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La Fiancée de la jungle

(1ère publication de cette chronique : 2009)
La Fiancée de la jungle

Titre original :The Bride and the Beast

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :Adrian Weiss

Année : 1958

Nationalité : Etats-Unis

Durée : 1H18

Genre : Gorille angora

Acteurs principaux :Steve Calvert, Charlotte Austin, Lance Fuller, Johnny Roth, William Justine, Gil Frye

Techniciens :Ed Wood

Kobal
NOTE
1/ 5



S'il est une tradition à laquelle Nanarland a toujours su faire honneur, c'est bien celle de proposer une chronique de chacune des perles rares que la Cinémathèque de Paris lui offre généreusement chaque année lors de l'incontournable et légendaire Nuit Excentrique. Laissez-vous donc aller au doux souvenir de ces séances de transe cinématographique collective : "The Frozen Dead", et ses têtes de nazis congelées ; le cultissime "Comtesse Hachisch", et son Cap'tain Mario dit Droit Devant ; "L'Île aux femmes nues", et sa voluptueuse Pataflan ; "Le Congrès des belles-mères", et son chant patriotico-misogyne.

Pour cette 5ème édition, Jean-François Rauger est allé dénicher en Belgique la seule version francophone existante (distribuée par "Pardon films" !) d'une obscure série B en noir et blanc, scénarisée par le mythique Ed Wood, et intitulée "La Fiancée de la jungle". A la lecture du programme, le spectateur pouvait d'avance se réjouir de profiter de la diffusion d'une rareté inédite en vidéo chez nous, vu qu'il ne la reverrait sans doute pas de sitôt.



Le résumé de "The Bride and the Beast", son titre original, s'offrait en plus le luxe de faire péter la cervelle du cinéphage déjà bien excité, avec cette simple phrase : "Agressée sexuellement par un grand singe le soir de ses noces, une jeune femme se souvient que dans une vie antérieure elle a été gorille".

Le soir venu, la tension nanarophile était à son comble, attisée par un Jean-François Rauger distillant ses informations sur la carrière de l'actrice principale, Charlotte Austin, qui avait tenté dans ses débuts de griller la place à une certaine Marilyn Monroe dans "Comment épouser un millionnaire". Et aussitôt nos cerveaux pervers d'imaginer une uchronie à la Clint Eastwood / Richard Harrison (voir l'interview de ce dernier, à la lecture de laquelle on peut imaginer Richard dans "Pour une poignée de dollars" tandis que Clint aurait porté la cagoule rose dans un quelconque ninja-flick d'IFD), avec la célèbre blonde dans le rôle de la jeune mariée violée par un primate !


Jean-François Rauger et ses sbires nanarlandais chauffent la salle.



Alors que les rideaux s'ouvraient et que Chuck nous rappelait qu'il persiste à mettre ses pieds où il veut, l'aîné du four-features excentrique pouvait enfin commencer sous les vivats d'encouragement de la salle en liesse. 70 minutes plus tard, qu'en était-il des promesses affichées ?

Et bien c'est une déception partielle. En effet, "La Fiancée de la jungle" (ou plus exactement de la jongle, comme il était d'usage de l'appeler à l'époque) n'est à mon goût pas vraiment un nanar digne de rester dans les annales de l'histoire de ce site. Il est, objectivement, le reflet de ces serials tournés au kilomètre entre les années 30 et 50, avec jungle en pot reconstituée en studio où rôdaient Buster Crabbe ou Lex Barker, légion de stock-shots et figurants noirs façon "bwana, li maître blanc bien gentil avec nous", à l'exotisme en toc, aux intrigues délirantes et aux langueurs souvent insupportables. De fait, si "La Fiancée de la jungle" offre une première partie plutôt réjouissante de ringardise edwoodienne, servie dans une ambiance coloniale à la "Tintin au Congo", ainsi qu'une conclusion complètement tarée, il faut tout de même reconnaître qu'il souffre d'un rythme mollasson qui tend pendant sa plus grande partie à l'immobilisme le plus redoutable, scorie à même d'asphyxier le spectateur isolé devant son petit écran. Car pour se délecter dans un confort acceptable de la substantifique moelle nanar de "The Bride and the Beast", il me semble fortement recommandé d'être épaulé au cours du visionnage par une assistance survoltée de 400 amateurs enfermés dans une salle pour une nuit de délices déviantes, ce qui est une condition plutôt rare, il faut bien l'avouer.

