, three's a crowd »...)

Vous parliez des scènes en smoking. La partie de football américain en smoking est une des images les plus étranges du film et une des plus « cultes » pour les fans. D'où vous est venue cette idée ?

Tommy Wiseau : C'était fait exprès. Après tout, pourquoi ne pas jouer au football en smoking ? Là encore, c'est très ironique, dans les dernières années, à la télé américaine, on peut voir de plus en plus de gens jouer au football américain à un mètre de distance. Mais pour The Room, certains avaient trouvé bizarre d'y jouer de cette façon. Vous savez d'où ça vient ?

Aucune idée...

Tommy Wiseau : Good answer! Je vais vous dire : je regarde des gosses dans un parc. J'en vois deux qui se passent la balle à un mètre de distance. Oui, absolument. Vous allez dans n'importe quel parc américain, quand les gosses veulent jouer au football, ils sont à l'étroit et les distances sont petites. Alors j'ai trouvé cool qu'on puisse jouer au football dans n'importe quelle situation.

Pour l'élément du smoking, beaucoup sur le plateau ne comprenaient pas que les personnages jouent au football en smoking. Mais c'est ce que je voulais et c'est comme ça qu'on la fait.

Aujourd'hui, vous me posez la question. Je vais vous donner un conseil. Si vous avez le temps, mettez un smoking et jouez au football. On a d'ailleurs plein de fans qui viennent en costume et qui jouent au football américain.


Vous ne vouliez pas d'ailleurs être sportif professionnel ou rock-star quand vous étiez jeune ?

Tommy Wiseau : J'aime le sport. J'aime le football américain. J'ai d'ailleurs joué avec quelques vedettes mais ça n'est pas allé plus loin. Mais j'aime vraiment le football. C'est très ironique, plein de gens sont en ce moment en train de s'amuser à jouer au football américain. Vous le saviez que le football (soccer) et le football américain sont deux sports différents ?

Et oui, j'ai voulu être rockstar. Je n'aime pas citer des noms mais je vais faire exception ici. J'aime les Beatles. J'aime aussi Bon Jovi. C'est un type bien. Je trouve qu'il a un problème, mais c'est une très bonne rock-star.

Une autre scène culte, c'est celle où Claudette, la mère de Lisa, mentionne son cancer et plus personne n'en parle ensuite.

Tommy Wiseau : C'est normal. J'ai lu une étude sur la question. On peut déjà soigner les cancers jusqu'à un certain point. Et je crois que dans dix ans, on aura un remède à 100 % efficace pour le cancer, vu ce que l'on fait déjà aujourd'hui dans le monde. C'est encore un domaine un peu flou, surtout pour les dames. On ne sait jamais exactement quand on en est victime.


Lorsque vous avez terminé le film, vous avez ensuite donné une première pour une raison technique, au départ...

Tommy Wiseau : Pour qu'on puisse soumettre le film aux Oscars, il fallait qu'il ait été projeté plusieurs fois dans un cinéma. On n'a pas eu d'Oscar, mais qui sait, la prochaine fois... (rires). On a donc donné une grande première, avec des limousines, la presse, et caetera. C'était un moment inoubliable. Plein de gens sont venus et on a fait la fête, et caetera. De mon côté, je n'ai pas changé d'un pouce. Mon objectif, c'était que le gens passent un moment bath. C'est tout. Et des gens disaient : « Bon sang ! C'est quoi ce truc ? ». D'autres disaient : « Hmmm.... J'aime bien » et tout le monde avait un avis différent. On a des images, on devrait peut-être les mettre sur le web.

Vous vous attendiez à ce que des gens rient ?

Bien sûr. Bon après les deux semaines de projection en Amérique, on pouvait le sortir en DVD. Mais figurez-vous, long story short, que des gens voulaient encore voir The Room au cinéma. On a reçu un millier de mails et j'ai décidé de le faire projeter à la séance de minuit, qui a en fait eu lieu à dix heures ou à sept heures du soir, en salle de projection du Wilshire. Et pendant cette projection, il y avait des gens dehors, il y avait trop de monde et on a eu des problèmes avec les pompiers. Long story short, j'ai dit : « Bon, on n'a qu'à faire d'autres séances de minuit. » C'est ce qu'on a fait, et on a eu un paquet de gens et on a mis un panneau publicitaire près d'une voie rapide, et caetera et caetera. C'est comme ça que tout a commencé. Et c'est l'histoire de The Room.

Une tradition lors des séances de The Room, ce sont les commentaires à voix haute des spectateurs. Vous approuvez ?

Tommy Wiseau : À cent pour cent ! [en français dans le texte] Je veux que les gens passent un bon moment devant le film. Plus il y a de réactions, mieux c'est. J'aime les cris pendant la projection, tout ce qui passe par la tête des gens. C'est en fait une nouvelle forme de divertissement, où le public échange quelque chose et s'exprime. C'est pour ça que j'assiste à autant de séances que possible.

Vous savez tout de même qu'il existe une part de sarcasme et d'ironie et que le public se moque, quelque part, aussi de vous...

Tommy Wiseau : Ils peuvent dire tout ce qui leur passe par la tête ! Je suis pro-liberté, donc j'aime quand les gens s'expriment. Si quelqu'un dit « C'est nul », c'est son opinion. Je sais ce que je suis. Ça ne me touche pas, en fait.

Vous êtes toujours en contact avec les autres acteurs de The Room ?

