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Entretien avec
Godfrey Ho

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Godfrey Ho C'est avec une joie non dissimulée que Nanarland recueille enfin les propos de Godfrey Ho : légendaire metteur en scène des séries Z les plus branquignoles du cinéma de Hong Kong, maître de la technique du «2-en-1 », consistant à faire plusieurs films pour le prix d'un en mélangeant au montage des scènes tournées avec des acteurs occidentaux et des bouts de films asiatiques, Godfrey fut dans les années 1980 le roi incontesté de l'univers des ninjas nanars. Après des années de supputations et de rumeurs diverses et variées, nous avons enfin pu mettre la main sur l'homme, qui s'est confié à nous avec un sympathique mélange de franchise et de mauvaise foi. Escroc pour les uns, génie involontaire pour les autres, voici enfin Godfrey Ho par lui-même.

Nous remercions Godfrey Ho pour sa gentillesse et sa coopération

Les débuts de Godfrey : les années Shaw Brothers

Comment se sont passés vos débuts dans l'industrie du cinéma à Hong Kong ?

En fait, j'ai commencé ma carrière quand j'avais… Hou ! ça devient dur de se souvenir (rires)… Vingt ans et quelques. Je travaillais comme script à la Shaw Brothers.

Et vous aviez décroché ce poste sur candidature, après une sélection ?

Non, j'ai été pistonné par un chef opérateur de la Shaw Brothers. Quand il a appris que les métiers du cinéma m'attiraient, il m'a demandé "Godfrey, tu veux savoir comment ça se passe ? Tu veux apprendre à tourner des films ?" "Oui, bien sûr" "Bon, qu'est-ce qui t'intéresserait ?" "Euh, derrière la caméra ce serait bien, mais en travaillant comme assistant, tout ce que je peux espérer par la suite, c'est un boulot d'opérateur, or, la partie technique n'est pas tellement ma spécialité. Pourquoi ne pas essayer la mise en scène ? " " Ok, alors si tu veux être réalisateur, le mieux est de commencer comme script" "D'accord, cool !..." Donc, j'ai rejoint la Shaw Brothers. Je m'occupais de la continuité des scènes sur les films d'action de Chang Cheh. Ça a duré à peu près un an, puis j'ai été promu assistant à la réalisation. Ensuite, John Woo a rejoint l'équipe, également comme assistant. J'étais le premier assistant et lui le second. On se connaissait pas mal, en ce temps là.

Chang Cheh (à gauche) et John Woo (dernier à droite)

A la Shaw Brothers, vous avez seulement travaillé avec Chang Cheh ou également avec d'autres cinéastes ?

Seulement avec Chang Cheh. A cette époque, il était très réputé pour ses films d'action, très connu, et il travaillait presque tous les jours. Il dirigeait habituellement quatre films par an. C'était un gros bosseur, mais il ne travaillait pas toute la journée. Il ne commençait qu'au début de l'après midi. Il avait des insomnies et s'endormait très tard dans la nuit, donc il ne pouvait pas se lever tôt le matin. Et comme tout le monde devait être sur le plateau à 9 heures précises, on devait l'attendre chaque jour jusqu'à 13 heures pour pouvoir reprendre le tournage ! (rires). Du coup, le matin on avait du temps libre. La plupart des cascadeurs jouaient entre eux à des jeux d'argent. Moi, j'en profitais pour aller visiter les studios de doublage, les salles de montage, je me rendais sur les plateaux pour regarder les autres réalisateurs travailler. Il y a avait plus de dix gros studios à cette période, c'était énorme ! J'avais de la chance de pouvoir être là.

Chang Cheh

Vous aviez de bonnes relations avec Chang Cheh ?

C'était une personnalité de valeur. En fait, à l'époque, je trouvais que le réalisateur était vraiment comme une sorte de monarque dans le studio. Il fumait le cigare, il braillait, il perdait facilement patience, il fallait que tout le monde soit aux petits soins pour lui. Je me souviens d'un film qu'on a fait en Corée. Lors de la fête, après le tournage, j'avais quelque peu abusé du vin et j'étais un peu saoul. Je suis allé le voir dans sa chambre et j'ai commencé à l'engueuler ! (rires). Le lendemain matin, il est venu me voir : "Eh ! Godfrey, tu étais bourré hier soir !" "Ah, vraiment ?" "Ouais, et tu m'as gueulé dessus en anglais !". Chang Cheh ne parlait pas très bien l'anglais mais sa femme si, et elle lui avait traduit mes propos. "Tu sais que tu n'es qu'assistant ? Et tu viens m'insulter ?!" (rires). Il ne s'était jamais énervé contre moi auparavant, mais après ça, il est devenu assez dur avec moi. Suite à cet incident, il ne m'a plus jamais respecté. Mais j'ai dû passer outre car je voulais vraiment faire des films et apprendre encore davantage. C'était une relation de maître à élève, un peu à la Jackie Chan. Tu te sens aussi important qu'une grenaille, et tu dois supporter ça. Maintenant, ça ne se passe plus comme cela, même dans des relations père/fils. Aujourd'hui, même moi, en tant que père, j'aurais une réponse comme « He Papa, Tu n'as pas à me traiter comme ça ! Tu dois me montrer du respect. Autrefois, il fallait obéir sans demander son reste.

D'autant qu'il était l'un des réalisateurs les plus importants de cette époque !

Oui, et c'est aussi ce qui m'a motivé à devenir réalisateur moi-même. Je pensais qu'un jour, je pourrais faire comme lui (rires). Mais en réalité, le métier de cinéaste n'est plus comme avant, en particulier dans le milieu indépendant. Comme tu es l'homme de base, tu dois faire attention à tout. Si tu réagis lentement, tout le monde bouge lentement. Si tu vas vite, tout le monde va aller vite. C'est une course contre la montre. Si le tournage prend du retard, tu dépasses ton budget et c'est cuit. C'est ce que j'enseigne à mes étudiants : "Tu veux être un bon cinéaste ? Alors tu dois d'abord savoir gérer ta course, contrôler ton budget. Tu n'es pas appelé à devenir Wong Kar Wai ou Tsui Hark, ou ce genre de gros réalisateurs qui peuvent dépenser de l'argent comme ils l'entendent". C'est une mauvaise habitude du cinéma de Hong Kong. Ce n'est pas comme à Hollywood, où, si l'on explose le budget, un dirigeant va virer le metteur en scène pour le remplacer par un autre, parce que ce mec défend les intérêts de la banque qui prête l'argent. A Hong Kong, on reçoit l'argent directement en cash de la main du producteur, pas des banques qui n'investissent jamais dans les films (rires).

