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Y flippe ton vieux

(1ère publication de cette chronique : 2011)
Y flippe ton vieux

Titre original : Y flippe ton vieux

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :Richard Bigotini

Année : 1982

Nationalité : France

Durée : 1h24

Genre : La farce tranquille

Acteurs principaux :Jean-Marie Pallardy, André Koob, Olivier Mathot, Daniel Darnault, Pamela Stanford, Richard Bigotini, Mathilde Pecoraro

Benoît
NOTE
3/ 5


Ceux qui l’ont vécue s’en souviennent, l’élection de François Mitterrand en Mai 1981 fut un cataclysme dans le paysage politique français. Si certains croyaient voir l’armée rouge défiler sur les Champs-Elysées dès le lendemain de son investiture, pour bon nombre de jeunes qui l’avaient affectueusement surnommé « Tonton », le leader de la force tranquille incarnait l’espoir dans le changement radical des habitudes politiques, et l’émergence d’une nouvelle race de dirigeants qui laisserait s’exprimer la jeunesse et bousculerait convenances et ordre établi.
Curieusement, cette période, que Mitterrand lui-même appela « l’état de grâce », a laissé dans l’histoire une trace cinématographique inversement proportionnelle aux espoirs générés. Certes, il convient de saluer la libéralisation de la censure, qui permettra enfin aux cinéphages d'apprécier dans leur intégralité des oeuvres comme « Zombie », « Maniac » ou « Massacre à la tronçonneuse », jusque alors altérées par les coups de ciseaux pudibonds du Giscardisme, voire purement et simplement interdites. Mais dans le même temps, les années Mitterrand verront aussi le cinéma français frappé d'un mal terrible nommé « Y flippe ton vieux ».

 


On annonce la couleur.

« Y flippe ton vieux », c’est d’abord un casting en état de grâce.

Cette bande de jeunes qui patine laborieusement dans une banlieue déserte incarne tous les espoirs du mitterrandisme triomphant.


Deux complices vont donc tenter de tirer parti de cet événement politique exceptionnel en signant une comédie familiale sur le conflit des générations, véritable instant-movie dopé par l'élection toute récente de François Mitterrand, dans le but évident de racoler une jeunesse avide de divertissement en salles obscures. Patrick Milford d'un côté, qui s'offre un caméo en livreur de frigo mais qui, semble-t-il, n'a pas persévéré dans le 7ème art au-delà de cette expérience traumatisante ; Richard Bigotini de l'autre, que son éclectisme conduira à travailler occasionnellement avec Louis Malle ou Bertrand Tavernier mais aussi Gérard Kikoïne, Alain Payet et surtout très régulièrement avec le Jesus Franco des années porno hard. Malgré ce pedigree, c’est l’un des rares professionnels que l’on croisera sur le plateau. Accompagnés de quelques habitués des productions Eurociné et d'un nombre considérable d'amateurs, dotés d'un stock de pellicule proche de la date de péremption, ils sont prêts à se lancer dans l'aventure. C'est fou d'ailleurs, ce qu'on peut économiser comme pelloche en disant « coupez, elle est bonne ! ». Du premier coup...

 


Surprise du casting : Jean-Marie Pallardy dans « Le journal pas érotique d’un vendeur d‘électroménager ».

André Koob vient également faire un p'tit tour en caméo dans une scène d'engueulade sortie de nulle part.

Le costume de facteur, une valeur sûre chez Eurociné depuis « La Pension des surdoués ».


L’année scolaire terminée, Suzie, élève surdouée, s’affranchit de l’autorité paternelle pour prendre son destin en main. Elle abandonne des études pourtant prometteuses, emménage chez son petit copain et cherche du travail. Elle sera ainsi successivement toiletteuse pour chien, factrice, shampouineuse ou mannequin. À chaque embauche, Suzie se contente de mettre le bazar partout en évitant soigneusement de faire ce qu'on lui demande, quand elle ne décide pas sciemment de tout saboter, et s'applique à disparaître sans même attendre d’être payée. On assiste donc à une drôle de description du monde du travail, où les postiers commencent à 9h00 et dansent au son d’un soundmachine en balançant les lettres au petit bonheur par dessus les clôtures avant de retourner prendre un pot au bistrot, quand ils ne s'endorment pas carrément en pleine rue.