Mais ces défauts ne doivent pas pour autant masquer la pertinence thématique de son choix en cette veille de la journée de la Femme. Car en pourfendant le tabou du désir sexuel de ces dames au travers des enjeux conjugaux, "La Fiancée de la jungle" se révèle être un vigoureux pamphlet féministe exhortant à la libération du joug phallocrate. Et ce, grâce à un gorille ! Voilà plutôt la véritable raison pour laquelle ce film mérite d'être mieux connu.

Reprenons les bases. Dan Fuller et sa jeune épouse Laura convolent amoureusement en nuit de noces. Celle-ci s'annonce à haute température charnelle, tant leurs préoccupations érotiques emplissent déjà l'écran. Tout n'est que longue conversation autour de la nécessité impérieuse de "bien mettre la capote" de la voiture avant que ne survienne la pluie. Regards complices, rodomontades du sieur Fuller qui rappelle à sa dulcinée qu'elle valait bien 6 bœufs au marché de la femme, sourires en coin, c'est l'assurance d'une soirée à venir réussie.


Sortez couvert, même en voiture.


Une fougue innocente qui ne voit rien venir.



Mais en grand passionné de chasse qu'il est, Dan Fuller, outre une déco d'intérieur d'un mauvais goût terrassant qui a dû faire la fortune d'une entreprise de tannerie/taxidermie, s'enorgueillit également de posséder un gorille, qu'il retient enfermé dans une cage à la cave. Malicieusement surnommé Spanky, cet adorable primate égaie les nuits de ses cris de bête esseulée.


Face de cuir dans son habitat naturel.



Comment ne pas voir la signification métaphorique qu'implique une telle disposition : la cave contient les pulsions sexuelles malvenues de Dan, que ce dernier tente de conserver sous total contrôle : cadenassée dans les tréfonds de la conscience, la fonction masturbatoire (en argot anglo-saxon, "to spank the monkey" signifie "se branler") n'a pas droit de cité. Mais dès lors que Laura fait irruption dans cet antre secret, le drame opère : fascinée par cette grande bête velue qui lui fait face, le désir féminin se fait jour et menace soudainement de submerger le pauvre mari, bien vite inquiété par ce débordement pulsionnel mystérieux et effrayant qu'il a réveillé et qui annonce le coït génital à venir, dangereuse mise à l'épreuve de sa virilité. Il est d'ailleurs obligé de s'interposer pour mettre fin à l'attraction magnétique irrésistible qui commence déjà à rapprocher dangereusement les deux corps, provoquant là une intense frustration des deux partenaires (avez-vous déjà vu la souffrance d'un homme dans un costume de singe trop grand pour lui ?). L'angoisse commence alors à se faire jour à mesure qu'il réalise que son épouse n'est pas un simple trophée empaillé que l'on expose à son entourage social.


Le début d'une grande histoire d'amour sexuel...


...qui terrorise ce pauvre homme.



Vous comprenez bien que dans ces conditions, mieux vaut que chaque membre du couple dorme dans son propre lit, et que la nuit ne soit rien d'autre que le temps du sommeil. Comme le dit si bien Dan à son épouse lubrique évoquant une possible consommation du mariage : "ne sois pas pressée, nous sommes mariés pour longtemps désormais".

Bien entendu, tiraillée par la bête réveillée en elle, la pauvre Laura souffre d'un sommeil agité, peuplé de ses fantasmes copulatoires qui s'intellectualisent sous la forme d'un questionnement existentiel sur la possibilité de vies antérieures, ce à quoi son pragmatique mari n'a de cesse de répondre en substance par un "ta gueule, arrête de penser et laisse moi dormir peinard", équivalent masculin du "désolé, pas ce soir, j'ai la migraine".