Il existe une rumeur à propos de Chang Cheh faisant pleurer John Woo sur le plateau de « Blood Brothers ». Vous confirmez ?

Non, non, non, Chang Cheh ne s'en est jamais pris à John Woo. John Woo a travaillé pour Chang Cheh comme assistant pendant seulement un an. Après cela, il est parti tourner ses propres films pour le compte d'une société indépendante. Dans les faits, John Woo était rarement assistant à la réalisation. La plupart du temps, il s'occupait du montage et n'était pas sur le plateau car c'est un homme qui ne parle pas énormément. Il a une espèce de timidité. Il fumait des cigarettes françaises à l'époque, ce qui lui valait le surnom de "French Guy". Mais il respectait Chang Cheh et il a beaucoup appris de lui : le travail sur le ralenti, cette sorte de style… Il admirait Chang Cheh. C'est pourquoi, même après s'être fait un nom par lui-même, il a toujours dit "j'ai appris ça de Chang Cheh". Pas la technique mais le côté créatif. Pour ma part, Chang Cheh m'a simplement enseigné le côté technique. Il ne nous parlait jamais directement, mais nous avons appris sur les plateaux, par expérience. En tant qu'assistant, il me fallait organiser toutes les prises. Nous devions aller voir les rushes chaque jour après le travail. C'était à la fois enrichissant et difficile. C'était chaque jour non-stop, pas de vacances... Mais cela s'est avéré être une méthode efficace pour me forcer à apprendre. C'est pourquoi, peu après le départ de John Woo, j'ai pu mettre sur pied une société de production avec Kwok Ting Hung (un monteur) ainsi qu'un autre gars qui bossait avec Chang Cheh et qui avait fait une école de cinéma en France. Il nous a dit "Allons tourner en France ! ". C'était une sorte de gimmick, ça donnait l'impression d'un budget important car à cette période, il était difficile de voir ces pays étrangers au cinéma, ce genre de scénographie, à l'inverse d'aujourd'hui où l'on peut tout voir. Il voulait être le réalisateur, moi ça me convenait, mais une fois à Paris, il s'est révélé incapable de diriger la moindre scène ! Sur le plateau, il ne savait pas comment faire. Alors j'ai pris sa place. Tout particulièrement parce que j'étais également producteur du film. J'avais demandé à mon père de me prêter de l'argent. Le budget était mince : à mon souvenir, 400 000 HK$ pour la totalité du film. J'ai dit au gars : "Si tu n'y arrive pas, laisse-moi faire" et j'ai commencé à diriger. Il était là : "Waoh ! Godfrey, comment as-tu pu y arriver aussi vite ?" C'est parce que j'avais l'expérience de la Shaw Brothers où l'on bossait sans arrêt. Parce que j'étais premier assistant et que je devais savoir tout faire à la place du réalisateur. Il devait pouvoir me dire : "Ce plan doit être comme ceci ou comme cela" et moi lui répondre : "Ok, je le règle de telle manière". Je devais pouvoir me débrouiller avec les figurants et tout le reste, et ensuite dire "Caméra ! Moteur ! Action ! Coupez !"… Avant de préparer le plan suivant, et ainsi de suite.

Vous étiez le seul chargé de la mise en place, de tous les aspects pratiques ?

Oui, exact. Et j'ai tout appris de cette façon. Et c'est comme cela que j'ai pu faire ce film, « Paris Killer ». Une fois le film achevé, il a fallu le distribuer, or, j'étais ignorant dans ce domaine. L'un de mes partenaires, Kwok Ting Hung, connaissait des distributeurs de Taïwan et d'autres pays d'Asie, mais on ne savait pas comment vendre le film à l'export. C'est pourquoi je suis entré en contact avec Joseph Lai. Je lui ai proposé de distribuer mon film. Il travaillait alors comme distributeur et le film a fait de l'argent. Ensuite, Ocean Shores en a acquis les droits pour la vidéo. Aucun d'entre nous à l'époque ne savait ce qu'était la vidéo ! Le patron d'Ocean Shores, un type rusé, avait pressenti l'essor qu'allait connaître le support vidéo dans le futur. Cela s'est passé comme ça : "J'achète les droits d'exploitation de votre film en vidéo pour le monde entier !" "Combien ?" "5.000 HK$ !" "OK !". On était très satisfaits sur le moment, mais par la suite, on l'a amèrement regretté ! (rires). C'est de cette manière qu' Ocean Shores a gagné beaucoup d'argent. Mais on ne va pas s'en plaindre, car ils savaient s'y prendre pour distribuer un film. A l'époque, la plupart de ceux qui travaillaient pour des compagnies indépendantes, y compris des gens comme Sammo Hung ou Lau Kar Leung, s'ils savaient faire des films, ne savaient pas en revanche comment les distribuer. En définitive, ce sont les distributeurs qui font de l'argent. Les cinéastes et les autres travaillent pour eux.

Joseph Lai.

Donc, c'est à cette époque que vous rencontrez Joseph Lai. Etait-ce à l'époque de la création d'IFD ?

IFD a été créée après. J'ai vendu les droits de distribution internationaux de mon film à Joseph Lai, et après cela, je suis retourné à ma carrière de cinéaste, en faisant d'autres films. Cela a duré 5 ou 7 ans, après quoi l'industrie du film a connu une période de récession. Les films ne se montaient plus. Donc, j'ai rejoint la compagnie de Joseph Lai pour apprendre la distribution. C'est là que je lui ai conseillé de produire nos propres films en faisant tourner des acteurs étrangers, en recrutant tous ceux qui pouvaient se trouver sur place : "Vous êtes américain ? Vous voulez vous amuser ? Venez ! Vous êtes français ? Excellent, rejoignez-nous !". Qu'importe d'où ils venaient tant qu'ils n'étaient pas chinois. Alors, on en faisait des ninjas ou n'importe quoi. On produisait quelque chose comme 5 ou 6 films de ce genre chaque année. C'était une formule grâce à laquelle on a pu faire beaucoup d'argent car ces films étaient très populaires sur le marché. Les acheteurs nous disaient : " Comment ça se fait que vous ayez des occidentaux dans vos films ? C'est génial pour notre public, de voir des gens de chez nous dans des films Chinois." C'était un gadget qui faisait que cela marchait. Après nous, même Jackie Chan s'est mis à employer des acteurs étrangers dans ses films pour jouer les méchants… Des gars comme Richard Norton. Avant cela, comment vouliez-vous caser un étranger dans des films Chinois, à moins d'un rôle de prêtre ? (rires)

Ou d'officier de police...

