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L'Invasion martienne


L'Invasion martienne

Titre original :Teenagers from Outer Space

Titre(s) alternatif(s) :Killers from Outer Space, The Boy from out of this World, Invasion of the Gargon, The Gargon Terror

Réalisateur(s) :Tom Graeff

Année : 1959

Nationalité : Etats-Unis

Durée : 1h26

Genre : Oh, Martien m'a tuer

Acteurs principaux :David Love, Dawn Anderson, Bryan Grant, Harvey B. Dunn, Tom Lockyear

Max Schreck
NOTE
3.5/ 5


Quelque part entre l'amateurisme passionné d'un Ed Wood et la maîtrise budgétaire d’un Roger Corman, voici Tom Graeff. Cet authentique artiste maudit est l'auteur du long-métrage qui nous intéresse ici, devenu au fil du temps objet d'un petit culte aux États-Unis. Né en 1929, Thomas Lockyear Graeff réalise ses premiers films au début des années 1950, d'abord dans le cadre de ses études de cinéma à l'UCLA (Université de Los Angeles), puis en total indépendant. Il s'agit de courts-métrages à la distribution plus que confidentielle, qu'il écrit, réalise, interprète, photographie et monte pratiquement tout seul ou avec quelques copains (voire petits copains). Il se fait embaucher en 1956 par Roger Corman, faisant office à la fois d'assistant et de figurant sur le plateau de « Not of this Earth », un film amusant mais d'une cheaperie innommable qui traite d'invasion extraterrestre. Inspiré par cette expérience, Graeff va aussitôt fonder sa propre société de production, Topaz films, et mettre en chantier ce qui en sera l'unique production, sous le titre de travail « Killers from outer space ».


Il en rédige le script, y investit sa maigre fortune et lance des appels à souscriptions dans la presse professionnelle, offrant aux investisseurs qui le désirent un rôle et le crédit de producteurs associés. Le héros du film sera incarné par son amant d'alors, David Love (de son vrai nom Chuck Roberts) tandis que lui-même endosse la défroque d'un journaliste, apparaissant au générique sous le nom de Tom Lockyear. On notera également la présence de Harvey B. Dunn dans le rôle du grand-père, un acteur déjà vu chez Ed WoodLa Fiancée du Monstre », « La Nuit des Revenants »). Graeff réduira encore les frais en cumulant une nouvelle fois les postes de chef-opérateur, de superviseur des effets spéciaux, de monteur, et en recourant à des musiques libres de droit, piochant dans le même catalogue que celui qu'exploitera douze ans plus tard George Romero pour sa « Nuit des morts-vivants ». Pour s'épargner les frais d'un ingénieur du son, le film sera entièrement post-synchronisé.


Tom Lockyear Graeff, artiste complet.

Ici en compagnie du bien nommé David Love lors d'une scène équivoque.


Tourné en décors naturels dans la campagne californienne pour un budget estimé à 20 000 dollars, « Killers from outer space », achevé en 1956, devra attendre trois ans avant de trouver un distributeur. Heureusement la Warner est alors en quête d'un bouche-trou pour compléter un de ses doubles-programmes et Graeff parvient à vendre son bébé, qu'il a rebaptisé « The Boy from out of this world ». Pour profiter du succès de certains films fantastiques pour adolescents apparus entre-temps (« I was a Teenage werewolf », « I was a Teenage Frankenstein », « Teenage cave man »), le studio imposera cependant un nouveau titre, jugé plus vendeur : « Teenagers from Outer Space ». Couplé avec « Gigantis the fire monster » — la suite du « Godzilla » original — le film fait tranquillement la tournée des drive-in avant de poursuivre sa carrière à la télévision. À peine Graeff voit-il arriver les premiers bénéfices de son travail que déjà ses créanciers se rappellent à son bon souvenir (créanciers qui furent aussi ses acteurs, rappelons-le). Coïncidence ou non, il entre au même moment dans une profonde crise mystique : persuadé que Dieu lui a parlé, il prétend être le Christ ressuscité porteur d'un message de paix et d'amour. Il donne des conférences, lance une pétition pour que l'état-civil l'autorise à changer son nom en Jésus Christ II, provoque des incidents dans des églises. Arrêté à plusieurs reprises, il sera incarcéré puis interné en hôpital psychiatrique où il subira un traitement aux électrochocs. Il trouve encore l'occasion de travailler pour le cinéma en 1965, en tant que monteur sur « The Wizard of Mars » alias « Horrors of the Red Planet », un nanar de SF avec John Carradine, puis se démène en vain pour lever 500 000 dollars (sic) dans l'espoir de financer son nouveau projet de film. Vivotant, échouant à capter l'attention d'Hollywood, il se suicide en 1970. Il avait 41 ans.


Le film aura même droit à une exploitation au Mexique.