Tommy Wiseau : Tout à fait. Tout le monde est invité. Juliette (Juliette Danielle, alias Lisa) vient parfois aux séances à Los Angeles. Et on a donné des séances à travers toute l'Amérique depuis neuf ans. Pas que Los Angeles, toutes les grandes villes et on est très contents.

Les réactions changent-elles selon les villes, les pays ?

Tommy Wiseau : C'est similaire. Les gens réagissent aux mêmes passages mais certains inventent leurs propres histoires. On a un élément commun. Les parties de football, par exemple. On revient de séances à Londres et à Liverpool. Des gens étaient en smoking. Je n'ai aucune idée de ce qui va se passer ce soir (Nanarland : l'interview s'est déroulée quelques heures avant la projection organisée au Nouveau Latina). Il y a souvent des choses qui reviennent : les smokings, la robe rouge - ça c'est pour Lisa - et quelques autres personnages. On a la même chose en Amérique. Au Canada... La même chose - on marche très bien au Canada.

Greg Sestero : C'est toujours un plaisir d'y assister et de faire le tour du monde grâce à ce film. Les fans sont presque toujours géniaux. Du coup, c'est toujours super de voir le film dans une salle de cinéma parce que chaque public transforme ça en une expérience unique. À Londres, on a entendu des choses qu'on n'avait jamais entendues ailleurs. Ça en fait pratiquement un autre film quand on le regarde avec un autre public.

Le tournage de The Room remonte à il y a dix ans. Quels sont vos projets en dehors des prochaines séances au cinéma du film ?

Tommy Wiseau : Après The Room, j'ai fait Homeless in America, un documentaire. J'ai joué dans le Tim and Eric Awesome Show qui est passé sur The Cartoon Network. J'ai fait le Tommy Wishow. On a fait The Neighbors. Et en ce moment, je travaille sur Foreclosure, et on va sortir ce long-métrage cette année. Vous en entendrez parler, ça parle de l'économie en Amérique, et caetera, et caetera. Et là, je travaille sur un film de vampires. Avec de la chance tout ça va aboutir. Et qui sait, il y aura peut-être quelqu'un en France pour me dire : « Tommy, on a un travail à te proposer. » Je répondrais probablement « oui » (rires). On va voir.

 

Que pouvez-vous nous dire sur The Neighbors ? (NdT : un projet de série apparemment inspiré de Friends).

Tommy Wiseau : C'est une sitcom dont on a tourné le pilote. Si des chaînes françaises sont intéressées, contactez-nous, on vous en enverra une copie. Et si la télé veut nous produire, tant mieux. On a le feu vert d'une chaîne en Amérique, mais ils ne veulent diffuser qu'un épisode. Je ne peux pas faire un seul épisode. Ça ne marche pas comme ça. C'est 15 épisodes ou rien. C'est dicté par les personnages. On a B.B, Charles et caetera et caetera. Ça tourne autour de leurs relations. Attention, c'est un projet télé.

De quoi parle votre film de vampires ?

Tommy Wiseau : Je compte travailler sur Vampires cette année et l'année prochaine mais d'abord ça sera Foreclosure puis le vampire. Le vampire c'est un bon vampire. Il prend le contrôle du monde.

Et le basketball ? Vous ne comptez pas réaliser un film sur le basket ? Vous y jouez ?

Tommy Wiseau : J'aime le basket. Ça va peut-être vous étonner mais sur le Blu-ray ou le DVD de The Room, il y a une scène coupée au montage où Denny et Chris-R jouent au basket. On l'a supprimée, donc peu de gens l'ont vue, mais on joue au basket dans The Room.

Greg, Vous êtes toujours acteur. Quand vous faites un casting, il doit bien arriver qu'on vous reconnaisse pour The Room. Ça vous aide ?

Greg Sestero : C'est à double tranchant. Si les gens aiment le film, tant mieux. Mais je dois évidemment aller de l'avant, montrer ce que je sais faire en dehors. C'est à moi de trouver ma place par rapport à ça. Je réfléchis bien entendu à ce que je vais faire ensuite. Mais je n'ai pas pris encore de décision.

Vous avez un livre sur The Room, prévu pour la rentrée, The Disaster Artist.

Greg Sestero : (un peu gêné par la présence de Tommy Wiseau et le souci de garder le secret) C'est une sorte d'essai, sur l'aventure derrière le film.

Et vous tourneriez à nouveau dans un film de Tommy ?

Greg Sestero : Comment refuser une telle occasion en or ?

Tommy Wiseau : Il faudrait d'abord que je te propose un rôle. Je n'ai pas encore pris de décision...

Votre film est souvent comparé au Rocky Horror Picture Show qui, 40 ans après sa sortie, connaît encore une séance par semaine à Paris. The Room peut-il connaître la même longévité ?

Tommy Wiseau : J'aimerais bien mais je n'en ai aucune idée. Cela dit, tout indique qu'on est partis pour ce que vous décrivez. On ne sait pas encore. Je suis un optimiste. Avec de la chance, je vous reparlerai l'année prochaine quand nous reviendrons ici et on verra où on en est. Je ne sais pas. Bon, vous êtes beaucoup à parler anglais en France. J'adore les Français. J'adore la cuisine. Vous êtes des gens bien. Vous avez aussi le droit de vous amuser. On est au bon endroit. Je vais voir comment ça se passe.

- Interview menée par La Team Nanarland -