Voilà. Ensuite, beaucoup de films cantonais se sont tournés avec des gweilos. Et j'ai aussi monté une équipe de doubleurs pour post-synchroniser les films, pour initier les gens à l'exercice du doublage. Parce que le nombre de doubleurs devenait insuffisant pour le studio. J'ai dû trouver une solution. Je me suis rendu a Chungking Mansions [NdT : immense building de Hong Kong constitué de boutiques étrangères et de chambres louées à bas prix, généralement aux étrangers] : "Vous êtes de passage ? Vous voulez gagner de l'argent pour un jour ou deux ?" "Combien ?" "Pour une heure, je vous donne 50 billets !" "Mais je ne sais pas faire ça…" "Aucune importance, je vous apprendrai !" (rires)

La connection coréenne

Revenons un peu en arrière, à la fin des années 70. On trouve dans votre filmographie un tas de films tournés en Corée avec des acteurs Coréens comme Hwang Jang Lee, où vous êtes crédité comme réalisateur. Est-ce vraiment vous qui les dirigiez ou sont-ce simplement des films coréens avec votre nom dessus ?

En fait, ce sont des co-réalisations.

Vous étiez donc vraiment sur place pour les tourner ?

Oui, mais une grande partie des scènes a été tournée par des réalisateurs coréens. Mais pour l'exploitation, on mettait juste mon nom au générique. Autrement, comment vouliez-vous que j'arrive à faire plus de 6 ou 7 films par an ? C'est impossible ! J'étais une sorte de réalisateur en chef. Je connaissais le script.

Un peu comme Chang Cheh, d'une certaine manière, vous supervisiez le projet.

Voilà, un peu comme ça. Cela venait de la direction d'IFD. Il y avait deux patrons, l'un appelé Tomas Tang, qui est mort dans un incendie quelques années plus tard, et l'autre qui était Joseph Lai. Ils trouvaient des débouchés sur le marché du film, et moi j'étais une sorte d'expert. Je les ai conseillés et j'ai fait d'eux des hommes riches.

Comment étaient les conditions de tournage en Corée ?

Bonnes, très bonnes. Ils étaient plutôt professionnels. La seule chose, c'est qu'ils avaient une mentalité très provinciale, ils étaient trop tournés sur eux-mêmes. Mais ils se sont tout de même inspirés des films chinois. J'en veux pour preuve les films de kung fu qu'ils tournaient avec tous ces acteurs habillés en chinois. Sur les marchés étrangers, on ne connaît pas bien la culture chinoise. Personne ne sait à quoi peut bien ressembler l'empereur de Chine. Ils se moquent de tout ça, d'ailleurs. Ce qui les intéresse, ce sont les scènes d'action. Et, heureusement, les Coréens connaissaient très bien le kung fu, spécialement les coups de pieds grâce aux techniques de Tae Kwan Do, qui est un art martial très différent du Kung Fu Chinois plus concentré sur les techniques de poing. Cette formule marchait bien. A l'époque, Hwang Jang Lee et les gars dans son genre étaient très populaires. Les gens allaient les voir et s'exclamaient : "Wow ! Génial !" (rires). C'était l'âge d'or des films de kung fu. Il y avait un public très jeune.

Alors, le deal avec la Corée, c'était que vous preniez en charge la distribution internationale, et qu'en contrepartie, ils gardaient les droits d'exploitation pour le marché local ?

Oui, Les coréens avaient leurs propres marchés. Ils se chargeaient de ça eux-mêmes.

Les années IFD

Parlons un peu des années IFD. Comment se passait votre collaboration avec Joseph Lai et Betty Chan ?

Betty Chan était la femme de Joseph Lai. J'ai travaillé avec Joseph Lai dans la distribution, j'ai appris comment distribuer un film grâce à lui. On allait ensemble sur les marchés du film. Chaque année je devais être présent dans les grandes conventions.

Et qu'est-ce que vous faisiez précisément pour lui ? Vous produisiez ? Vous réalisiez ? Vous faisiez un peu tout ?

Au tout début, oui, j'avais en charge de réaliser les films pour lui. Par la suite, je n'avais plus le temps de le faire car j'étais trop occupé avec le doublage et la distribution. C'était l'âge d'or, mec ! Les premières années, au festival de Milan, Joseph allait signer les contrats lui-même. 20 ou 30 contrats d'un coup et c'était bouclé. C'était stupéfiant ! Maintenant, ce n'est plus comme ça. Tu peux t'estimer heureux si tu parviens à décrocher 10 ou 15 contrats. Autrefois, 30, 40 contrats, c'était facile. Parce qu'il y avait tant d'acheteurs de partout, de Turquie, de France, d'Allemagne… Le marché était en pleine explosion. C'était un bon business.

Vous relations sont restées strictement professionnelles ou bien êtes-vous devenus amis au fil du temps ?

Je travaillais simplement dans son équipe. Il m'avait promis des parts dans l'affaire mais il n'a jamais tenu parole. C'étaient, hélas, des promesses verbales, sans valeur. C'est assez typique des Chinois. Avant que je ne rejoigne sa compagnie, il me disait : "Godfrey, bossons ensemble, tu auras des parts dans la société". Dès lors qu'il avait une Rolls Royce, j'aurais dû pour le moins posséder une Mercedes, pas vrai ? (rires) Mais en fait, pas du tout. C'est pourquoi un jour, ma femme m'a dit : "Allez, cesse de travailler pour lui. Lui s'enrichit grâce à toi. Toi, non. Pense à ton avenir. " C'est pourquoi je l'ai quitté pour rejoindre la compagnie My Way et m'établir à mon compte, en fondant Filmswell, pour produire et distribuer des films. Après cela, il n'a plus fait de films que très rarement, parce que ceux que je faisais étaient bien meilleurs que les siens. Ces films sont devenus difficiles à vendre, dans un marché de plus en plus étriqué. Mais il s'est quand même débrouillé pour produire quelques trucs, à une toute petite échelle, pour le marché du DVD.