Mais l'insatisfaction sexuelle de Laura ne peut se contenter de l'impuissance de son compagnon. En plein milieu de la nuit, ce moment si particulier où les défenses surmoïques se font plus poreuses et que les pensées refoulées font surface, Spanky s'enfuit de sa cage pour se rendre dans la chambre conjugale. Et là, plus question de minauder : répondant pleinement à l'instinct bestial de Laura, le primate en rut déchire la nuisette de son aguicheuse amante qu'il s'apprête à honorer dans un tourbillon de sensations zoophiles.
A ce moment du film, le public de la Cinémathèque avait alors bien compris quels étaient les enjeux narratifs d'une telle situation, encourageant à pleins poumons l'entreprenant gorille à accomplir sa besogne, dans une identification sexuelle qui en dit long sur l'indiscutable virilité de l'amateur de nanar.


Gare au gorille !



Réveillé par toute cette lubrique agitation, Dan choisit alors de reprendre les choses en main grâce à son substitut phallique préféré : l'arme à feu, avec laquelle il abat le totémique Spanky, devenu le symbole des pulsions coïtales d'une libido incontrôlable et menaçante pour sa virilité vacillante, et met ainsi un terme à toute sexualité génitale partagée pour le restant du film.

Il ne restera alors plus à son épouse vouée à la frustration qu'à caresser son doux pull en angora, ce pull qu'elle porte en permanence, même au fin fond de la jungle.

Percevant le malaise qui persiste au sein de son couple, Dan Fuller fait alors appel au Dr Reiner, un ami médecin, mais surtout un ami (et c'est important). Bien que ce dernier soit supposé apporter une réassurance à Dan en dénonçant comme pathologique le comportement vorace de Laura, il ne fait que corroborer l'existence animale tapie dans les entrailles de celle-ci, reconnaissant ainsi ses désirs inassouvis, et disqualifie aussi sec son camarade en étalant ses propres capacités de domination sexuelle grâce à l'hypnose ; Laura étant alors en son plein pouvoir, il lui autorise à narrer son attrait scabreux pour la fourrure, dont il prend un certain plaisir à lui faire préciser les sensations perçues lorsqu'elle la manipule.


Laura, en version gorille angora.



La jeune femme peut alors se laisser emporter par ses besoins naturels, incarnés par son nouvel apparat "gorille de la jungle", à la recherche de son alter ego mâle. On distingue d'ailleurs dans sa difficulté à se regarder dans l'eau toute l'ambivalence de Laura, partagée entre l'envie primale d'assouvir ses pulsions génitales en toute liberté et les interdits sociaux qui lui refusent ce désir. Quant à sa légère crainte des cornes du buffle, je vous laisse cogiter.

Le Dr Reiner va même jusqu'à tenter de réintroduire une sexualité au sein du couple, en suggérant à Laura l'envie d'une cigarette (l'homme aurait été moins subtil qu'il lui aurait plus directement proposer une envie de pipe). Mais c'est malheureusement faire l'impasse sur la plus grosse part du problème : l'immaturité génito-affective de Dan, qui n'a alors d'autre possibilité que de diminuer son angoisse castratrice en fuyant dans la jungle afin d'y exercer sa misérable tentative de contrôle phallique.


Un journal qui nous apprend que les Chinois vivent dans des arbres.



Dans une parfaite illustration de l'échec mental de cet évitement, le film sombre alors dans l'inertie la plus totale. Ce n'est plus que néant cinématographique, vide scénaristique, enfer vidéoludique, remplissage jusqu'auboutiste. Le désert émotionnel du couple Fuller s'étale dans une succession de stock-shots improbables (des loups dans la savane... égyptienne ?), certains tentant vainement de s'affronter d'un film à l'autre.


Quel regard touchant d'humanité.



Le nanardeur avide d'éléments un minimum amusants pourra toujours se délecter de la troupe de serviteurs de la jungle, équipe composée de Blancs passés au cirage et parlant petit nègre même entre eux. La plus grande scène d'action se résume à un téméraire écrasement d'araignée par un Dan Fuller bien en peine de faire croire qu'il a les couilles de protéger sa femme (surtout après l'avoir renversée d'une baffe dans la tronche pour la mettre à l'abri de la dangereuse arachnide située à 5 bons mètres de là).

