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Entretien avec
Lamberto Bava


Lamberto Bava

Lamberto Bava, né à Rome le 3 avril 1944, est le fils du célèbre Mario Bava, maître de l'épouvante européenne des années 60 et 70. Passé à la réalisation après avoir été l'assistant de son père, il n'a jamais bénéficié de la même faveur critique que son géniteur et s'est vu au contraire qualifié de roi du nanar transalpin. Souvent accusé d'être un « fils indigne », Lamberto compte dans sa filmographie plus qu'inégale des thrillers, des films d'horreur et des séries B d'action. S'ils lui ont valu l'animosité de certains cinéphiles, ses films n'en témoignent pas moins des efforts d'un artisan consciencieux, amoureux incompris du cinéma de genre. Reconverti durant les années 90 en réalisateur de téléfilms à grand spectacle (La Caverne de la rose d'or), Lamberto Bava a bien voulu revenir pour nous sur sa carrière et s'expliquer aussi bien sur ses meilleurs films que sur la genèse de quelques superbes nanars dont il assume la paternité.

Interview menée par Nikita et Mr Klaus en octobre 2004, lors de la venue de Lamberto Bava à la Cinémathèque française.


Vous avez débuté comme assistant de votre père, le célèbre cinéaste Mario Bava. Quel fut votre première collaboration avec lui et quels souvenirs en gardez-vous ?

Le premier dont j'ai suivi toute la réalisation fut La Planète des vampires, en 1965, me semble-t-il. C'est l'un des rares exemples de film italien de science-fiction. Il a été tourné à Cinecittà. Ce qui était incroyable dans ce film, c'est que Mario Bava, mon père, a pu démontrer tout son talent de créateur d'atmosphères. Nous avions à disposition le studio 5 de Cinecittà qui est encore aujourd'hui, je crois, le plus grand d'Europe. Il y avait par terre du sable, qui figurait la planète. Un morceau de l'astronef, construit grandeur nature et puis dix rochers en plastique transparent. Du brouillard couvrait le tout et aidait à figurer une planète entière. Mon père usait de son savoir-faire pour transformer le décor et donner à de petits rochers l'aspect de montagnes apparaissant au loin. Je me souviens que pas mal de gens, à Cinecittà, venait voir les effets que Mario Bava mettait au point sur le plateau. Mon père était gentil, du coup il laissait entrer tout le monde, mais au bout d'un moment il y avait tant de passage qu'il était obligé de faire fermer la porte du studio pour pouvoir travailler. Le film était entièrement confectionné à l'aide de trucs et d'illusions : le décor de la cabine de pilotage était construit grandeur nature, mais le reste de l'astronef n'était composé que de panneaux de carton, de maquettes et de photos. Je me souviens que pour figurer un couloir du vaisseau, on avait mis le tube d'un vieil aspirateur devant le viseur de la caméra ! (rires)

Je me souviens que pour figurer un couloir du vaisseau, on avait mis le tube d'un vieil aspirateur devant le viseur de la caméra !

Ce film est considéré comme un ancêtre d'Alien, le huitième passager. Votre père a-t-il pu voir le film de Ridley Scott ?

Je ne crois pas. Je me souviens que je l'ai vu en compagnie de Dario Argento, à New York. Le film de Ridley Scott est clairement un hommage à celui de mon père, mais je ne le considère absolument pas comme un plagiat, au contraire de ce qu'ont dit certains. Il faut dire que grâce aux créations de Giger, il a son univers propre.

Concernant votre collaboration avec votre père, nous avons lu des informations contradictoires sur Les Démons de la Nuit (Schock, 1977), son avant-dernier film, sur lequel vous étiez assistant et scénariste. Dans certaines de vos déclarations, vous vous présentez uniquement comme assistant, d'autres de vos propos laisseraient entendre que la paternité du film vous reviendrait en partie. Avez-vous été co-réalisateur sur Les Démons de la Nuit, comme le prétendent certaines rumeurs ?