Quand vous tourniez pour IFD, quelles étaient les conditions de travail ? Vous aviez un scénario ? Vous travailliez sur plusieurs films à la fois ?

Oui, on faisait deux films à la fois. On embauchait un réalisateur de seconde équipe pour la partie asiatique, tandis que je supervisais la partie étrangère, les scènes avec les acteurs étrangers.

Ce n'est qu'au montage que tout ne devenait plus qu'un seul et unique film, n'est-ce pas ?

Absolument. Même si parfois la réalisation ne collait pas trop, ce n'est qu'au montage qu'on pouvait combiner les éléments de l'histoire. La première fois que vous regardiez le film, vous trouviez ça intéressant, la deuxième fois : "Oh ! il y a quelque chose qui cloche, là !". La troisième fois : "Oh non ! Ce n'est pas de cette manière qu'il faut le faire !", etc. En vérité, l'action est trompeuse.

Habituellement qui supervisait le montage ? Joseph Lai en personne ?

J'étais moi-même chargé du montage, mais, par la suite, Joseph pouvait demander au monteur d'opérer quelques changements. Encore une mauvaise habitude des producteurs de Hong Kong. Ce n'est pas comme aux Etats-Unis où si tu veux modifier le script, tu dois appeler le scénariste qui fera lui-même les changements nécessaires. Si tu passes outre le scénariste et que tu changes le moindre mot, tu vas recevoir aussitôt la lettre du mandataire qui défend ses intérêts. Parce qu'ils ont des syndicats.

Richard Harrison « dialoguant » avec Jack Lam dans «Ninja Terminator ».

Dans la plupart des films que vous avez faits, on retrouve toujours les mêmes musiques. C'était des bandes originales composées spécialement ?

Non, c'est ce qu'on appelle de la musique en licence libre, des œuvres du domaine public, sans copyright. Parfois, nous disposions de la présence d'un compositeur chargé d'aller grappiller des musiques qui venaient d'un peu partout dans le monde. Aujourd'hui, il faut acheter les musiques à Warner Bros, mais à cette époque, non, il n'y avait pas de règles.

Combien de temps prenait le tournage d'une production IFD ?

Parfois deux semaines, parfois trois. C'était sur une courte période, car nous intégrions les parties étrangères entre deux parties asiatiques. Du reste, vous pouvez voir dans les films qu'il y a une partie asiatique et une partie étrangère...

Vous faites allusion aux films qu'IFD achetait en Thaïlande et dans d'autres pays ?

Oui. On insérait ces scènes occidentales au début, au milieu et à la fin.

Et vous pensiez que le film se vendrait mieux comme ça ?

Oh oui, oui. Parce que le marché de la vidéo était très demandeur de ce genre de chose. Les distributeurs turcs nous achetaient les droits pour 5000 US$, par exemple. Vous savez, les producteurs et les distributeurs ne s'intéressent guère qu'à l'argent. Les réalisateurs, eux, sont des artistes. Là est la différence ! (rires).

Vous tourniez souvent dans les mêmes endroits. Je suppose que c'était par souci d'économie ?

Oui, nous y étions contraints. C'était une technique qui visait à diminuer les coûts de production. C'était important, aussi. Du reste, c'est ce que j'enseigne à mes étudiants : "Vous voulez faire un film ? Ce n'est pas un problème de gros ou de petit budget. Si le scénario tient la route, et même si ça implique de tourner avec deux acteurs dans une seule pièce, cela peut tout de même aboutir à une bonne histoire". Comme je dis : "ça ne sera pas Titanic. Vous n'êtes pas encore James Cameron. Il vous faudra débuter dans des productions modestes. Vous devrez faire dire aux gens "Waoh, il a du talent !" et gravir les échelons pas à pas".

De la même manière, si les films de chez IFD étaient doublés après coup, c'était parce que le son direct coûtait trop cher ?

Oh, oui, oui. Tourner en son direct est très onéreux. A cette période, la plupart des films se tournaient en muet. Ce n'est qu'il y a une dizaine d'années que tout le monde s'est mis à tourner en son direct. Autrefois, tous les films étaient post-synchronisés. C'est pourquoi, d'ailleurs, les versions anglaises sont si amusantes (rires).

C'est parce que, comme vous nous l'avez dit, les doublages étaient faits par des gens de Chungking Mansions ou d'endroits de ce genre ?

Voilà. De toutes façons, cela importait peu. Personne ne faisait attention à l'histoire, c'est l'action qui comptait. Le public venait voir de l'action et en trouvait à la pelle. C'était très différent de ce qui se faisait à Hollywood. Ça ne l'est plus, maintenant que des cinéastes comme John Woo et d'autres travaillent là-bas, ou que Yuen Woo Ping fait les chorégraphies de Kill Bill et des scènes d'action comme à Hong Kong.

Il y avait des doubleurs anglais professionnels à Hong Kong ?

En fait, j'ai moi-même formé un Américain pour superviser le doublage. D'abord je lui ai appris la post-synchro et ensuite il est devenu superviseur. Il y avait une femme qui s'en occupait également. Elle faisait un travail de bonne qualité, avec des moyens plus importants, pour des firmes comme Cinema City, par exemple. Les doubleurs ne sont pas plus d'une quinzaine. Et la plupart d'entre eux travaillent pour la télé ou la radio. Le reste, ce sont des amateurs qui ne travaillent qu'à temps partiel, car il est difficile de vivre uniquement de ça. A l'époque, certains parvenaient à en faire leur métier. Vu la quantité de films qu'il y avait, ils se sont mis à quitter leurs boulots pour s'installer comme doubleurs professionnels. Mais par la suite, quand le marché est devenu plus calme, ça a été fini. Même mon superviseur, Scott, est rentré aux Etats-Unis. Il ne parvenait plus à en vivre. Maintenant, vous n'en trouvez plus tellement qui font du doublage. Ils se sont rabattus sur la télé ou la radio.

Joseph Lai est aussi crédité comme producteur de nombreux dessins animés et on note dans les génériques la présence de quelques-uns de vos anciens collaborateurs. Est-ce que vous en savez plus à ce sujet ?

