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Ramo

(1ère publication de cette chronique : 2023)
Ramo

Titre original :Ramo

Titre(s) alternatif(s) :Türk Rambosu, Turkish Rambo

Réalisateur(s) :Mehmet Alemdar

Année : 1986

Nationalité : Turquie

Durée : 1h15

Genre : Plus Rambo que moi, tu meurs !

Acteurs principaux :Levent Çakir, Sönmez Yikilmaz, Oya Demir, Serdar Alemdar, Birtanem, Kazim Kartal, Ali Güney, Masist Gül

Jack Tillman
NOTE
3/ 5

Entre Rambo et la Turquie (pardon, "Türkiye"), c'est une longue histoire d'amour.

Moins foisonnante qu'en Italie ou aux Philippines, la Rambosploitation turque tient pourtant le haut du pavé en terme de nanardise. Après Vahsi Kan et Korkusuz, voici Ramo, le Rambo atteint d'un rhume (eh oui, essayez de dire Rambo avec le nez bouché et vous obtiendrez sa version turque !). Il serait pourtant surprenant que les Turcs n'aient pas osé appelé leur film "Rambo" pour des problèmes de copyright...

"En ville, c'est le copyright qui fait la loi, mais ici, c'est moi !"


Mais alors, que c'est pauvre ! Même au regard des standards turcs, le film pue la misère à un point rarement vu dans une vie de nanardeur. On est ici en présence d'un film SDF, d'un long-métrage crève-la-faim, d'un actionner dont les frusques tiennent debout toutes seules. A côté de son modèle hollywoodien, Ramo est une oeuvre de clochard, où l'indigence le dispute à l'incompétence du réalisateur et à l'ineptie de ce qui tient lieu d'intrigue. A dire vrai, le film paraît encore plus à la rue que le personnage de John Rambo dans le film de Ted Kotcheff.

"Wouah l'autre eh ! Comment t'oses parler de mon film !
J'vais t'faire une guerre comme t'en as jamais vu ! Beeeuuuaaaaaarrh !"


Le film démarre par le viol et le meurtre d'une humble bergère par une bande de brigands aussi moustachus que rigolards. De retour de la chasse avec son fils de 9 ans, le mari de la victime est à son tour trucidé par les malfrats et son fiston, Ramo, jure devant le cadavre de spn père de les venger. Recueilli par un modeste paysan, qui vit seul avec sa jeune fille de 11 ans, Ramo grandit et devient 15 ans plus tard un grand costaud bodybuildé, taiseux et inexpressif de 46 ans qui semble filer le parfait amour avec sa soeur adoptive de 25 ans, sous le regard attendri du père de cette dernière.

A neuf ans, le petit Ramo jure de venger sa famille.

Quinze ans plus tard, Ramo jure encore de venger sa famille. Il ne serait pas un peu du genre à faire des promesses de vengeance en l'air, celui-là ?

Turkish Taboo: My step-sister turns me on.

Turkish Taboo 2: My step-dad is a pervert.


Tandis que le spectateur ne manque pas de constater une fois de plus la fascination des réalisateurs nanars pour l'inceste (White FireAtor...), nous voici transportés dans le village voisin, où un instituteur et une bergère se marient sous les vivats des villageois, avant de partir en voyage de noces dans la campagne turque, laquelle se révèle plus dangereuse que le Far West.

A peine leur voiture s'est-elle embourbée dans la gadoue que le jeune couple est attaqué par des rednecks patibulaires à souhait, qui assomment l'homme avant de violer la femme. C'est précisément à cet instant que surgit Ramo, qui passait opportunément par là. Devant un tel spectacle, notre héros est frappé par un flashback post-traumatique du viol et du meurtre de sa mère. N'écoutant que ses saines pulsions meurtrières, Ramo met une dérouillée aux affreux, en donnant au passage un coup de boule à la caméra.

PRÖMIZULIN !

L'instituteur inculque de saines valeurs patriotiques à ses élèves.