Non, mon père était l'unique responsable de la mise en scène de ce film. L'idée des Démons de la Nuit est née en partie d'une réflexion de mon père qui, quand il avait des problèmes avec des comédiens, disait « Ah, si on pouvait faire un film sans acteurs, avec uniquement des objets ! ». J'ai donc écrit avec Dardano Sacchetti une première version du scénario, où l'épouvante était davantage basée sur les objets et les décors que sur les personnages. Même si, évidemment, il y a des comédiens dans le film ! (rires) Le film porte ma marque en ce qui concerne le contexte du récit, sa construction. L'histoire se situe dans un univers contemporain, en partie réaliste, qui n'était pas celui que mon père restituait habituellement dans ses films. Il est vrai qu'il m'a fait tourner certaines scènes, plus ou moins comme réalisateur de seconde équipe, mais il se réservait les scènes importantes, qu'il voulait réaliser lui-même. Je ne peux donc pas être considéré comme co-réalisateur du film.

Pouvez-vous nous parler des Chiens enragés (Rabid dogs / Cani arrabbiati, 1974), un film de votre père qui fut mis sous séquestre pendant plus de vingt ans, avant d'être enfin distribué ? Vous avez, semble-t-il, tourné quelques scènes...

J'étais assistant à l'époque du tournage. Quand le film a pu être distribué, j'ai tourné quelques brèves scènes de raccord, notamment les premiers plans, et quelques plans avec la police. Il a fallu récupérer des uniformes et des voitures de police des années 70.

Comment votre père avait-il vécu la non-distribution de ce film, qui compte parmi ses plus grandes réussites ?

Mon père l'a pris, comme toujours, avec beaucoup de philosophie. Le film a été mis sous séquestre après la faillite de la maison de production. J'ai essayé en vain, pendant vingt ans, de récupérer les droits du film, mais il aurait fallu pour cela assumer le passif de la production ! Finalement, le film a pu être distribué mais j'ai regretté les conditions de sa distribution, car il a été très mal post-synchronisé dans sa version italienne. Je ne sais même pas qui s'est occupé de ce doublage lamentable... Mais au moins, le film peut maintenant être vu. J'ai fait ce que j'ai pu pour que le travail de mon père puisse survivre.

Les Chiens enragés (1974).

Pourquoi les acteurs d'origine n'ont-ils pas doublé le film ? Riccardo Cucciola est décédé, mais Luigi Montefiori, alias George Eastman, aurait par exemple pu faire la voix de son personnage...

Il me semble que nous avions pris contact avec George Eastman, mais cela ne s'est pas fait au final... Ceci dit, il a presque toujours été doublé dans la version italienne de ses films. C'était surtout une gueule. Beaucoup d'acteurs italiens de cinéma bis étaient doublés par d'autres comédiens. On peut citer Giuliano Gemma, qui a longtemps été doublé. D'ailleurs, j'ai l'impression que sa carrière a commencé à décliner à partir du moment où il s'est doublé lui-même ! Sinon, George Eastman est, aujourd'hui, principalement scénariste.

George Eastman

j'ai l'impression que sa carrière [Giuliano Gemma] a commencé à décliner à partir du moment où il s'est doublé lui-même !

Votre premier et meilleur film, Baiser macabre (1980), peut être considéré comme un hommage à votre père, si l'on considère notamment son ambiance envoûtante. Pourquoi n'avez vous pas persévéré dans ce style ?

Oui c'est exact, Baiser macabre peut être considéré comme un hommage que j'ai rendu à mon illustre père. En fait, au départ je croyais que ça serait Pupi Avati qui réaliserait Baiser macabre, mais quand je suis venu sur le tournage on m'a annoncé que finalement, au lieu de n'être que simple assistant j'avais carte blanche pour réaliser moi-même le film. Moi aussi, je le considère comme mon meilleur film. J'ai refait ensuite un film d'horreur dans ce style, La Maison de la terreur (1983), avec Andrea Ochippinti, mais je n'ai pas continué et je me suis lancé ensuite dans des oeuvres moins personnelles.