Et s'il était encore besoin de démontrer l'aridité qui règne dans la tente de camping de nos jeunes mariés, sachez que monsieur, bien qu'en permanence armé de sa pétoire, ne tirera réellement son coup (de feu) que dans les derniers instants du métrage, s'humiliant en confiant toutes les tâches un tant soit peu viriles à ses aides de camp, ou bien en observant la puissance physique des animaux qu'il traque avec peine (impressionnante scène d'attaque d'un figurant par un véritable tigre !), une activité voyeuriste qu'il qualifie de "travail pour un homme seul".



C'est chouette la jungle : d'un seul regard, on peut voir plein d'animaux (un bien bel exercice de style dans le genre "Hey, mec, on a trois quarts d'heures de stock-shots animaliers et de safaris en Afrique, essaye de nous pondre vingt minutes avec de vrais acteurs histoire qu'on fasse quelque chose qui ressemble à un film !").



Quelle séquence symbolique résume mieux la psychologie de cet homme que ce plan où il se fige longuement devant un pauvre tronc mort sur le sol, avant de l'enjamber avec hésitation ? Le sage, présent ce soir-là (Saint-Voyou, priez pour nous), n'a-t-il pas dit : "un type qui hésite aussi longtemps avant d'enjamber une simple branche ne pouvait pas satisfaire une femme comme Laura".


La fameuse branche qui en dit long.



"La Fiancée de la jungle" reprend un peu de poil de la bête dans sa conclusion simiesque orgiaque bien sympathique, dont je préfère vous laisser imaginer la teneur. Sachez juste que Laura finira par s'accepter telle qu'elle se ressent, pour la plus grande joie des gorilles locaux, et que l'impuissant Dan rentrera chez lui, plus seul que jamais dans son monde de petit garçon retranché derrière ses trophées inertes et rassurants, bien à l'abri de l'angoissant mystère du sexe féminin.

Tout est donc bien qui finit bien, et vive les femmes-gorilles !


Just married !



Bien que j'avoue volontiers avoir versé avec une certaine complaisance dans l'interprétation ludique, il faut toutefois reconnaître à "La Fiancée de la jungle" une réelle cohérence thématique qui ne peut uniquement être imputée à un délire de spectateur cherchant un échappatoire intellectuel à la médiocrité cinématographique qui s'impose à ses yeux. De fait, tout laisse à penser que Ed Wood, en véritable fétichiste, a volontairement placé dans son scénario le délictueux pull en angora, un vêtement de fixation libidinale également présent dans "Glen ou Glenda", film où le questionnement identitaire sexuel battait déjà son plein. Et toutes les biographies de Jr font clairement apparaître un attrait personnel du réalisateur pour ces sujets. Enfin, il est également amusant de savoir que son ex-compagne s'appelait Dolorès Fuller, soit le même nom de famille que la jeune Laura qui abandonne son mari pour un primate. Je vous l'avais dit, ça balance sévère en sous-entendus, ce film !

Merci à tous les forumeurs avec qui j'ai pu échanger autour de ce film et dont les réflexions ont alimenté cette chronique.
- Kobal -
Moyenne : 1.93 / 5
Kobal
NOTE
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MrKlaus
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LeRôdeur
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2.5/ 5
Jack Tillman
NOTE
1.5/ 5

Cote de rareté - 2/ Trouvable

Barème de notation
Jadis distribuée en salles en Belgique (d'où l'existence d'une VF), cette belle love-story, véritable ode à la différence et à l'amour hors de toutes les normes sociales bourgeoises, n'a longtemps bénéficié d'aucune édition vidéo en français. On devait se contenter des DVD américains, pas toujours de super qualité, dans plusieurs éditions en double-feature : chez "Retromedia Drive-in Collection" (accompagné de "King Dinosaur"), ainsi que chez "Kit Parker Films" (accompagné de "White Gorilla").



Et puis miracle, l'éditeur "Artus films", spécialisé dans les petits films d'exploitation, nous a offert une édition de belle facture avec la V.O. et la V.F., ainsi q'un bonus érudit sur "Les hommes gorilles" où intervient l'indispensable Christophe Bier. Chapeau bas.