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Manos, the Hands of Fate

(1ère publication de cette chronique : 2005)
Manos, the Hands of Fate

Titre original : Manos, the Hands of Fate

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :Hal Warren

Année : 1966

Nationalité : Etats-Unis

Durée : 1h14

Genre : Néant filmique

Acteurs principaux :Tom Neyman, John Reynolds, Diane Mahree

Barracuda
NOTE
2/ 5


"Le plus mauvais film du monde". C'est ainsi que Manos - The Hands of Fate est souvent décrit sur Internet. Indéboulonnable à la première place du "worst #100" de l'imdb, Manos est une légende qui, comme tant d'autres, doit sa renommée à son passage dans l'émission américaine "Mystery Science Theater 3000" ou "MST3K". Aussi, lorsqu'il parvient à mettre la main sur une cette perle, le nanardeur s'attend-il à un spectacle de qualité. Alors, ce Manos, que peut-on en dire après une évaluation rigoureuse et impartiale ?

C'est N-U-L.


Manos n'a pas usurpé sa réputation. C'est effectivement un très, très mauvais film. Toutefois, on sent vite pendant le visionnage qu'on va être un peu déçu. Manos est peut-être le plus mauvais film du monde, mais il n'est au final qu'un nanar moyen au rythme vraiment trop lent pour aller se mesurer aux White Fire et autres Laser Force.


Le film s’ouvre sur trois longues minutes de paysages mornes filmés depuis une voiture.


Manos - The Hands of Fate (littéralement "Mains - Les Mains du Destin") est supposé être un film d'horreur mystérieux et angoissant. Il nous raconte l'histoire d'une famille ordinaire perdue dans la campagne qui trouve refuge dans une demeure isolée occupée par un certain Torgo qui prétend n'être là que pour "garder la maison lorsque Le Maître s'absente". Il s'avèrera en fait que "Le Maître" est une sorte de sorcier qui aime collectionner les épouses et jettera son dévolu sur la jeune mère de famille.


La petite famille au complet.


Torgo et sa démarche inimitable… La musique qui l'accompagne donne envie de se fracasser la tête contre les murs.


La Maître : la classe et l’élégance. Et la moustache.


Torgo, il devient très vite notre ami. Avec sa démarche bizarre, sa tronche pas possible et ses répliques de folie, il monopolise l'attention dès qu'il est à l'écran. En comparaison, même le Maître apparaît plutôt palot mais sauve l'honneur par ses grands mouvements de cape, sa moustache occulte et ses phrases définitives sur la vie, la mort, et Manos. Etonnamment, je suis forcé de reconnaître que les acteurs qui tiennent ces deux rôles sont plutôt bons. Les personnages qu'ils jouent sont grotesques mais eux-mêmes s'en tirent plutôt honorablement et semblent réellement s'impliquer dans le film.

A l'inverse, les trois membres de la famille sont insipides à l'extrême, un trio d'inexpressivité mollassonne qui joue avec autant de conviction qu'un chou-fleur. A leur décharge le doublage, qui leur colle des voix monocordes et ânonnantes (mention spéciale à la gamine, insupportable) et a aussi sa part de responsabilité, manque de professionnalisme bien compréhensible vu l'inanité abyssale des dialogues.


Notez comme les ombres et l’éclairage ont complètement changé d’un plan à l’autre. Manos, c’est pas du faux raccord de tapette.


Si l'on définit le fantastique comme une distorsion subtile de la réalité, alors Manos est incontestablement un très bon film fantastique. Le monde de Manos n'est pas le nôtre, même l'action la plus anodine s'y déroule d'une manière subtilement différente. Plus lentement, en fait. Le visionnage d'un film comme Manos-The Hands of Fate s'apparente plus à une épreuve d'endurance qu'à une séance de cinéma. "Mou" n'est pas un mot assez fort pour décrire le rythme de l'action tant Manos est au-delà de la mollesse, à un point difficilement concevable. Cette espèce de torpeur qui habite tous les aspects du film, depuis la réalisation jusque dans la diction et le jeu des acteurs, tend insidieusement à contaminer le spectateur qui devra déployer des trésors de volonté pour ne pas s'assoupir devant le film. Un seul exemple : lorsque la famille arrive à la demeure du Maître et que Torgo se tient sur le porche, on a droit à un plan séquence interminable (enfin, d'un peu moins de 32 secondes) montrant le père arrêter le moteur, descendre de la voiture et faire le tour pour aller ouvrir la portière de sa femme et faire descendre sa fille, le tout sur une musique entêtante insupportable. Le scénario aussi se traîne comme c'est pas permis, le Maître mettant un temps fou à sortir de sa léthargie, ses épouses débattant pendant trois plombes du sort à réserver à l'enfant et pendant ce temps là la famille se livre à un interminable examen de conscience pour décider s’ils ne devraient pas se tirer vite fait vu le comportement pas très net de Torgo.


Une scène de bagarre molle et interminable qui rappelle les pires moments de "Brazilian Star Wars".


Comme souvent, la première question qui vient à l'esprit à l'issue du visionnage d'une telle oeuvre est : pourquoi ? Pourquoi ce film ? D'où vient-il ? Comment a-t-il été conçu, financé, réalisé ? Comment se fait-il qu'aucun producteur muni de gousses d'ail et d'un solide crucifix n'ait eu le courage de s'aventurer dans l'enfer de ce navet cosmique pour mettre fin au carnage ?


Retenez bien ce portrait : il nous est montré une bonne trentaine de fois au cours du film. Ca doit vouloir dire qu'il est important.