Vos premiers thrillers et films d'horreur, comme Midnight Horror (1986), vous faisaient apparaître comme un successeur de votre père. Vous vous êtes ensuite orienté vers un type de production davantage « à l'américaine ». Pourquoi cette évolution ?

Je ne dirais pas que mes films ressemblent à ceux de mon père, car le style en est différent. Mais il est clair que j'ai hérité de lui un tempérament qui me porte davantage vers l'horreur et le fantastique. Je serais parfaitement incapable de tourner une comédie ou une histoire d'amour. D'ailleurs, je n'irais pas non plus voir une histoire d'amour au cinéma...

Mais Blastfighter, l'Exécuteur (1984) et Apocalypse dans l'Océan Rouge (même année) ressemblent davantage à des films qu'auraient pu tourner Sergio Martino ou Enzo G. Castellari qu'à votre propre style.

Oui, mais je les ai signés du nom de « John Old Jr », en référence au pseudo de « John M. Old » qu'utilisait parfois mon père. Je ne renie en rien ces films, mais ils étaient pour moi, en quelque sorte, du travail de mercenaire. Blastfighter, l'Exécuteur est un film qui porte un peu plus ma marque. Le producteur voulait que je lui tourne une sorte de Rambo, mais j'ai voulu y mettre mes propres idées. Je pense d'ailleurs que le film fonctionne plutôt bien. Par contre, Apocalypse dans l'Océan Rouge m'a pour ainsi dire été mis sur les bras. Je me suis retrouvé avec un scénario déjà écrit, et un monstre mécanique, énorme, affreux, totalement inutilisable. Quand j'ai pris en main le film, j'ai tenté de le tirer vers une forme plus proche du thriller, en substituant au monstre, le plus possible, une caméra subjective. Ce sont deux films que j'ai tournés, mais qui ne me sont pas vraiment personnels.

Je me suis retrouvé avec un scénario déjà écrit, et un monstre mécanique, énorme, affreux, totalement inutilisable. Quand j'ai pris en main le film, j'ai tenté de le tirer vers une forme plus proche du thriller, en substituant au monstre, le plus possible, une caméra subjective.

Concernant l'acteur principal de ces deux films, Michael Sopkiw, une interview de lui (sur le défunt site www.insane.nu/kult) donne l'impression d'un comédien qui se moquait totalement de sa carrière. Vous donnait-il cette impression à l'époque ?

Avant d'être comédien, c'était surtout un mannequin. Il était gentil, bien qu'assez distant. Mais je ne pense pas qu'il se moquait de son métier. Au contraire, il souhaitait vraiment faire carrière comme acteur à l'époque. Il n'a pas pu tourner ces films uniquement pour l'argent, car il n'en a pas touché tant que ça. Simplement, il n'a plus rien fait ensuite, pour une raison que j'ignore. Je pense donc qu'il est normal qu'un comédien qui ne parvient plus à rien faire après trois ou quatre films ait tendance, après coup, à déprécier sa carrière. Mais bon, tous les mannequins qui veulent faire les acteurs n'y parviennent pas forcément !

Il paraît que Blastfighter, l'Exécuteur devait à l'origine être tourné par Lucio Fulci, sur un scénario sensiblement différent. Est-ce vrai ?

Le terme Blastfighter, l'Exécuteur plaisait beaucoup au producteur Luciano Martino. Cela devait à l'origine être le titre d'un film totalement différent, qu'aurait en effet tourné Fulci. Quand le projet est tombé à l'eau, il m'a demandé d'utiliser le titre pour mon propre film. De plus, il avait déjà pré-vendu un film avec le titre Blastfighter, l'Exécuteur, donc ça l'arrangeait que le mien s'appelle comme ça !

Au milieu des années 80, vous avez tourné une mini-série de téléfilms d'horreur pour la télévision privée italienne. Pouvez-vous nous parler de cette série, qui semble avoir signé le début de votre reconversion à la télévision ? Ces films ont été très critiqués par les fans de cinéma fantastique. Ont-ils été tournés rapidement ?