« L'Invasion martienne », alias « Teenagers from Outer Space », fait donc partie de ces productions de SF des années 1950, outrageusement fauchées et dont les ambitions sont clairement compromises par la faiblesse des moyens et des talents. Le fait qu'il s'agisse d'un authentique film d'auteur rend le résultat encore plus attachant, c'est pourquoi un préambule sur le pathétique destin de Tom Graeff nous semblait nécessaire.


Un mode de déplacement très en vogue en 1956.


Tout le film va se dérouler en plein jour, malgré les dénégations suspectes de certains personnages qui parlent à l'occasion d'attendre que le soleil se lève alors qu'il est incontestablement haut dans le ciel. Le récit démarre avec l'atterrissage d'une splendide soucoupe volante dans un terrain vague. Un chien qui passait par là surprend la manoeuvre et se fait instantanément désintégrer par un des teenagers from outer space, sans doute parce que ses aboiements ressemblaient trop à un bruitage mis en boucle.
Première surprise : fidèles à une certaine tradition cinématographique qui fait rimer économie et insolite, sous leur combinaison nanarde et leur casque récupéré dans un surplus de l'US Air force, les extraterrestres ont l'apparence de parfaits humains.
Seconde surprise : ce sont loin d'être tous des "teenagers" (Preuve d'un retitrage opportuniste, le film ne présente aucun des ingrédients qui composent les teenage movies de cette époque : pas de plans drague, pas de scènes de juke box, de blousons noirs ou de délinquance juvénile).
Troisième surprise : euh... ils projettent d'envahir la Terre. Plus précisément, ils comptent y faire pousser des "Gargons". Il s'agit de bestioles qui leur servent de nourriture mais dont la croissance est telle qu'elle en rend dangereuse l'exploitation sur leur propre planète. Le spectateur se réjouit d'apprendre qu'un craignos monster est au programme mais doit bien vite déchanter en découvrant que le Gargon en question n'est rien d'autre qu'un homarus vulgaris, autrement dit un vulgaire homard.


Sans doute l'acteur le plus cher du film.


Pour l'instant, l'animal est sous cloche. Il n'a pas entamé sa croissance et mesure une trentaine de centimètres. En cas de réaction positive à notre atmosphère, feu vert sera donné à l'implantation de millions d'autres spécimens. Nous avons donc affaire ici à des éclaireurs de l'espace, et parmi eux se trouve Derek. Graeff va faire de lui le héros du film et c'est assez osé de sa part d'avoir fait passer l'idée qu'il peut aussi y avoir des gentils chez les méchants. Derek, c'est en effet de la graine de rebelle. Il a appris à lire et n'a pas oublié qu'avant d'être une société collectiviste élevée dans des incubateurs, son peuple avait le sens de la famille et de l'amour. Il découvre parmi les restes du petit chien une médaille avec un nom et une adresse gravée. Il y voit la preuve d'une forme de vie intelligente sur cette planète et se désolidarise soudainement du plan de ses compatriotes, imbus de leur propre supériorité. Il leur fausse compagnie, espérant sans doute pouvoir alerter les autorités locales de la menace gargone. Thor, le méchant constipé du film, est sommé de le ramener, voire de l'éliminer en cas de résistance. Une folle poursuite s'engage.


Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine !

Une belle brochette de citoyens modèles.


Nous débarquons alors dans une de ces petites villes si typiques de la province américaine, avec sa station service, son cabinet médical, son diner's, son lycée. Ce qui est moins typique c'est que les habitants semblent tous avoir subi un lavage de cerveau tant leurs réactions aux différents événements du film s'avèrent aberrantes. Derek se fait prendre en stop et fait la connaissance de Betty, la propriétaire du chien atomisé, qui non seulement accueillera plutôt bien la nouvelle mais invitera tout de go l'extraterrestre à s'installer dans la chambre que loue son grand-père, absolument pas intriguée par son accoutrement ridicule. Et c'est l'entrée en scène d'un fascinant personnage à la serviabilité vraiment douteuse puisqu'il accueille Derek sans même demander à voir ses fiches de paye, lui fait visiter la maison et l'encourage même à aller fricoter avec sa petite fille. C'est donc ça l'Amérique ? La relation entre Betty et Derek n'ira pas vraiment plus loin qu'une timide romance dans les blés, mais on ne s'étonnera pas que l'alien songe à demander la naturalisation. Plus tard, toujours tout sourire, le grand-père renseignera Thor avant même que la moindre question ne lui soit posée, noyant son interlocuteur sous une profusion de détails qui n'était vraiment pas nécessaire et lui facilitant la localisation du pauvre Derek.


— Vous habitez chez vos parents, beau brun ?
— Attendez, je vous annonce qu'on a désintégré votre chien et c'est tout ce que vous trouvez à me répondre ?


Je peux vous offrir l'apéro aussi si vous voulez.