 


Jacques, le dernier de la classe mais le premier dans le cœur de Suzie... Authentique...


Avec des facteurs pareils, pas étonnant qu’il y ait eu autant de déçus du socialisme.


Et Mitterrand dans tout ça, me direz vous ? Et bien à l'instar du petit ami de Suzie - une espèce de benêt qui joue comme un pied - il sert de faire-valoir. On ne prononcera jamais son nom, mais toutes les situations sont prétextes à s'échanger des répliques définitives sur le changement et les nouveaux dirigeants, qui ne dépassent jamais le niveau du comptoir devant lequel elles sont proférées.

 


Pierrot et Raymond ne sont pas des arriérés, ils sont aussi pour le changement !

Frankie : "Le vrai changement sera de ne plus rien foutre ; si les politiciens qui nous ont gouverné depuis 20 ans étaient moins cons, on n'en serait pas là..."
Suzie : "Mais c'est qu'il est doué ce petit !"


Il faut ici préciser quelques points : les gags, ou tentatives de gags (après tout, on parle aussi de tentative pour les meurtres), sont d'une lourdeur à faire pâlir d'envie le Bernard Launois période « Touch' pas à mon biniou ». Dans la grande tradition de la comédie pouet-pouet, l'expérience peut s'avérer éprouvante pour certains, mais les plus aguerris reconnaîtront ce subtil mélange de consternation et de rire nerveux qui est la marque des grands comiques du cinéma franchouillard. On tombe dans l'escalier, on roule sur les pieds d'un agent, on enflamme un journal pour surprendre son papa, sans compter un running gag particulièrement poussif à base de livraison de frigos.

 


Exclusif : pour mieux incarner l’accablement, Richard Bigotini n'aurait pas hésité à visionner ses propres rushes.


Signalons aussi que la plupart des acteurs annonent leur texte comme des récitants de première communion, à l'exception de ceux qui ont un peu de métier et qui en profitent pour cabotiner à mort, comme Daniel Darnault ou Olivier Mathot. Mais à tout seigneur tout honneur, c'est de loin Richard Bigotini lui-même qui remporte la palme en repoussant les limites du surjeu hystérique au-delà de l'imaginable. À sa décharge, il est vrai que ce n'est pas en tournant « Les petites vicieuses font les grandes emmerdeuses » qu'il a pu apprendre à exprimer la complexité des sentiments d'un père face à la jeunesse en mal d'indépendance.

 


Daniel Darnault tente un plan drague...

...puis se fait surprendre en caleçon alors qu’il imite Louis de Funès.

Olivier Mathot suivant des voies réputées impénétrables, une exception dans sa carrière...


Parmi les acteurs, Suzie représente un cas à part. Elle réussit la performance de ne pas jouer juste tout en évitant à la fois le sur-jeu et le sous-jeu. Il faut dire que c’est elle qui a la tâche la plus ardue. En tant qu’héroïne du film, elle est de tous les plans, trimbalant son sourire niais inamovible dont elle n’hésite pas à gratifier la caméra, même dans les scènes en champs/contre-champs. Or il n’est pas facile pour une actrice, débutante de surcroît, d’incarner une pasionaria du changement, doublée d’une élève surdouée mais effrontée, tout en débitant des dialogues aussi ineptes que des conversations de comptoir et en se conduisant comme une parfaite imbécile en roue libre.

 




Suzie, la tête à claqu... euh, l’élève surdouée, dix fois supérieure en tout, à tous ses camarades.