De fait, dans ce cas précis, le récit des conditions de tournage est presque aussi drôle que le film lui-même. Le réalisateur de Manos est en fait un grossiste en engrais de la ville d'El Paso, Texas. Pour financer son film à hauteur de 20 000$, il a fait appel à la contribution des habitants et en particulier des notables, souvent en échange d'une apparition dans le film. Les techniciens eux-mêmes ainsi que la plupart des acteurs reçurent pour tout paiement des parts dans le film. Ceci explique la présence à l'écran de certains personnages totalement inutiles et jouant très mal... mais qui avaient donné leur obole à la production. La majeure partie du film est d'ailleurs filmée dans la demeure du juge local.

Pour tourner, Hal Warren n'avait à sa disposition qu'une caméra à ressort ne permettant de filmer que 32 secondes à la suite. Qu'à cela ne tienne ! Lorsqu'il a besoin de plans plus longs, il lui suffit d'ordonner aux acteurs de reprendre la pose et de continuer leur dialogue... et tant pis si plusieurs heures se sont écoulées depuis la première prise et si la nuit est maintenant en train de tomber. Encore plus fort : sur l’un des plans, on peut voir très brièvement les mains actionner le "clap" signalant le début de la scène. Hallucinant. Par ailleurs, cette caméra ne pouvant pas enregistrer le son, tous les dialogues du film furent post-synchronisés (pratique courante par ailleurs, le cinéma italien n'a travaillé que comme ça pendant des années) par exactement deux hommes et une femme, chargés de doubler tous les personnages. Lors de la première projection à El Paso devant le gratin de la ville, l'équipe du film se serait éclipsée en plein milieu par peur de se faire lyncher.


"Mais qu’est-ce que j’ai fait au ciel pour tourner dans une merde pareille !?"


Je m'arrête ici et je vous épargne la longue liste des incidents sur le tournage que vous trouverez in extenso dans l'excellent ouvrage de François Kahn "L'Encyclopédie du Cinéma Ringard" ou plus prosaïquement sur la fiche imdb du film. Ce qui ressort toutefois de cette description, c'est que Manos, au coeur, demeure un film amateur. Il est injuste dans ce cas de le mettre sur le même plan que même les plus fauchés des Eurociné ou des Cine Excel qui bénéficient au moins de la compétence de cameramen, de preneurs de son et plus généralement de techniciens professionnels habitués à travailler sur des budgets microscopiques. Si je peux donner mon humble avis, le pire film du monde serait plutôt un actioner américain honteusement crétin ou une bessonerie ouvertement racoleuse, style Bad Boys II ou Taxi 3. De même, Hal Warren a peut-être fait le plus mauvais film du monde, mais il n'est que réalisateur d'un jour. Pour ma part, le pire réalisateur de l'histoire est et restera sans doute Godfrey Ho, et pas seulement parce que ses films sont exécrables.


Plein feu sur la moustache !


A voir comme une curiosité plutôt que comme un gros nanar, Manos demeure un mètre-étalon de la médiocrité qui conserve toutefois un réel capital de sympathie par son côté fauché au-delà de tout et par le nombre hallucinant de tuiles qu'a connu le tournage. Ne vous méprenez pas : le film comporte bel et bien plusieurs scènes réellement drôles, avec des faux raccords ahurissants, mais celles-ci se retrouvent quelque peu noyées dans un tel océan de lenteur.


"Youpi, le film est presque fini ! Courage Torgo !"


Ces deux jeunes ne servent rigoureusement à rien dans le film, mais on les voit régulièrement se bécoter et se faire harceler par le shérif du coin. Il ferait mieux de s’occuper du sorcier fou qui habite à deux pas de leur juridiction.



Addendum de Sledgehammer :

« Manos » est surtout une espèce de trou noir, du vide abyssal qui engloutit tout. Ce qui est fascinant dans le résultat, c'est qu'on retrouve plein d'effets (le faux raccord, les vues interminables sur la route) chez Godard, chez Lynch ou chez d'autres réalisateurs (même Jean Rollin). Pour ces types, on se dit quelque part que c'est volontaire, même si l'effet n'est pas toujours réussi, comme chez Rollin, bien entendu. Dans « Manos », on se rend compte que ça n'a pas été du tout été fait exprès. Si le couple de tourtereaux se bécote dans la décapotable toute la journée, c'est parce que l'actrice s'était cassée la jambe et devait rester assise. S'il y a ces plans vus à travers le pare-brise pendant trois minutes, ça n'est pas pour traduire la monotonie du voyage comme dans un film style « Macadam à deux voies », c'est parce que le réalisateur voulait mettre le générique à ce moment et qu'il a oublié de le signaler au laboratoire !

Disons que c'est à voir parce qu'avec ce film on a carrément l'inventaire des fautes à éviter si on veut faire un film. Il n'y en a pas une qui échappe à Hal Warren. C'est encore pire que « Supernichons contre mafia » !

Un récit autobiographique paru en 2016 de Jackey Neyman Jones, qui jouait la petite Debbie dans le film.

- Barracuda -
Moyenne : 2.44 / 5
Barracuda
NOTE
2/ 5
Rico
NOTE
3/ 5
Drexl
NOTE
2/ 5
Jack Tillman
NOTE
2.75/ 5

Cote de rareté - 4/ Exotique

Barème de notation


Film au budget microscopique, sans envergure internationale, Manos ne doit sa notoriété qu'à son passage dans le Mystery Science Theater 3000. Jamais importé en France, sa renommée lui a valu de sortir récemment aux Etats-Unis en DVD dans la collection MST3K (c'est à dire farci des plaisanteries des petits personnages sous l'écran) disponible sur tous les sites de vente en ligne, puis en Blu-ray chez Synapse. On la trouve aussi chez "Alpha Video" en édition zone 1. Une édition pas chère mais sans rien dedans hormis le film en V.O.


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