Recherche...

Monsieur Sade


Monsieur Sade

Titre original : Monsieur Sade

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :Jacques Robin

Année : 1977

Nationalité : France

Durée : 1h15

Genre : Théâtre avant-gardiste nanar

Acteurs principaux :Bernard Sury, Frédérique Monge, Juliette de Fillerval

SirApe
NOTE
4/ 5


La fin des années 1960 a vu l’apparition d’un grand nombre de commentateurs de Sade, suite à la publication de ses œuvres au milieu des années 1950. Ses romans les plus noirs focalisent l’attention des études, qui y voient principalement une remise en cause des valeurs sociales et une nouvelle façon d’écrire le crime. C’est vraisemblablement influencé par ces considérations que Jacques Robin décide en 1977 de tourner « Monsieur Sade », une œuvre visiblement personnelle puisqu’en plus d’en être le réalisateur, il s’occupe de l’écriture du scénario. Cela fait pourtant vingt-cinq ans qu’il travaille dans le cinéma, mais la plupart du temps seulement comme cameraman : ainsi, trois ans plus tôt, il tenait la caméra dans « Règlement de compte à OQ corral », de Jean-Marie Pallardy.
La raison pour laquelle il décide de réaliser ce « Monsieur Sade » reste un mystère, tout comme la façon dont il rassemble son équipe. Au complet, des comédiens aux monteurs, on ne compte que quinze personnes, dont la moitié ne joueront vraisemblablement pas dans d’autres films. En réalité, seules deux personnalités se détachent dans la petite troupe. La première est celle de Bernard Sury, qui fit carrière avec tout au plus dix films, soit comme acteur, soit comme caméraman, toujours dans l’entourage de Gérard Pirès. Il côtoya cependant les plus grands comme Alice Sapritch, Annie Cordy, Daniel Prevost ou Claude Piéplu. La seconde est celle de Pierre Bachelet qui, à l’époque, écrivait des musiques de documentaires ou d’émissions pour ses amis. Il fut probablement attiré par ce film dans l’espoir de renouveler le succès qu’il avait connu trois ans plus tôt avec la musique composée pour « Emmanuelle ».


Le film en lui-même s’ouvre sur la seule scène réellement pornographique, le reste des ébats du métrage étant le plus souvent simulés. Inutile de le préciser, cette scène n’a pas de rapport avec l’histoire et n’est là que pour mettre le spectateur dans l’ambiance. Un éclairage jaune pisseux, des acteurs velus, des gros plans cradingues… et pourtant c’est peut-être la scène du film la plus réussie esthétiquement.


La Alpha-France’s touch


Après cela, ami nanardeur, tu entres de plain pied dans « Monsieur Sade ». Car « Monsieur Sade » n’est pas un porno, c’est quelque chose d’autre, qui vise l’idéologie plus que les corps caverneux du spectateur. Le film est guidé par deux personnages, un historien et sa secrétaire (Bernard Sury et Isabelle Claire), qui vont lier et commenter les saynètes qui composent le film. Dès les premières minutes, le grand n’importe quoi apparaît : les gens sont à poil sans raison, la secrétaire enchaîne les blagues vaseuses, les décors sont inexistants…
Bernard Sury est visiblement la vedette du film, et aussi le seul à avoir refusé de montrer ses génitoires (on l’en remercie par ailleurs). Du coup, il n’interviendra pas dans le récit mais aura des scènes toutes à lui, où il tentera vainement de se présenter comme un intellectuel dérangeant, contestataire et engagé. Du coup, il fait tout ce qu’un tel intellectuel doit faire : se promener chez lui sans pantalon, se déguiser en dictateur sud-américain et disposer des moulages de zobs en plâtre sur son bureau.


Quant à sa secrétaire, elle manie les symboles phalliques avec classe et subtilité…


Les acteurs savent tous déclamer un texte de façon plus ou moins convaincante. Peut-être viennent-ils du théâtre d’avant-garde de l’époque ? En tout cas, même si la diction est claire, tous jouent mal. Mais de très, très loin c’est la jeune femme qui joue Justine qui remporte la palme. Complètement inexpressive, elle récite son texte d’une voie monocorde et sans conviction. Elle veut vraisemblablement donner à son personnage un aspect abattu, mais se fourvoie et nous livre la pire prestation de tous. Grâce à elle, l’amateurisme crève l’écran et frappe le spectateur de plein fouet.


