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Parking

(1ère publication de cette chronique : 2013)
Parking

Titre original : Parking

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :Jacques Demy

Année : 1985

Nationalité : France

Durée : 1h30

Genre : Sur le parking des anges, plus rien ne le dérange

Acteurs principaux :Gérard Klein, Jean Marais, Francis Huster, Keiko Itô, Laurent Malet, Marie-France Pisier, Eva Darlan

Drexl
NOTE
4/ 5

L'affiche tchèque, qui donne une toute autre ambiance au film


Le cinéma de Jacques Demy, exception culturelle s’il en est, n’était pas prêt pour les années 80. C’est historique, on ne peut pas le nier. Revoyez les scènes d’intro musicales d’Une chambre en ville ou de Trois places pour le 26 pour vous en convaincre, puis le reste des deux films pour admettre que les meilleures scènes sont encore celles où le cinéaste n’essaie pas d’être raccord avec son temps. L’exemple le plus cruel dans la filmographie de Demy reste encore Parking, œuvre bâtarde torchée à la va-vite dans des conditions impossibles, et très rapidement désavouée par le maître. Face au courroux prévisible des Demydolâtres, plusieurs précisions s’imposent. Ces données objectives permettent, si ce n’est d’atténuer le taux quasi radioactif de nanardise du film, du moins de l’expliquer en grande partie.


L’écriture du scénario de Parking remonte au début des années 70, en pleine exaltation d’idoles du rock aux destins souvent funestes. Jacques Demy élabore son script en croisant deux influences : le spectre encore chaud de Jim Morrison imprimera son héros, et les grandes lignes de l’Orphée de Jean Cocteau dicteront son parcours tragique. Le réalisateur souhaite David Bowie, puis Johnny Hallyday dans le rôle principal : il n’aura aucun des deux. Le projet sommeille durant une bonne décennie jusqu’à ce que le producteur Dominique Vignet déboule avec une petite enveloppe, une rallonge avec les préventes du film au Japon, et une super idée pour le rôle-clé : Francis Huster.


Francis et son look à la "Disco Dancer".


L’acteur sort de deux films consécutifs avec Andrzej Zulawski, La Femme publique et L’Amour Braque – en termes de fatigue nerveuse, il est de notoriété publique qu’un seul tournage avec le Polonais violent équivaut à une décennie de carrière. On n’en sort pas indemne, sans séquelles dans son jeu. Francis Huster, pur produit de l’excellence théâtrale à la française, n’est plus le même. Quelque chose s’est brisé. Ses frontières entre retenue et cabotinage ont volé en éclats.


"C'est toujours idiot les rêves quand on les raconte".


Histoire d’en rajouter plusieurs couches, Dominique Vignet exige que Parking, encore bien en deçà du budget prévu, soit tourné dans les plus brefs délais en vue d’une sélection cannoise. Pire : Vignet impose, dans le dos de Jacques Demy, que Francis Huster interprète lui-même les chansons du film – le producteur pense déjà aux 45 tours qu’il pourra écouler sur le seul nom de sa vedette.


La première scène du film trahit de fait sa plus colossale limite : Francis Huster, affublé qui plus est d’un pull informe et d’un string-bandana qu’il ne quittera quasiment plus, ne sait pas chanter. Pour être plus exact, il a une façon excessivement personnelle de donner de la voix. Torture des syllabes, intonations extraterrestres et souvent hors sujet, mimiques faciales incontrôlables, l’incarnation vocale de l’acteur massacre avec une rare violence des compositions ne brillant déjà pas par leur originalité. Bonheur d’Aimer, Entre nous deux, Simplement… Les titres des morceaux révèlent à eux seuls que Demy et Michel Legrand ne sont pas vraiment au top de leur game.


Orphée.

Orphée est donc une star du rock (enfin, plutôt de la chanson pop mâtinée d’étranges obsessions pour la mythologie), fou amoureux d’Eurydice, sa Yoko Ono qui lui confectionne des statues informes pour les pochettes de ses albums. Introducing le deuxième boulet de Parking : l’actrice nippone Keiko Itô, aussi à l’aise en français que n’importe lequel d’entre nous avec les noms de volcans islandais, dont la moindre réplique semble accouchée dans la douleur phonétique.


Eurydice.


Erotisme torride sur peau de bête.

Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, Orphée est sur le point de jouer à guichets fermés à Bercy. Les répétitions battent leur plein : la dernière chanson d’Orphée, Le Styx, lui « résiste encore ». Alors qu’il l’interprète une énième fois, pour la plus grande hilarité du spectateur, un court-circuit de sa guitare électrique le met KO.


Orphée en concert à Bercy.


Pourquoi moooiiiiii ?


POUR-KOUAAAH MOUAAAAAH !!!!!


POURK-KOU-Aïe !