En remerciement de son sauvetage héroïque, Ramo est invité à dîner chez l'instit et la bergère, dont le père se trouve être l'assassin de ses parents (le monde est décidemment petit) et est apparemment aussi le chef des bandits qui ont attaqué sa propre fille et son gendre sur la route (ça va, vous suivez ?). Pris d'un autre flashback (en fait, exactement le même que le précédent), Ramo colle une beigne au bad guy en lui beuglant ses quatre vérités. C'est alors qu'arrive enfin le plagiat tant attendu de Rambo. Capturé par les vilains, Ramo assiste impuissant au kidnapping de sa frangine/amante, et est torturé sauvagement (gimmick indispensable à tout sous-Rambo qui se respecte), attaché entre deux arbres et tabassé à coups de chaîne de balançoire par les méchants, qui n'ont vraiment aucune autre occupation dans la vie que de faire des méchancetés en ricanant comme des chacals.

Laissant le temps au spectateur de mater comme un cochon...

... Raaamooo est aaarriiivééééé-hééé-hééé, sans s'presséééééé-hééé-hééé !

Mouhahaha !

Beeeeuuuurrrrhh !

HIIIIIII ! RAMOOOOOO !

Beeeuuuaaaaaaarrhh !

Abandonné à la mort par les bandits, notre héros bourrin parvient à se libérer à la force de ses muscles, jure de venger son père adoptif assassiné entre-temps par les méchants (parce qu'ils sont méchants) et s'en va dans sa cabane pour en ressortir équipé d'un gros AK-47, d'un pantalon de treillis, d'une paire de Rangers, d'un chapelet de cartouches en guise de ceinture et d'un seyant bandeau dans les cheveux. Voilà notre bête de guerre parée pour aller massacrer les gredins un par un dans le dernier quart d'heure. Tout ça torse-poils, dans la campagne turque enneigée. Un tournage en plein hiver au cours duquel Sönmez Yikilmaz a frôlé l'hypothermie !

Le combat épique de Ramo contre une meute de loups affamés... Deux pauvres toutous tout gentils venus lui lécher la mimine, et que l'acteur soulève indélicatement pour les balancer dans le décor. Mais que fait la Turkish SPA ?

Spectacle à la fois hypnotique de lenteur et sidérant d'amateurisme, filmé directement en vidéo au camescope familial bon marché, ce métrage ferait passer Korkusuz pour un blockbuster. Le réalisateur Mehmet Alemdar semble être un émule de Jess Franco, dont le doigt reste bloqué sur la touche zoom de sa caméra. Et comme il est visiblement en phase terminale de Parkinson, nous avons droit à 1h15 de zooms et de dé-zooms compulsifs, sans interruption ni justification. La scène (très longue) où Ramo se fait torturer est ainsi rendue effarante d'incompétence par cette zoomite de fou furieux. La séquence (également très longue) du mariage est aussi bien filmée et cadrée que la cassette des noces de mes parents, avec des convives hilares ne pouvant s'empêcher de regarder la caméra et des éclairages dégueulasses. C'est encore plus amateur que Badi, c'est dire.


Ramo : une épopée de vigilantisme paysan, une saga de vengeance villageoise avec, entre deux massacres, une scène complète de traite de vache en temps réel.


Festival de regards caméra...

...et d'acteurs complètement perdus. On est bien dans une bonne grosse série Z.

Bienvenue au Moustachistan.


Le montage est une catastrophe absolue, alternant les scènes de bluette amoureuse entre Ramo qui coupe du bois et sa soeur adoptive qui lui apporte des gâteaux, avec les noces du maître d'école et de la bergère dans un chaos narratif complet. Mehmet Alemdar coche méticuleusement toutes les cases des erreurs à ne pas faire quand on réalise un long-métrage. Toutes les voix ont été redoublées en intérieur, ce qui sonne de façon très artificielle dans un film se déroulant quasi-intégralement en extérieur. D'autre part, les intonations sont très outrées et décalées par rapport à ce qu'on voit à l'écran, des bouts de répliques sont réutilisés quatre ou cinq fois d'affilée et un seul et même "Aaaaaah !" est samplé et employé pour bruiter la mort de tous les sbires durant l'assaut final.

Le chef des méchants crève l'écran avec sa moumoute.

"Bon, toi le chroniqueur, tu sors !"