Justine dans ses œuvres.


Comme elle tient le rôle principal, le film maintient ainsi une tension nanarde constante : il se crée une ambiance toute particulière, le manque de vivacité de l’action (les dialogues ont une fougue comparable à ceux d’un Derrick) et le jeu catastrophique des acteurs donnant un peu l’impression d’assister à une kermesse des années 70 où les professeurs, après avoir trop bu, tenteraient d’interpréter Sade… Le manque de moyens flagrant renforce encore cela, car tout est filmé sans décors, sur une petite scène de théâtre, avec pour tout accessoire une grosse banquette démontable en simili-cuir que l’on recouvre quelquefois d’une peau de mouton pour cacher la misère.


Un décor typiquement 18ème siècle.


La mise en scène est du même acabit, soit minime, soit grotesque. Certains passages nous présentent les acteurs fixes, regardant la caméra et débitant leur texte pratiquement sans bouger. Au contraire, les scènes de groupe offrent un festival de jeux outranciers, et, outre leur absurdité, donnent lieu à des erreurs tenant du cas d’école : les acteurs tournent le dos à la caméra, peinent à enchaîner les répliques, ou se déplacent avec une telle lourdeur que le bruit de leurs pas sur les planches couvre parfois à moitié le dialogue pris en son direct. Et la vaine tentative du film pour être engagé et contestataire rend cela encore plus flagrant.


Justine dans la forêt et Juliette au bordel : deux scènes d’un n’importe quoi saisissant.


Car oui, « Monsieur Sade » est un film contestataire. Il se veut dérangeant, du genre à scandaliser les bourgeois, à effrayer leurs femmes, et à faire frissonner leurs filles par l’exposition du plaisir interdit. « Monsieur Sade », c’est une ode à la perversion, à l’insurrection morale, c’est un attentat contre les bonnes mœurs, c’est plein d’une fougue révolutionnaire qui va bouffer du capital en lançant des pavés… Le problème, c’est que le manque de moyens et la médiocrité de l’interprétation et de la réalisation plombent ces prétentions, et la motivation débordante de la petite troupe ne parvient pas à colmater la brèche. D’autant plus qu’il est possible de douter de la réelle portée subversive de la chose : on se veut des méchants, des immoraux, mais la révolution sexuelle est déjà bien entamée, voire commence déjà à s’essouffler à l’époque, si bien que le film ne devait pas être si choquant que ça pour un spectateur de 1977. En effet, « Salo ou les 120 journées de Sodome » de Pasolini date de 1975, et sur ce créneau là « Monsieur Sade » tient difficilement la comparaison.


Je suis nue sans raison ! C'est la révolution sexuelle !


Mais ce qui anéantit peut-être plus encore la crédibilité du film sur cet aspect, c’est que bien qu’il se veuille « libéré », il n’en demeure pas moins profondément machiste. Qu’une actrice passe par plusieurs partenaires pendant une même scène ne pose visiblement de problème à personne, et nous verrons par exemple une comédienne faire des gâteries à trois hommes différents en moins de deux sans qu’il y ait une quelconque forme de simulation. De même nous avons droit à une classique scène lesbienne tout ce qu’il y a de plus réel. Par contre, lorsqu’il s’agit de ces messieurs entre eux, l’affaire se complique et on est beaucoup plus avares de câlineries. Pourtant, une scène nous annonce clairement une étreinte virile entre deux éphèbes… Vont-ils s’y adonner sous nos yeux ébahis ?


Tendrement, Apollon parcourt de son regard le corps noueux d’Hercule.


Et bien non ! Mais nous ne serons pas frustrés pour autant car tout cela est remplacé par une superbe scène en ombre chinoise, où l’acte d’amour est suggéré par une chorégraphie à la grâce sans pareille.


Ici, le nanaromètre explose, et nous devons faire face à la dure réalité : l’équipe du film a du mal à envisager les homosexuels autrement qu’en folles tordues.