Les dessins animés étaient fabriqués en Chine [NDLR : plutôt en Corée du Sud, semble-t-il ?] parce que les coûts étaient moindres. Joseph Lai a investi là dedans. Mais je ne pense pas que ce soit jamais devenu populaire. Parce que cela dépend beaucoup du scénario et puis il existe déjà tant des dessins animés de par le monde… Ce genre de film d'animation ne pourra jamais rivaliser avec un Walt Disney, par exemple. Néanmoins, cela montre qu'il est encore prêt à s'investir financièrement et à participer à la création de films. De même, lorsqu'il a émigré aux Etats-Unis, avant que je ne tourne là bas des films comme "Honour and Glory" avec ma propre compagnie, Filmswell, je lui ai dit : "Mec, tu pourrais faire des films américains, maintenant que tu vis aux Etats-Unis. Tu pourrais rencontrer les distributeurs, comme Impérial ou Cannon et aller leur parler !" En plus, à Hong Kong, son frère était le patron d'Intercontinental, une grosse boite avec un catalogue important de films étrangers qu'ils distribuaient à Hong Kong. Ils étaient en contact avec beaucoup de distributeurs. Grâce à ce réseau, pourquoi n'aurait-il pas produit des séries B américaines ? Et bien il n'a rien fait. Il avait peur de se lancer. Moi, j'en ai fait trois : "Honour and Glory", "Undefeatable" et "Manhattan Chase". Et cela s'est bien passé.

Dans certains crédits, on trouve des noms comme Homer Kwong, Benny Ho, etc. C'est vous sous des pseudonymes ou bien d'autres personnes ?

(rires) Habituellement, pour les films que je dirige, je prends mon vrai nom, Godfrey Ho. Les autres ça n'est pas forcément moi. C'est la faute des distributeurs. Joseph Lai a voulu qu'on change mon nom pour avoir un autre "Ho quelque chose" au générique ou une histoire dans ce genre. Benny Ho c'est moi aussi. Les autres, non. Je ne sais pas qui c'est.

Une interview de vous aurait soi-disant été publiée sur internet [sur le site ultimateninja.com, aujourd'hui disparu, dont les sources d'information étaient parfois sujettes à caution, NDLR], dans laquelle vous avez prétendu être un certain Alton Cheung.

Alton Cheung, c'est le nom d'un acteur, pas le mien. Les seuls noms que j'utilise sont Godfrey Ho, Benny Ho, Godfrey Hall ou Ho Chi Keung. Tous les autres, ça n'est pas moi.

Comment arriviez vous à recruter des acteurs occidentaux pour vos films ?

En allant à Chungking Mansions, par exemple. Je missionnais une sorte producteur délégué, en lui disant : "Va à Chungking Mansions, rencontre des étrangers, demande leur s'ils veulent jouer dans des films…". J'avais simplement besoin de visages occidentaux pour faire les ninjas. Ils n'avaient qu'une ligne de texte à dire puis ils s'en allaient, ce n'était pas bien compliqué. C'étaient des doublures qui faisaient les scènes de combat mais j'avais besoin de visages étrangers. Je disais : "Amène-moi tous ceux que tu pourras trouver !"

Une facade de «Chungking Mansions ».

Vous souvenez-vous combien de films Philip Ko a pu tourner pour IFD ?

Un certain nombre. Il était crédité sous son vrai nom.

Certains acteurs ayant travaillé pour IFD ont déclaré que les conditions étaient très dures. On tournait la nuit, très tard et il y aurait même eu parmi les équipes techniques des membres des triades infiltrés. Vous confirmez ?

Cela pouvait arriver parfois à cause des restrictions de budget. Les conditions de tournage ne pouvaient pas être comparées à ce qui ce faisait à Hollywood. A Hollywood, chaque jour, je devais préparer la table avec le café et les biscuits. Parce que les gens de l'équipe, surtout l'électricien et son assistant, quand ils travaillaient, avaient l'habitude de s'y rendre pour boire un café et blah blah blah. Pas à Hong Kong ! On apporte simplement un panier-repas, une bouteille d'eau et c'est tout. Ça n'est pas comparable car nous n'avons pas de syndicats. C'est dommage pour les équipes d'ici, quoique que cela tende à s'améliorer, car aujourd'hui, pour être considéré comme un professionnel, il faut imiter ce qui se fait à Hollywood.

Vous avez une idée du nombre de films que vous avez dirigés ?

Une quarantaine, peut-être une cinquantaine. Quelque chose comme ça.

Si l'on en croit Mike Abbott, lorsque l'on travaillait pour IFD on ne pouvait pas travailler pour Filmark et inversement. Les deux firmes étaient en compétition ?

Oh oui. Parce que les patrons, Joseph Lai et Tomas Tang étaient à l'origine dans la même compagnie. Ensuite ils se sont séparés, donc il y a avait entre eux une certaine rivalité. Comme j'étais un bon ami de Joseph, je ne travaillais que pour Joseph. Pas pour Filmark.

Avez-vous travaillé sur « Crocodile Fury » et « Robo Vampire » ?

Ces deux films ne me disent rien. Vous pouvez vérifier au générique.

Il n'est pas facile de s'y retrouver entre toutes les compagnies où vous avez travaillé. IFD, ADDA communication, BoHo, Win…

ADDA, c'est encore IFD. Mais ils s'occupaient davantage du marché vidéo. Joseph Lai a créé ADDA pour la vidéo. BoHo, je ne sais pas ce que c'est. Quant à Win, elle s'appelait auparavant China Star.

Les droits des films Filmark semblent avoir été vendus aux Philippines à un réalisateur dont nous ignorons l'identité. Vous avez entendu parler de cela ?

Ils vendaient les films partout dans le monde. Je me souviens que pour un film, Tomas Tang avait décroché un bon contrat avec le Japon. Comme commercial, il avait de bonnes combines.

Comme Joseph Lai...

Oui, ils étaient très doués pour faire ce genre de séries B. A l'époque les films n'avaient pas une bonne distribution, hormis ceux dont s'occupaient Terence Chang, le partenaire de John Woo. Il travaillait pour D&B. Eux faisaient de bons films et les vendaient sur le marché au meilleur prix. Les nôtres, étaient vendus à plus bas prix car nous n'avions pas les mêmes budgets.

Godfrey à Hollywood : Honour and Glory, Undefeatable et Manhattan Chase.