Enfin et pour notre plus grand plaisir, en plus de l'amateurisme général du métrage, on trouve dans « Y flippe ton vieux » de purs moments de nawak complet, comme quand la patronne d'un bistrot entonne de sa voix de dentier une chanson incompréhensible, ou qu'un quidam se met à déclamer une ode à sa vieille valise rose bonbon dans un restaurant. Malgré tout ça, le rythme général de l'oeuvre laisse un peu à désirer et il faudra traverser quelques tunnels pour atteindre la fin. On peut les meubler en imaginant le résultat caviardé d'inserts pornos, non seulement la pratique était courante mais chaque acteur, ou presque, possède la double compétence. Ou bien rester stoïque, affichant le calme des vieilles troupes, de ceux qui ont déjà subi « La Guerre des espions », « Comment se faire virer de l'hosto » ou « Tendre Papa ». Parfois, le plaisir du cinéma déviant doit se mériter.

 


L'homme à la valise, un mystère jamais éclairci !

Après la visite de Suzie, un concierge embrasse les minous du calendrier des Postes...

Au tableau d'honneur des cabotins, Pamela Stanford imite des cris d'animaux en lisant une BD.


Après un crescendo de n'importe quoi, le film s'achève sur un twist ridicule dont je préfère laisser la primeur aux intrépides qui s'aventureraient à regarder cette rareté jusqu'à la fin. Vous l'aurez compris, le stratagème de nos pieds nickelés s'est retourné contre eux. À trop vouloir surfer sur le rush médiatique qui a suivi Mai 1981, leur film s'est démodé aussi vite que les électeurs ont ravalé leur bulletins, et on ressent dans la gueule de bois qui suit le visionnage un sentiment de promesse non tenue qui n'est pas sans évoquer certains lendemains d'élection. Mais curieusement, c’est précisément cet ancrage dans l’époque qui fait le charme si particulier de ce petit nanar. Sans cela, « Y flippe ton vieux » ne serait qu’une comédie franchouillarde 80’s de plus, au scénario anorexique, aux gags lourdingues, au casting habillé par Pantashop, hésitant entre amateurisme total et cabotinage hystérique, le tout nimbé d’une épouvantable musique ronge-neurones fleurant bon le synthétiseur primitif. Comment ? Il le foooooo ? Ah bon !



Pour les aficionados du jeu des 7 erreurs, voici un bel exemple de décoration d'intérieur transfilmique :


« Y flippe ton vieux » (1982) de Richard Bigotini.



« C'est facile et ça peut rapporter... 20 ans » (1983) de Jean Luret.



« Adam et Eve » (1984) du même Jean Luret.


Soit cette maison appartenait à quelqu'un d'impliqué dans ces films, soit elle était dans le carnet d'adresse d'un de ces soutiers du nanar. D'après Jonathan Bidault, il s'agissait d'un appartement de luxe qui appartenait à Jacques Nivelle et son épouse (Jacques Nivelle qui joue notamment dans Le chouchou de l'asile, Chômeurs en folie ou encore C'est facile et ça peut rapporter... 20 ans). Ce même logement de standing aurait également servi de décor à Journal d'une maison de correction (autre film de Georges Cachoux avec Jacques Nivelle). Plus cocasse, cette maison ou appartement a également servi de décor à plusieurs films porno de l'époque :




« L'ouvreuse n'a pas de culotte » (1980) de Michel Caputo.


« Filles de luxe » (1981) de Michel Barny.


« Bourgeoises par devant, putains par derrière » (1980) de Michel Caputo.


« Une femme d'affaires très spéciale »

- Benoît -
Moyenne : 2.00 / 5
Benoît
NOTE
3/ 5
Wallflowers
NOTE
0.75/ 5
Kobal
NOTE
2/ 5
Rico
NOTE
1.5/ 5
Jack Tillman
NOTE
2.75/ 5

Cote de rareté - 6/ Introuvable

Barème de notation

Le film semble a priori introuvable, ne bénéficiant que d'une unique édition VHS chez "VPE France". A quand une réédition par le Parti Socialiste ?