On reste stupéfait à l'idée que ce qui a tout d'un film amateur, improvisé par une bande de potes pour la déconne pendant les vacances de Noël, est bel et bien une oeuvre de cinéma, au casting a priori professionnel, ayant bénéficié d'une distribution commerciale. Ramo, c'est du super-hardcore, avec un héros bovin à souhait et des gamins de quarante ans qui jouent à la guerre dans un champ, où vous aurez le plaisir masochiste de voir une bergère traire une vache en temps réel dans une frénésie de zooms, le tout sur une bande musicale compilant très aléatoirement des chants traditionnels turcs et des musiques d'opéra wagnérien. Pour savoir si vous êtes un pur, un dur, un tatoué du nanar, le visionnage de Ramo en entier et d'une seule traite, c'est un peu comme si vous aviez fait le Viêt-Nam.

"Ce gredin de Jack Tillman mérite une bonne bastos, mon colonel ! Il serait communiste que ça ne m'étonnerait pas !"


Le très sympathique comédien Sönmez Yikilmaz a rarement tenu le haut de l'affiche. Natif de Rize est arrivé très jeune à Istanbul, il rêvait d'une vraie carrière d'acteur mais est surtout resté cantonné aux petits rôles de brute épaisse et d'homme de main cruel. On a notamment pu le voir en hilarant Turkish Requin aux dents en papier alu dans En Büyük Yumruk, ou vêtu d'une peau de tarzan et armé d'une énorme massue-hache en mousse dans Savulun Battal Gazi Geliyor. Quand Mehmet Alemdar lui propose de tenir le premier rôle d'un film d'action à la Rambo, Sönmez accepte. « On a tourné Ramo en quatre jours et demi. Dans ce film, ils m'ont gardé attaché dans la neige pendant 9 heures. N'importe qui d'autre serait tombé malade. Après le tournage, Mehmet Alemdar a proposé de devenir mon manager mais j'ai refusé. » Sönmez versera à nouveau dans la rambosploitation l'année suivante avec le très alléchant Silaha Yeminliydim, où l'acteur incarne cette fois un vétéran de la guerre civile chypriote (la fameuse Opération Attila célébrée en grandes pompes ultranationalistes dans Önce Vatan), reprenant du service pour venger son colonel et casser du terroriste enturbanné.



Détail amusant, Sönmez Yikilmaz passera également derrière la caméra pour tourner un énième Rambo turc un peu particulier. « J'ai fondé Anzer Film et nous avons tourné un film à la Rambo intitulé "J'ai été assermenté au pistolet". Dans le film, j'évoquais les puissances étrangères qui ont causé certaines rivalités fraternelles, les tensions entre l'Amérique et les Arabes. "Qui nous a dressés les uns contre les autres ?" ai-je demandé. Mon film n'a jamais été diffusé sur la TRT [Nanarland : Türkiye Radyo Televizyon, la Radio-télévision de Turquie], ils l'ont rejeté trois fois. En 1988, j'ai voyagé dans toute la Turquie avec le négatif du film sur le dos, des affiches sur mon siège, et j'ai donné des avant-premières dans les cinémas. La cassette du film envoyée à la TRT a été perdue, j'étais déprimé, j'ai cédé tous les droits du film à un cinéaste pour un verre d'eau. »



Fidèle compère de Cüneyt Arkın (il a tenu de petits rôles, le plus souvent de sbire, dans pratiquement tous les films de notre idole), Sönmez Yikilmaz est décédé le 2 juin 2022, à peine quelques semaines avant l'Alain Delon turc. La faucheuse nous aura ainsi tristement enlevé deux Rambo turcs le même mois.

Sönmez Yikilmaz incarne Anton, mercenaire des croisés dans Savulun Battal Gazi Geliyor (1973), peu de temps avant de se faire faire arracher les oreilles et broyer les youcs par Cüneyt Arkın.

Sönmez joue les bellâtres de service dans Turist Ömer Uzay Yolunda (1973) alias Turkish Star Trek.

Sönmez en Turkish Jaws réjouissant de méchanceté rigolarde dans En Büyük Yumruk (1983).

- Jack Tillman -

Cote de rareté - 6/ Introuvable

Barème de notation

Sorti en vidéo en Turquie dans les années 80, Ramo est longtemps resté totalement introuvable. Heureusement pour les nanarophiles et pour tous les fans un peu pervers de Rambo, le film se trouve être libre de droit et est désormais disponible légalement sur Dailymotion ainsi que sur d'autres plateformes vidéo.