Pourquoi avez-vous fait "Honour and Glory" avec Cynthia Rothrock ?

A l'époque, le nom de Cynthia Rothrock était encore très vendeur. Alors je suis allé la voir aux Etats-Unis.

Vous n'aviez pas eu de contact avec elle à l'époque où tournait à Hong Kong ?

Non, je ne la connaissais pas du tout. Mais je savais qu'elle avait un bon potentiel commercial alors je l'ai contactée et je lui ai demandé si elle voulait bien faire quelque chose avec nous : "OK, payez-moi !" "D'accord, pas de problème !". Il existe une compagnie nommée Action Star qui produit des films à Washington et dont le boss, Tai Yim, est un maître kung fu. Il avait une école de kung fu et beaucoup d'élèves qui connaissaient bien les arts martiaux. Je les ai rencontrés : "Vous êtes nombreux, vous connaissez le kung fu, vous savez jouer, mais vous ne savez pas faire un film. Moi je sais, unissons nous !" Et Cynthia Rothrock est venue pour tourner "Honour and Glory". On a tourné la totalité du film sur place. Un petit budget, mais qui a fait de l'argent. Puis, nous avons fait "Undefeatable". Pour "Honour and Glory", nous n'avions pu avoir Cynthia Rothrock que pour une semaine. Un planning très serré, pour elle comme pour moi. Donc, pour "Undefeatable", j'ai dit : "faisons un film entier". Un contrat pour la totalité du film, quatre semaines de tournage. Bien sûr, cela a coûté plus cher, mais on a pu le vendre sur le marché américain et, avec les droits vidéo, ça a été plutôt bien. "Honour and Glory" et "Undefeatable" ont fait de l'argent parce que Cynthia Rothrock était très célèbre à cette époque, partout dans le monde. C'est la seule Américaine qui sait se battre ! Alors les gens l'aimaient bien. Après cela, j'ai fait un autre film nommé "Manhattan Chase". Mais le business de la vidéo s'est effondré, alors nous n'avons pas pu le placer sur le marché américain. Or, nous visions précisément le marché américain. C'était ce pourquoi nous étions venus tourner ce genre de série B. Si vous êtes privé du marché américain, vous perdez 50 à 60 % des recettes et il devient difficile de faire de l'argent. Et puis nous ne pouvions pas le sortir non plus à Hong Kong . Les séries B américaines ne sortent pas là bas s'il n'y a pas une tête d'affiche comme Tom Cruise. Alors on a laissé tomber. Nous n'avons pas tourné de quatrième film.

Cynthia Rothrock était une habituée du cinéma de Hong Kong, alors j'imagine qu'elle savait s'adapter.

C'est une Américaine très professionnelle. Une bonne actrice, à l'heure sur le plateau. Vraiment une pro. Pas comme Sibelle Hu qui, à l'inverse, n'était pas du tout professionnelle.

Vous n'avez pas eu de problèmes en travaillant avec Loren Avedon ? Il n'a pas une très bonne réputation.

Oh Loren ! Ouais, ouais, il est émotif. C'est un acteur de films d'action, mais il est assez fauteur de troubles. Il apporte toujours ses problèmes avec lui sur le plateau : "Godfrey, ma femme et moi avons eu une dispute…" "Oh, non, merde ! Ne ramène pas ça sur le plateau, là nous sommes en plein tournage !" "Mais je ne me sens pas très bien à cause de ma femme…" "Allez, tu n'es pas professionnel." Moi, sur le plateau, j'oublie ma femme à Hong Kong, j'oublie complètement Hong Kong. Sur le plateau, je suis là pour faire mon boulot. Ca, c'est se comporter en professionnel. C'est pourquoi il n'est pas un très bon acteur et qu'il a des problèmes pour décrocher des contrats à Hollywood. Il a fait un film avec Corey Yuen ["Karate Tiger 2"] dans lequel il paraissait tenir la distance. C'est comme ça qu'il s'est fait un nom.

Loren Avedon.

Pouvez-vous développer un peu sur votre collaboration avec Tai Yim ?

C'est un bon. Un excellent artiste martial. En fait, il a un frère plus jeune [Sin Yim] et c'est lui qui gère l'école de kung fu, à Washington. Ils étaient producteurs exécutifs sur le film parce qu'ils connaissaient les Etats Unis mieux que moi. Si bien que j'ai préféré leur laisser prendre les commandes de la production et de la distribution. Maître Tai Yim a beaucoup d'élèves, et il s'avérait que l'un d'entre eux était un avocat d'affaires qui avait les compétences requises pour traiter avec les distributeurs. Malheureusement, Tai Yim n'a pas porté plus d'attention que cela au business. Je lui ai dit : "je t'ai fait faire le premier pas dans ce métier, à toi de continuer, tu pourrais faire des films" Il avait bien envie, mais il ne l'a pas fait. Je l'avais lancé, son école était connue et avait bonne réputation, mais il n'aurait pas su bosser convenablement pour y arriver. C'est dommage.

Vous êtes satisfait des chorégraphies qu'il a réglées pour le film ?

Oh, oui, ça va. Je lui ai indiqué comment faire les chorégraphies. Hélas, il n'a pas souhaité faire intervenir les artistes martiaux chinois dans le film, mais heureusement, les autres étudiants jouaient bien. Spécialement avec les armes. Le type avec le Kwan Dao [sorte de lance munie d'une grosse lame à son extrémité], par exemple, il s'en servait vraiment très bien. Son nom était John [Miller]. Il possédait une salle de musculation. Il travaillait son corps mais avait aussi appris le kung fu pendant des années avec Tai Yim. C'est pourquoi cela a été si facile d'avoir tous ces acteurs américains. Après ça, ils auraient vraiment pu développer une petite compagnie de production, faire aussi bien de la distribution, mais ils n'étaient pas assez doués en affaire (rires).

"Undefeatable" existe sous deux versions, celle qu'on connaît en Europe et une autre pour le marché asiatique titrée "Bloody Mary Killer", avec des scènes supplémentaires avec Yukari Oshima.

Ouais, ouais, je vois que vous êtes bien renseignés (rires). J'ai dû faire une deuxième version dans le but de vendre le film en Asie. J'ai ajouté ces scènes avec Yukari Oshima et Robin Shou pour orientaliser l'histoire. Cela a fonctionné. Nous avons réussi à le vendre à Taïwan pour un bon prix. Cela aurait été plus difficile uniquement avec des acteurs américains et un casting de seconde zone .

