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Plein Fer

(1ère publication de cette chronique : 2021)
Plein Fer

Titre original : Plein Fer

Titre(s) alternatif(s) : Aucun

Réalisateur(s) : Josée Dayan

Année : 1990

Nationalité : Française

Durée : 1h29

Genre : Plein four

Acteurs principaux : Bernadette Lafont, Jean-Pierre Bisson, Patrick Bouchitey, Olivier Martinez, Serge Reggiani, François Négret

Kobal
NOTE
1.5 / 5

Il est de ces films dont le génie marketing parvient à créer une bande-annonce suffisamment intrigante et prometteuse pour faire palpiter le cœur du nanardeur en quête de nouveauté. Plein Fer est de ceux-là, pour avoir eu droit à une diffusion de son trailer lors d'une Nuit Nanarland, déclenchant un crush immédiat rapidement frustré par l'introuvabilité de l’œuvre. Mais il ne faut jamais désespérer des résurrections improbables qu'autorisent les internets et leur irrespect des droits de diffusion (ce que nous dénonçons avec une vigueur toute hypocrite, bien entendu).

Plein fer incarne le pendant français méconnu des univers shonens monomaniaques japonais dans lesquels toute la société, l'économie, la philosophie, la culture et les relations humaines gravitent autour d'une activité unique. Pensez bien fort à Pokemon, à Yugioh ou à Bey Blades... puis insérez dans vos tourments mentaux une passion nationale : la pétanque. Oui, Plein Fer est un polar sportif entièrement consacré à la pétanque, personne n'en rêvait et pourtant, Josée Dayan l'a fait. Enfin je dis pétanque, béotien que je suis, mais précisons que personne ne nommera jamais ainsi cette activité dans le film. Non, les vrais, les purs, les durs, parlent de "la boule". Et en dehors de la boule, point de salut ni même d'existence. Chaque instant, chaque pensée, chaque action, chaque destin n'a de sens profond qu'en rapport à la boule.


On éliminera d'emblée tout calembour en rapport avec un célèbre habitant du Fort Boyard plus réputé pour sa pratique des cochoncetés que du cochonnet.

Prenez Jean par exemple. Jean n'existe que parce qu'il est fils d'un champion de boules mort dans des circonstances troubles, statut filial qui suffit à résumer son identité jusqu'à lui dénier toute individualité : Jean est interdit de porter son nom de famille, d'en savoir trop sur ses origines, de mener une vie ordinaire de jeune provençal insouciant. La loi de la boule exige que Jean se contente de demeurer ce simple rouage d'un complot sportif complexe, ourdi par son grand-père et visant à venger l'honneur familial bafoué par l'intolérable souillure de la défaite. Oui, derrière cette façade de papy idéal qui parle lentémen avé son bel assent chantant du sudeuh, et affiche constamment un doux sourire sur son visage tellement buriné par le soleil méditerranéen qu'on dirait un muppet, se cache finalement une ordure manipulatrice qui conspire comme il respire et alimente d'ancestrales guerres claniques, siégeant crânement sur son trône d’entrepôt désaffecté. Tout était déjà planifié avant la naissance de Jean alors c'est pas le p'tit counifle merdeux qui va tout faire foirer. Il va bien gentiment participer à des compétitions underground de boule sans pitié ni pardon, dont il a tout intérêt à faire gaffe de les remporter s'il veut conserver son intégrité physique.


Jean déprime sa vie. François Négret, son interprète, déprime quant à son lui son texte avec un jeu d'une platitude absolue.


Ne réveillez pas un pépé qui dort (Serge Reggiani).

Car il faut savoir que le monde de la boule ne rigole pas. Le moindre tournoi organisé à 23h devant 5 pélos bourrés dans les bas-fonds marseillais ne tolère aucune entourloupe. Malheur à quiconque oserait farcir sa boule de coton et de mercure pour fausser le game : tout engin suspect est immédiatement scié en 2 et le contrevenant subit alors une marave en règle, la tronche et les doigts étant broyés... à coups de boules de pétanque, évidemment ! Quant à l'artisan de cette fraude, il est carrément pendu dans son atelier !! Et que fait la police, me direz-vous ? Et bien elle n'existe pas dans cet univers. Aucune agent Jenny pour faire respecter les règles, et quel besoin d'ailleurs, quand vous avez des flopées de vieux à bérets qui se considèrent comme des gardiens de la tradition ? Et si jamais cela devait ne pas suffire, l'ultime arbitre reste le député-maire de la ville, bien évidemment impliqué jusqu'au cou dans toutes les magouilles liées au monde de la boule. Un problème ? Il lui suffit d'envoyer ses "sbires" (ne me regardez pas comme ça, c'est lui qui les nomme ainsi !) pour faire le ménage et organiser les suicides.