Heureusement, l’année suivante sort « La Cage aux folles », qui va corriger tout cela en changeant notre regard sur la réalité homosexuelle.


Tout cela a de quoi surprendre : en effet, la sodomie est l’une des activités les plus prisées par les libertins de Sade dans les romans dont se réclame le film. Car justement, que reste-t-il de Sade dans « Monsieur Sade » ? Et bien pas grand-chose à vrai dire. Au niveau du scénario, nous avons à faire à un pot-pourri entre « La nouvelle Justine ou les malheurs de la vertu, suivi de l’histoire de Juliette, sa sœur, ou les prospérités du vice », qui est sensé être la trame principale de l’action, mais aussi « La philosophie dans le boudoir » et « Justine ou les malheurs de la vertu », avec des allusions aux « 120 jours de Sodome » et aux « Historiettes, contes et fabliaux » comme si ça n’était pas assez. Bien sûr, tout cela représentant plus de deux milles pages, et le film ne durant qu’une petite heure et quart, il y a pour ainsi dire quelques ellipses. Et étrangement, les passages repris sont avant tout ceux qui impliquent de filmer de la gaudriole. Et oui, inutile de chercher ici les thèses physiques, politiques ou métaphysiques, qui foisonnent dans l’œuvre de Sade. La complexité des exposés du pape Braschi, ou de l’ogre Minski est éclipsée au profit d’une vision simpliste (pour ne pas dire archi caricaturale) de la pensée sadienne : sexe = cool, curés = pervers…


Que dire de plus ?


Et ici, encore une surprise : les scènes empruntées aux différents romans sont mises bout à bout sans grand soin, et les habitués de l’œuvre du marquis y trouveront quelques détails croustillants. Ainsi, nous voyons par exemple un personnage changer de nom au beau milieu d’une scène, le dialogue ayant été pris dans un autre livre sans aucune adaptation. Les pratiques telles que la coprophagie ont évidemment disparu, mais comme il était impossible de faire un film sur Sade sans rendre compte des passions violentes, il a bien fallu que notre petite troupe s’y attelle. Nous voyons donc Justine entre les mains du libertin Guernande, qui a pour perversion favorite de pratiquer la saignée. Il s’agit initialement d’une pratique médicale destinée à récolter du sang sur des palettes, mais ici, les acteurs se contentent de faire des trous dans Justine, au hasard, pour que ça saigne… Du coup, l’actrice en rajoute une couche dans le registre « je joue maaaal ».


La vertu bafouée…


Arrivé à cette scène de torture ridicule, il est définitivement impossible de prendre le film au sérieux une seconde de plus. Et comment tout cela finit-il ? Difficile à dire, car les cinq dernières minutes sont restées inaccessibles à mon simple esprit. Mieux vaut donc se quitter sur un bel effet de foudre, plutôt que de se lancer dans des hypothèses quant au message sensé clore une œuvre aussi décousue.


La foudre selon Jacques Robin


« Monsieur Sade » est une valeur sûre. Regorgeant de détails nanars, le jeu des acteurs et la mise en scène assurent une continuité dans l’absurde qui ne baisse que rarement. Bien au contraire, comme le film est sensé marquer une gradation vers l’immoral, il s’opère une véritable montée en puissance dans la nullité, chaque scène se révélant plus incroyable que la précédente, notamment dans les dernières vingt minutes. Et malgré sa prétention auteurisante et subversive, le film ne manque jamais d’action, et ne présente donc pas les longueurs typiques des gros ratages imbittables du cinéma d’auteur. Que demander de plus ?

- SirApe -
Moyenne : 3.25 / 5
SirApe
NOTE
4/ 5
Nikita
NOTE
2.5/ 5

Cote de rareté - 5/ Pièce de Collection

Barème de notation
Il semble exister plusieurs éditions du film, chose étonnante au regard de sa piètre qualité et son interdiction aux moins de 18 ans. Une première en VHS chez "Space Vidéo" date de 1977. En 1984, "Sodisci" lance lui aussi sa version VHS. Il existe enfin une autre édition, visiblement chez "Conseil Vidéo". A ce jour, aucun éditeur DVD n’a tenté sa chance… étrange…