Quelle version préférez-vous ?

La version chinoise, bien sûr. Mais il s'agit de deux styles distincts. A cause du faible budget, j'ai dû me contenter d'une réalisation très simple, sans mouvement de caméra, plus statique, car ça faisait gagner du temps. A Hong Kong, en revanche, on pouvait faire des plans à la Dolly [NdT : caméra monté sur un chariot mobile].

Vous savez que sur internet, le combat final d'"Undefeatable" est considéré comme un classique ?

Je ne le savais pas. Il n'était pas trop mal. J'ai voulu qu'il soit davantage dans un style américain qu'oriental. Alors j'ai laissé les acteurs utiliser des armes et se battre au corps à corps. J'avais ces deux grands colosses et je voulais qu'on ressente cette puissance physique. C'était pas mal pour l'époque. Les deux avaient appris les arts martiaux avec Maître Tai Yim, par conséquent, ils étaient capables d'une grande variété de jeu. Leur niveau d'exécution était comparable à celui de certains acteurs chinois, comme Bolo [Yeung], vous voyez. Quoique Bolo soit même moins bon car ses kicks ne sont pas terribles. Bolo n'arrive pas à faire de bons coups de pieds.

Les acteurs « gweilos »

Quels souvenir avez-vous gardé d'Alphonse Beni ?

Le Noir, c'est ça ? Je l'avais rencontré à Cannes, au marché du film. Il était distributeur au Cameroun. Quand il a vu nos films, il a dit : "Oh, Godfrey, c'est excellent ! Je veux faire ce genre de films" "Tu veux faire des films ? Ok !" "Et je veux en être la vedette !" "Ok, viens tourner !" (rires). Et voilà ! "Tu allonges l'argent et tu as les droits pour l'Afrique ou la France. Les droits, et tu figures en tête d'affiche, ça te va ? Cool !". C'est comme ça qu'on a fait "Black Ninja". Un film vraiment naze (rires). Mais c'est lui qui payait, il voulait être la star, pourquoi pas ? (rires) C'est le business.

Alphonse Beni en costume ninja.

Il a fait autre chose pour IFD ?

Pour IFD, seulement "Black Ninja", ensuite j'ai travaillé avec lui pour mon propre compte [NdT : probablement pour un film nommé "Top Mission", signé « Charles Lee » et produit par Godfrey]

Je voudrais savoir quels souvenirs vous avez gardé des quelques acteurs occidentaux avec lesquels vous avez tourné :Pierre Tremblay ?

C'est également un doubleur. Il est bon. Il a beaucoup d'humour. Un très chic type. Il a épousé une Chinoise.

Pierre Tremblay dans "Princess Madam".

John Ladalski ?

C'est un peu un gars à problème. Je l'ai encore vu l'année dernière au marché du film de Hong Kong. Actuellement, il réside en Thaïlande. Il est photogénique mais pas très professionnel. Un peu émotif, aussi. Comparé à d'autres acteurs américains, il est moins pro. Je crois que je préfère travailler avec Pierre plutôt qu'avec John.

John Ladalski et Francesca Harrison dans "Diamond Ninja Force".

Bruce Baron ?

Un faiseur d'embrouilles. Je me souviens d'une fois où il a voulu se moquer d'un caméraman. Seulement, cela a dégénéré ente eux et ils voulaient en venir aux mains. J'ai dû moi-même les arrêter. Il parlait un peu le chinois et s'est mis en tête de se lier avec le caméraman. Au début c'était pour s'amuser, mais il s'est énervé et les gars de l'équipe, deux ou trois gus, voulaient le démolir. J'ai fait : "Vous voulez le tuer ? Vous voulez lui casser la tête ? Je ne pourrai plus tourner ! Allons, une blague, c'est une blague, on n'est pas censé prendre ça au sérieux. Arrêtez votre merdier !". Ce n'est pas vraiment un acteur très professionnel.

Stuart Smith ?

Lui, ça va. Plutôt bon. Plutôt coopératif.

Richard Harrison ?

Richard est excellent ! Un très brave type, un vrai gentleman.

Richard Harrison, ravi d'être là dans "The Ninja Squad".

Mike Abbott ?

Mike Abbott est le genre de personnage assez mal dégrossi, voyez. Un gars costaud, un fonceur. Très occidental. Mais je n'ai pas eu à me plaindre de lui.

Mike Abbott en flic occis dans "Princess Madam".

Bruce Fontaine ?

Ouais, très sympa. Bon gars, bonne mentalité. Très coopératif.

Jonathan Isgar ?

Un boute-en-train. Je l'aimais bien aussi mais il n'était pas très pro. Même s'il faisait ce qu'on lui disait, il venait surtout là pour s'amuser.

Jonathan Isgar est... Catman !

Ken Goodman ?

Moyen. Mais pas de problème avec lui en ce qui me concerne.

Steve Tartalia ?

Il était très remuant. Il aimait les défis. Il pratiquait le kung fu et il voulait se mesurer à tout le monde. J'étais là : "Non, non ! Garde ton kung fu pour toi !" (rires). Une fois, il s'est quand même fritté avec un Britannique.

Steve Tartalia dans "Trinity goes East" de Robert Tai

Mark Houghton, c'est ça ?

Ouais ! Mark Houghton avait une bonne maîtrise du Hung Gar [NdT : Style de Kung Fu traditionnel du sud de la Chine pratiqué par Wong Fei Hung et Lau Kar Leung] et il s'était pris un coup dans le nez sur le plateau. J'ai dit : "S'il vous plaît, les gars, pas de ça ici. Vous ferez ce que vous voudrez une fois que tout sera dans la boîte, mais pas sur le plateau. Je vous en supplie ! " (rires). Mais sinon, Mark est un bon gars.

Des acteurs avec qui vous avez travaillé, spécialement Richard Harrison et Bruce Baron, se sont plaints que les contrats n'avaient pas été respectés. Ils avaient signé pour un film et se sont retrouvés dans dix au final !