Monsieur le maire, qui comprend bien vite qu'il ne peut prétendre à Matignon car il n'y pas de partie de boule là-bas (Julien Giuomar, dont la voix de Devin dans "Astérix et le coup du menhir" en aura sans doute marqué plus d'un).


La carrière post-apo à minuit, parfaite pour s'essayer à quelques mènes.

Ça met toujours mal à l'aise de voir un sciage de boule.

C'est grâce à lui qu'est introduit le personnage naïf par lequel le spectateur peut en apprendre plus sur cet univers cryptique. Incarné par un Patrick Bouchitey en surjeu stratosphérique, Gauthier est un conseiller en communication, fraichement émoulu de l'ENA, et dont la lettre de mission consiste à permettre l'envol national de la carrière politique de monsieur le maire. L'occasion de voir ce que donne un technocrate parisien en plein stage phocéen. Résultat rapide : au bout d'une semaine, son salaire devient indexé sur les commissions tirées des paris illégaux sur les tournois de boule. Gauthier conserve néanmoins quelques lambeaux de sa culture énarquale car il fournit des reçus aux gens impliqués !!! Une semaine de plus et le voilà qui va casser du gitan à coups d'auto-tamponneuses sur fond de variét' française, une séquence d'anthologie d'un ridicule absolument catastrophique. Y'a pas à dire, c'est beau l'apprentissage du terrain.


Patrick Bouchitey en fait bien trop dans cet univers de dépressifs résignés.


Pascal (Olivier Martinez), pote/beauf de Jean, et victime de ses propres auto-tamponneuses.

De son côté, Jean va devoir creuser son sillon dans tous les boulodromes de la région pour faire sortir de sa planque Casino, star number ouane de la boule et dandy tabagique fatigué de son succès indétrôné, par ailleurs indirectement impliqué dans le destin tragique du père du jeune homme ; c'est Game of Thrones sans les dragons, l'action, le sang, la nudité féminine, les paysages, les dialogues, le charisme, etc. Mais notre héros malgré lui de cette geste sportive doit également gérer ses problèmes de coeur avec Sarah (belle séquence romantique alors qu'il fait un esclandre dans un aéroport pour empêcher sa belle de partir, à peine dérangé par un gentil vigile anté-9/11) et surmonter la pression grand-paternelle qui n'a de cesse de le ramener dans le droit chemin de la machination boulière. La vengeance, c'est un métier.


Casino (Jean-Pierre Bisson) qui semble hésiter entre se tirer une balle ou organiser sa défaite pour fuir la mafia locale. 


Le bougre a régulièrement une bonne tête de gweilo échappé d'un ninja flick hong-kongais. 


Sa femme est interprétée par une Bernadette Lafont en mode Brigitte Nielsen (mais habillée par Paco Rabanne, France éternelle oblige).

Un des aspects les plus frappants de Plein Fer, c'est l'ambiance mortifiante de frenchitude dépressive dans laquelle le film baigne en permanence. Tout le monde tire la gueule, les jeunes premiers semblent décidés à s'ouvrir les veines en contemplant l'horizon lointain, même les décors pleurent leur désespoir : entrepôts vides, carrières désertiques, arènes dépeuplées, manège d'auto-tamponneuse esseulé en bord de mer... Jamais le Sud n'aura autant ressemblé à Ouistreham vu par Bernard Launois dans Touch'pas à mon biniou. Au-delà de la pétanque, l'aspect provençal du film ne subsiste que dans les accents, les qualificatifs exotiques ("pistachier", "quaresmentrant") et les haines cuites et recuites auxquelles plus personne ne capte rien, mais qui continuent à broyer les nouvelles générations. Ah si, à un moment, on voit la Bonne Mère.


Pour compenser la dureté qu'a Sarah d'avoir 20 ans en 1990, un peu de gaieté avec un figurant qui sourit à la vie.