Charon, le passeur, l’emmène en bagnole dans les profondeurs d’un parking souterrain menant tout droit aux enfers : un autre parking, reconverti en centre administratif aux teintes blafardes. Mais tout cela n’est qu’une grossière erreur ; sur ordre d’Hadès (Jean Marais, hommage à Cocteau, tout ça tout ça), Orphée est renvoyé parmi les vivants.


Charon emmène Orphée dans sa porsche immatriculée "ENF 75".


Le passage vers le 7ème cercle de l'enfer se fait au 7ème sous-sol du parking.


L'enfer selon Demy.


Hadès.

Malgré l’inquiétude de son ingé son énamouré Calaïs et de son manager Aristée (Gérard Klein, complètement éteint derrière sa moustache), Orphée est back dans les bacs. Il refuse les avances d’une certaine Claude Perséphone des éditions Hadès, qui lui propose de rejoindre son catalogue aux côtés de « Beethoven, Brahms, Mozart » (hum).


Gérard Klein et sa moustache, belle incarnation de la dignité outragée.


"Allô, c'est Claude Perséphone…"


Le meeting.

Il s’engueule vite fait avec Eurydice pour une sombre histoire de billets non réservés, puis enregistre un morceau encore pire que tous les précédents réunis. Le soir de son semi plébiscite populaire à Bercy, Eurydice se shoote avec l’héroïne offerte par la présidente du fan-club d’Orphée (a priori, le seul moyen de supporter la musique de l’idole).


La dispute.


La présidente du fanclub.


La mort d'Eurydice.


Inconscient du drame qui se joue chez lui, Orphée se la donne sur scène : il sautille, brame, hulule, accumule les rimes plates et convenues, avec cette aisance propre aux vrais ténors de la chanson française (en gros, on dirait du sous-sous-sous-Michel Fugain). On le voit haranguer la foule de figurants bovins qui lui tient lieu de public, on le voit suer à grosses gouttes et boire de grandes gorgées de Contrex, parfois il chante en fermant les yeux et parfois il chante en souriant, toujours avec cette voix de chat écorché. C'est un triomphe.


Bercy.


La foule en délire.


Bonheur de vivre et de chanter.


Ce n'est que lors de l'after, alors qu'il est en pleine « Célébration, célébratiooooon » de son concert – et juste après avoir roulé une conséquente galoche à son fidèle Calaïs – qu'Orphée apprend la mort par overdose de sa bienaimée. Comme de bien entendu, il ira la chercher aux enfers, qu’il tente de rejoindre une première fois en se jetant contre le mur du parking, gratifiant l’œil du nanardeur averti d’un splendide mannequin en mousse.


Mon Dieu, il est arrivé quelque chose.


Orphée est tristesse.


Orphée est en mousse.


Putain l'amour ça fait mal... (notez que ce n'est pas la tête d'Orphée qui est bandée mais seulement ses cheveux !).


Jacques Demy assura avec professionnalisme le service après-vente de son film, notamment face à un Henri Chapier délicieusement dubitatif (leur entretien télévisé est disponible sur le site de l’INA). Mais dès la fin de ses obligations contractuelles, il s’empressa de rejeter Parking, qu’il considérait comme raté à tous les niveaux. Production design cheap au possible, figurants et temps de tournage limités, acteur principal impossible à diriger – et plus proche de Francis Lalanne que de Jim Morrison… Le miracle créatif n’a pas eu lieu. Même avec toute la bonne volonté du monde, le projet partait avec beaucoup trop de plomb dans l’aile.


Erotisme à l'étude.


On y est presque.

C’est bien simple : à l’écran, en dehors d’un Francis Huster en pleine mauvaise descente zulawskienne, personne n’a l’air d’y croire, des cent figurants de Bercy sous Tranxène au staff d’Orphée visiblement insensible au charme de la vedette. Parking est un train sans conducteur que tous ses participants regardent passer en attendant qu’il déraille. Une agression esthétique continue, clairsemée d’instants inexplicablement gonzo (ce moment autre où Orphée commande un café), et dont la bande-son hurle en permanence l’aberration. Interrogé sur le film en 2010, Francis Huster s’est confessé. « C’est un métier d’être chanteur et ce n’est pas le mien. (…) Ça, c’est une casserole. » A ce niveau-là, on peut même parler de chaudron.


"Bonheur de l'amooouuur !" (et des ballons multicolores)

- Drexl -
Moyenne : 3.50 / 5
Drexl
NOTE
4/ 5
John Nada
NOTE
3/ 5
Rico
NOTE
4/ 5
Kobal
NOTE
2.5/ 5
Labroche
NOTE
4/ 5
Barracuda
NOTE
3.5/ 5

Cote de rareté - 2/ Trouvable

Barème de notation

Parking est disponible dans le coffret "Tamaris" Jacques Demy Intégrale sorti fin 2008. Vaut-il à lui seul les 80 euros de l’objet ? D’un point de vue historique, à n’en point douter.