Oui, vous voulez parler de tous ces trucs ninjas, n'est-ce pas ? Oui, on a fait ça au montage. Les ninjas effectuaient des missions qui pouvaient coller avec tel film ou avec tel autre. C'est pourquoi le producteur m'a demandé si je pouvais faire ce montage. J'ai dit : "Oh, arrête…". Je ne voulais pas le faire mais c'était lui le patron. Par la suite, Richard Harrison m'en a voulu : "Godfrey, tu m'as trahi !". Allez ! C'est pas ma faute ! Je n'avais aucun contrôle sur ça. C'est mon patron qui me forçait à le faire. Je n'étais qu'un intermédiaire. Richard avait signé son contrat avec le producteur. C'est plutôt à lui qu'il devrait s'en prendre, pas à moi. Ceci dit, c'est vrai qu'il avait été engagé pour deux ou trois films et que le producteur en a fait le double en remontant les bandes. Ca a rendu Richard Harrison fou de rage. La vérité, c'est que ce genre de patron n'a aucun sens moral. C'est aussi pourquoi je suis parti. Il ne recherchait que le profit à court terme sans même se soucier de faire quoi que ce soit de correct.

Présent et avenir

En quoi consiste votre activité actuelle d'enseignant ?

J'ai travaillé pour le Centre d'Innovation Multimedia de l'Université Polytechnique de Hong Kong pendant cinq ans et enseigné aux étudiants les techniques du cinéma : la réalisation, le montage, l'éclairage. Le Centre d'Innovation Multimedia a été absorbé un peu après par l'Ecole de Design et ils souhaitaient avoir un intervenant diplômé, ce qui n'est pas mon cas. Alors j'ai arrêté d'enseigner. Je suis parti et j'ai rejoint la Hong Kong Film Academy. Maintenant, je donne des cours académiques, ce qui m'oblige à lire des ouvrages théoriques sur le cinéma. Désormais, je sais en quoi consiste l'activité de scénariste car je connais tous les aspects de la fabrication d'un film. Avant, quand il me fallait lire ces bouquins, je me disais "Ouh la ! Qu'est-ce que c'est encore que ce machin ?!" C'est difficile à comprendre. C'est pourquoi je disais à mes étudiants "Vous venez avec moi et je vous apprendrai à faire des film de manière très pragmatique, pas avec des bouquins. Pas besoin de venir ici pour ça. Vous pouvez directement les commander à Hollywood. Il y en a des tas." Lorsque vous suivez les méthodes de l'Académie, vous ne comprenez pas toujours de quoi il retourne. Quand j'ai tourné un film à New York, j'avais un assistant qui avait étudié le cinéma à l'université. Il m'a dit "Eh ! Godfrey, la manière dont tu diriges est très différente de ce que nous ont appris nos professeurs !" "Bien sûr, tes profs n'étaient pas réalisateurs, il pouvaient t'apprendre la théorie, mais pas la pratique". Je fonctionne de façon pratique. Spécialement sur les petits budgets. Avec un gros budget, c'est facile. Sur un petit budget, le réalisateur est comme un ouvrier (rires). J'ai travaillé comme producteur, comme metteur en scène. Il fallait s'occuper de tout, y compris du petit déjeuner, du repas de midi ou du soir. Quand Cynthia Rothrock est venue de Los Angeles, j'ai dû demander au producteur délégué d'aller la chercher à l'aéroport. Il me fallait aussi m'occuper de ce genre de boulot. Faire des films c'est vraiment un challenge. Tu dois toujours avoir l'esprit en mouvement, organiser chaque détail. C'est certainement moins barbant qu'une vie de moine (rires). Je suis assez occupé ici et j'apprécie de pouvoir rencontrer des jeunes gens. Et tout le monde apprécie mes cours. Ce n'est pas simplement "Ouvrez vos bouquins, blah blah blah…". Je leur raconte comment ça se passe réellement sur un plateau. J'ai eu des étudiants de Corée, de Hollande, des Philippines, de Hong Kong. Une fois diplômé, un de mes étudiants coréens à fait un court métrage qui a été sélectionné dans un festival et a été couvert de prix. Désormais, il travaille dans une compagnie coréenne qui projette de faire un remake du "Syndicat du Crime" de John Woo. Il veut devenir réalisateur et s'installer ici. Je lui ai dit : "Tu veux être réalisateur ? Retourne en Corée !". Car le cinéma coréen est en plein boom à l'heure actuelle. Il parle coréen, cantonais et anglais. C'est pourquoi, un jour, après qu'il aura fait des films en Corée, si une compagnie américaine débarque, il sera le premier à qui ils s'adresseront. Il est promis à un brillant avenir, mais pas à Hong Kong. Hong Kong, c'est mort ! (rires).

Vous avez encore des projets personnels ?

Non, non, pas dans l'immédiat. Pas tant que le marché ne s'est pas relevé. Autrement, c'est perdre son temps. On fait des films en suivant le marché. On aime le côté artistique mais il faut aussi en vivre. Un producteur ne mettra pas un million sur un film s'il n'est pas sûr de le rentabiliser. Il est plus facile de perdre de l'argent que d'en gagner. Je pourrais faire des séries télé en Chine, mais là-dedans, il n'y a aucune créativité. Tu dois boucler un épisode en deux ou trois jours. 40 minutes de vidéo en 2-3 jours ! C'est vraiment serré comme plan de travail. Si j'étais plus jeune, je ne dis pas. Mais pour moi, actuellement, ce serait trop difficile et pas du tout amusant. Je ne veux plus du tout réaliser. Je l'ai fait pendant tant d'années… Pourquoi j'ai fait ce boulot ? Parce que lorsque j'étais jeune, je voyais passer les avions. J'ai pensé que si je faisais ça, je pourrais avoir une place dans l'avion. J'ai pensé que je pourrais voler (rires). Parce qu'à cette époque, nous étions si pauvres, c'était difficile de pouvoir se payer le billet. Par la suite, je voyageais presque trop ! (rires). J'appréciais mon travail.

Le mot de la fin pour tous ceux qui, à travers le monde, aiment les ninjas et le kickboxing ?

Je veux simplement les remercier pour avoir apprécié nos films. Ce sont des films commerciaux, pas des chefs-d'œuvre. C'est un peu comme regarder un jeu à la télé. Si vous recherchez un film d'une grande qualité artistique, laissez tomber ! A cette époque, je n'étais pas prêt pour ce genre de chose. Peut-être qu'à l'avenir je referai un film. Je prêterai alors plus d'attention au scénario et à la mise en scène de manière à faire un film correct.

- Interview menée par La Team Nanarland -