Ah mais alors le gang des Lyonnais, c'est rapport à la boule du même nom ?

Quant aux scènes de pétanque, imaginées comme le clou du spectacle de ce film thématique, elles sont anti-spectaculaires au possible, au point que certains spectateurs de ces affrontements acharnés s'endorment ! Même les retransmissions de championnats sur la TNT sont plus bandantes, alors qu'on n'y pratique pourtant pas le tir de carreaux dans la tête des perdants. Pire, on ne comprend rien à rien car le script ne prend jamais la peine d'expliquer un tant soit peu le déroulé des parties ou les règles de décompte des points, sur lesquels reposent pourtant les enjeux conflictuels, certains participants pouvant même sortir des jokers en plein match ! Effet garanti. A croire que Plein Fer se pensait réservé aux adeptes inconditionnels de la boule, quitte à snober ces putain de touristes qui se croient intégrés parce qu'ils portent des tongs.


En vrai, même les puristes ne s'y retrouvent pas, dixit ce commentaire retrouvé sur le forum du boulistenaute : "on voit bien que ce film a été réalisé par quelqu'un qui ne connaît rien au monde des boules (les joueurs jouent avec des boules neuves, partie d'intérêt en tat au provençal où se succèdent points à 10 cm et changements de couleurs, joueurs qui jouent en costume et en cravate...) ce qui est assez frustrant pour les initiés que nous sommes."


Un truc fascinant : tout le sud-est parie des sommes massives sur un match qui se tient en secret, sans aucun autre contrôle sur le résultat que les parties impliquées !

Achevez le tout avec le twist final, attendu comme le messie par le spectateur qui a bien compris depuis 1 heure que ce serait mieux que Jean arrête de jouer en gaucher et utilise enfin sa main droite dominante... ce qui finit par arriver au terme d'un interminable duel final, à la manière d'un soufflé tellement dégonflé qu'on n'aurait même pas pris la peine de le faire monter avant. Le truc est balancé dans la dernière minute de la dernière ligne droite du récit, comme si la réalisatrice venait de se rappeler son existence. Faut reconnaître qu'il ne sert de toute façon à rien, à l'image de toutes les manigances transgénérationnelles qui n'auront in fine aucun développement clair ni réel impact sur le déroulé des événements. C'est ça qu'on appelle faire Fanny, non ?


Barracuda résume mieux que moi ce qui semble se vouloir une conclusion heureuse : "la vengeance de sang de Jean, l'ange exterminateur de la boule, se termine par... la récupération de la carrière où il bosse, et pour laquelle il semble avoir un attachement émotionnel parfaitement démesuré".


La présence de Rock Siffredi au casting technique invite à penser la boule au pluriel.

Adaptation du roman éponyme de Serge Martina (qui a un petit rôle dans le film), Plein Fer a pour lui d'être un polar pour le moins original, en ce qu'il cherche à traiter d'une manière très sérieuse d'un sport foncièrement local, rarement vu sur grand écran. Ne survendons pas son rythme très mollasson et ses performances plus télévisuelles que réellement cinématographiques qui, malgré une sortie salle en 1990, demeurent très influencées par la mocheté urbaine décrépie des 80's à la française. Le point de rupture nanar surgit dans la dissonance entre l'imagerie pastaga en espadrilles sous le soleil qu'évoque spontanément la pétanque, et l'approche du film qui lui préfère la pègre et les règlements de comptes pluvieux dans une ambiance provençale tristoune abusant des violonnades mélodramatiques. Du petit nanar de niche à qui on ne pourra pas retirer sa véritable réussite : sa bande-annonce.

- Kobal -
Moyenne : 2.00 / 5
Kobal
NOTE
1.5 / 5
Barracuda
NOTE
2.5 / 5

Cote de rareté - 7/ Jamais Sorti

Barème de notation

Le film semble s'être contenté d'une sortie cinéma et de quelques passages sur petit écran. C'est parti pour la chasse à la copie de copie de copie d'une téléK7...

Pour la peine - et vu qu'on a qu'une unique affiche pour illustrer tout ça - on vous met quelques photos d'exploitation glanées sur un site de vente aux enchères du net. 7 photos d'époque pour 10 euros. On espère pour lui qu'après cette chronique et la consécration nanarlandaise pour ce film, le vendeur va pouvoir faire flamber ses prix !