Les tournages n'ont pas été plus rapides que sur d'autres films. Cette série est née d'une commande du groupe Mediaset, qui m'a donné ainsi l'occasion de recycler de vieux scénarios inutilisés. J'ai appelé des collègues pour qu'ils m'aident à les adapter et j'ai pu ainsi proposer plusieurs projets. J'ai du inclure des éléments parodiques pour qu'ils soient acceptables à la télévision. Bon... je les ai tournés, et puis voilà ! Ces films se sont même bien exportés et certains sont sortis en salles dans certains pays ! Certes, je ne les place pas sur un pied d'égalité avec Démons, par exemple, mais bon... je suis avant tout un professionnel, pas un « auteur », qui tourne un film tous les dix ans pour préserver sa vision artistique !

Concernant justement Démons (1985), votre film le plus connu, n'êtes-vous pas un peu frustré qu'il soit souvent présenté comme un film de son producteur, Dario Argento ?

Non, c'est la loi du marketing. Dario est un ami, de toutes manières. Il est juste que les affiches aient indiqué « Dario Argento présente », puisque c'était le producteur. Mais la promotion de ces films a parfois de ces facéties. Quand j'ai tourné « Baiser macabre », mon premier film, Dario et mon père l'ont vu avec moi en projection privée et Dario m'a dit « Ton film est génial, il m'a fait peur ! ». Je l'ai rapporté dans une conversation privée, qui est arrivée jusqu'aux oreilles du distributeur, et les affiches ont finalement claironné « Le film qui a terrorisé Dario Argento ! ». Quand je l'ai découvert, j'étais assez surpris de voir le contenu de notre conversation s'étaler sur les murs de la ville (rires).


Vous avez ensuite opéré une brillante reconversion à la télévision, en tournant notamment la mini-série La Caverne de la rose d'or (cinq films entre 1991 et 1996). Quel a été le déclic qui vous a poussé à devenir réalisateur de téléfilms ? Etait-ce pour des raisons d'évolution du marché italien, ou pour des raisons financières ? Lucio Fulci a en effet dit dans une interview que les réalisateurs de films de genre, comme lui et votre père, ne faisaient hélas pas fortune...

Ma reconversion est venue d'une simple constatation : Démons, mon plus gros succès au box-office italien, a été vu par environ 450 000 personnes. Et il s'agissait d'un bon résultat à l'échelle de l'Italie. Or, à la télévision, un téléfilm qui marche moyennement à l'audimat sera vu par 3 millions de personnes ! Qui n'aurait pas envie que son travail soit vu par le plus de monde possible ? Avec La Caverne de la rose d'or, je peux me flatter d'avoir imposé à la télévision italienne un genre, celui du merveilleux et de l'heroic-fantasy, qui était jusqu'alors peu visité sous forme de téléfilms.


Vous avez tourné Le Masque du démon (1989), film homonyme du classique de votre père, qui vous a valu certaines critiques. On vous a accusé de sacrilège...

Mais non, c'était un hommage à mon père ! D'ailleurs, bien que le film ait été tiré de la même nouvelle de Gogol que le Masque du démon originel, l'adaptation était totalement différente. Je l'ai en fait tourné pour la télévision. L'idée était celle de tourner une coproduction entre six pays européens, chaque pays, France, Espagne, etc., tournant son propre film d'épouvante. Finalement, comme tous les pays n'ont pas réalisé leur part, le projet est tombé à l'eau et il ne me semble pas que mon film ait été distribué où que ce soit.

Où en êtes-vous aujourd'hui ?

Je fais un break, car il ne m'est aujourd'hui plus possible d'imposer à la télévision des sujets qui m'intéressent. Il faudrait se plier à trop de contraintes budgétaires. Je ne dis pas que je voudrais tourner une énième suite à La Caverne de la rose d'or - Dieu m'en préserve ! - mais j'ai des projets qui ne peuvent malheureusement pas aboutir dans le contexte actuel.

Merci, Monsieur Bava.

Merci à vous.

- Interview menée par La Team Nanarland -