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Décès de Jean-Marie Pallardy, Nanarland en deuil


Décès de Jean-Marie Pallardy, Nanarland en deuil

 C’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès de Jean-Marie Pallardy. Réalisateur, auteur, producteur et, au fil du temps, un ami de Nanarland, avec qui nous avions noué une réelle complicité.



La découverte, au temps des VHS d’occasion, de son chef-d'œuvre White Fire, Vivre pour survivre, Le diamant, avait été pour nous un véritable électrochoc. Ce film est immédiatement devenu l’une de nos pépites préférées. Évidemment, Jean-Marie avait d’abord très mal pris le fait que nous parlions de ses œuvres sous l’angle du nanar. Dans certaines interviews des années 2000, il menaçait carrément de “nous casser la gueule” ou de “nous filer un coup de boule” si jamais nous le croisions. Une rencontre qu’il imaginait, forcément, “à Cannes”. Comme cela s’est parfois produit avec d’autres réalisateurs, nos chemins ont fini par se croiser. Et heureusement pour nous, pas sur la Croisette.



La première rencontre avec Jean-Marie s’est faite au Grand Rex. Attiré par un bout de visuel tiré de White Fire que nous avions placé sur l’affiche de la toute première Nuit Nanarland organisée là-bas (alors que le film n’était pas diffusé), Jean-Marie déboule dans le hall à l’ouverture de la soirée, demande à nous parler, menace "de venir avec ses potes parachutistes pour tout casser"… puis finit par rigoler et nous raconter ses projets, ses anecdotes, le tout autour d’une canette d’Oasis (true story).

Ce moment a marqué un tournant. La glace était brisée, et nous avons pu envisager une nouvelle rencontre. Cette fois, nous lui proposions une interview dans notre série Nanaroscope pour Arte. Il a immédiatement accepté, ouvrant la porte à de nombreuses discussions de préparation, et à un long entretien, riche et passionnant.

Ces moments privilégiés nous ont permis de mieux découvrir cet homme unique dans l’histoire du cinéma français. Pour autant, tout ce que ses films laissaient deviner sur lui s’est confirmé : Jean-Marie était impulsif, paillard, généreux, bordélique, punk, passionné. Il était un homme de son temps, aussi. Du temps où l'on pouvait monter un film comme un casse. Mais surtout, quoi qu’on en dise, il était un véritable auteur, tel que nous l’entendons ici : une personnalité singulière qui ne pensait qu’à une seule chose, faire du cinéma contre vents et marées (un sentiment partagé par Stéphane Bouyer, qui intervenait aussi dans l’épisode de Nanaroscope. Patron de l’éditeur Le Chat qui Fume, punk lui aussi, il avait eu le courage d’éditer en DVD tous les films érotiques de Jean-Marie Pallardy. Contribuant ainsi activement  à redonner de la visibilité à l'œuvre du maestro dans des éditions soignées et respectueuses, loin du monde du nanar*).

Pour Jean-Marie, l’auteur, pas question néanmoins d’intellectualisation excessive : le cinéma était un état d’esprit. Monter des projets, raconter des histoires, bâtir une filmographie, et surtout, surtout, rêver. Rêver au film suivant. Rêver au plus beau casting possible (il ne se refusait rien), rêver en écrivant, rêver à voix haute en pitchant, en convaincant ses interlocuteurs que ce serait un super film… rêver, c’était son moteur, sa raison d’être.

L’un des moments les plus mémorables de notre relation fut sans doute cette nouvelle soirée au Grand Rex. Cette fois, nous avions programmé, avec sa bénédiction, White Fire en ouverture de la troisième Nuit Nanarland. Ce soir-là aura été, d’après ses propres mots, l’un des plus grands moments de sa carrière. Devant 2800 spectateurs, il a assisté à une projection sold-out, rythmée par des rires éclatants, qui s’est terminée par une standing ovation. Il passa ensuite la nuit à signer des autographes, dédicacer des affiches et poser pour des selfies.

A ce moment-là, Jean-Marie était aux anges. Car pour lui, c’était aussi ça, son rêve de cinéma : une complicité directe avec le public, des tonnerres d’applaudissements, des photos, des signatures… même par des chemins détournés, même de la part de spectateurs qui recevaient le film au second degré. Car derrière l’écran, derrière les rires, l'affection des centaines de spectateurs qui venaient à sa rencontre était absolument sincère. Est-ce que c’était ce qu’il imaginait en débutant sa carrière ? Certainement pas. Mais y a-t-il trouvé du bonheur ? Assurément : à 4h du matin, ce soir-là, il nous appelait pour nous le dire et, évidemment, pour partager des idées de futurs projets qui avaient germé sur le chemin du retour.

Une autre fois, lors d’un coup de fil, nous l’avons entendu dire à son entourage : “Attendez, c’est Nanarland, je prends, c’est eux qui m’ont sauvé la vie.”. Car oui, le cinéma, pour Jean-Marie, c’était 7 jours sur 7, devant la caméra, derrière, et tout le reste du temps aussi (Cette fois, c’était la présence de White Fire, classé en “figure totémique” en ouverture de notre premier livre sur le nanar qui l'avait ravi). Cette phrase, au-delà d’une boutade et d’un certain sens de l'exagération, nous avait beaucoup émus. Car elle reflétait sans doute à quel point il avait été touché, non pas par nos modestes initiatives, mais par cette reconnaissance improbable, attendue autant qu’inattendue qui avait pu en découler.

Il faut dire que, fidèle à lui-même, il avait réussi à transformer cette vague de nostalgie et de curiosité pour ses films en une opportunité. White Fire a été diffusé sur Arte, qualifié par Télérama comme “le plus grand nanar de l’histoire du cinéma”. Il a été remasterisé en HD, puis en 4K, pour intégrer le prestigieux catalogue américain de Vinegar Syndrome, à qui Jean-Marie avait également vendu l’intégralité de ses films. Vivre pour survivre est aujourd’hui disponible en Blu-ray en France, mais aussi aux États-Unis et dans de nombreux autres pays et une nouvelle copie 4K est en préparation.

Cette seconde vie de ses œuvres, soyons clairs, ne nous doit absolument rien. Elle est entièrement le fruit de Jean-Marie lui-même : son obstination, sa foi inébranlable en son art, et sa capacité unique à transformer chaque étincelle en flamme. Quelque part, elle dit tout de lui qui, selon ses proches, aura pensé à ses futurs projets jusqu’au bout. Rêver grâce au cinéma, jusque dans ses derniers instants.

Jean-Marie Pallardy, c’était pour nous tout cela et bien plus encore. Nous tenons donc aujourd’hui  à témoigner de notre immense chagrin, et à envoyer à ses proches toute notre affection dans ce moment douloureux.

L’équipe de Nanarland.com

16 janvier 1940 - 12 décembre 2024

*Nous devons aussi citer Jean-Christophe Simon de Films Boutique et Guillaume Le Disez de Pulse Vidéo qui ont, eux aussi, déplacé des montagnes pour que White Fire connaisse une deuxième vie en salle et en support physique.