Cette gentillesse franchement louche, voire gluante, sera heureusement châtiée. Car Thor, suivant les traces de Derek, va commettre un véritable carnage en ville grâce à son pistolet désintégrateur. Attardons-nous un instant sur cette arme qui possède l'étrange particularité de changer d'apparence. Hors tension, l'objet se révèle être un jouet pour enfant fabriqué par Hubley Manufacturing Co., un modèle très populaire dans les années 1950 devenu aujourd'hui pièce de collection (près de 300 dollars sur Ebay).



L'arme du crime : le Hubley atomic disintegrator space ray gun™, disponible dans ton Toys'R'Us le plus proche.

Te marre pas, c'est pour rire !


Une fois activé, on a plutôt l'impression d'avoir affaire à une lampe-torche, tenue par la main tremblotante de l'alien pour donner l'illusion d'un rayonnement. Son efficacité est quoi qu'il en soit redoutable puisqu'elle ne laisse de ses victimes qu'un squelette tout propre, aux articulations parfaitement jointes et sur la tête duquel on peut facilement distinguer le support qui permet de le suspendre dans le laboratoire d'anatomie où il a manifestement été emprunté. Je ne pense pas trop m'avancer en disant que la production ne devait disposer que d'un unique exemplaire, réutilisé d'une scène à l'autre, et ce festival de squelettes est un vrai régal. Parmi les victimes, l'une des plus mémorables est sans doute cette blondasse qui ne fait rien que barboter dans sa piscine en asticotant le moindre mâle qui vient à passer. La scène est jugée tellement saisissante qu'elle se retrouvera en argument de poids sur l'affiche du film (« Before - a beautiful girl. One moment later - a skeleton ! »). Quelques années plus tard, les Martiens de Tim Burton se souviendront de cette fascinante technologie.


Patron ! Vous devriez venir voir, je crois qu'y a un os...

Je lui avais bien dit que ses pauses déjeuner étaient trop longues !


Tom Graeff mène son récit sur un rythme assez soutenu, enchaînant ses scènes sans trop s'appesantir et faisant débiter à ses acteurs des répliques souvent tordantes par leur imperturbable sérieux. Il faut préciser ici que le scénariste ne connaît pas le second degré et qu'il a purgé son film de tout humour volontaire, pour un résultat à l'écran d'autant plus risible. Entre les crises de conscience niaiseuses de Derek et les humains qui n'entravent que couic à ce qui se passe, le réalisateur laisse une bonne place au suspense et aux scènes dites d'action, nous donnant ainsi droit à une molle fusillade en centre-ville avec des policiers manifestement aveugles ou bien tirant à blanc, suivie d'une poursuite en voiture s'achevant sur une belle série de tonneaux.


Du mystère !

Du suspense !

Du sexe !


Arrivé à ce stade du film, le spectateur bien intentionné est prêt à reconnaître au réalisateur, malgré un manque de moyens édifiant, le louable souci de bien faire. Mais le spectateur déviant, lui, n'a pas oublié que dans l'ombre, un Gargon sous cloche attend de faire exploser le quotient d'irresponsabilité nanarde. Et c'est en effet un magnifique homard géant qui va surgir de sa grotte pour faire régner la terreur sur la dernière demi-heure. Graeff n'a peur de rien et son Gargon sera là encore un authentique crustacé vivant, approximativement placé en surimpression sur la pellicule. Je me demande même si sur certains plans le pauvre animal n'est pas tout simplement brandi et agité devant la caméra pour donner l'illusion de sa grandeur. Il se peut également qu'il s'agisse d'une ombre chinoise projetée sur un écran pendant que le film défile. Impossible d'avoir la moindre notion d'échelle par rapport au paysage ou aux personnages, et inutile de préciser que le Gargon donne régulièrement l'impression d'être transparent. Non crédité au générique — comme on le comprend ! — c'est Paul Blaisdell qui manipulerait le homard. Blaisdell est surtout connu pour avoir crée quelques-unes des créatures les plus mythiques et les moins coûteuses de la série Z (le concombre géant d'« It conquered the world », les costumes de nains d'« Invasion of the saucer-men », ou encore l'alien en mousse d'« It ! The terror from beyond space »). Il semble qu'il se soit ici surpassé. C'est à la fois grotesque et jubilatoire. Je ne peux pas non plus passer sous silence le cri de la bête : imaginez un perroquet tuberculeux à peine sorti de son sommeil, étranglé par un anorexique portant des moufles.


Georges Méliès peut aller se rhabiller.


Après s'être dandiné dans la campagne environnante le temps d'augmenter raisonnablement le body count du film, notre sympathique Gargon va se prendre une rouste de la part de Derek. Un spectacle assez pénible car il faut avouer que nous avions fini par prendre le bestiau en affection. Cela dit, la technique employée vaut son pesant de crevettes : Derek utilise une ligne à haute tension pour recharger sa lampe de po... euh, son rayon désintégrateur et lui donner plus de puissance. Oui, une ligne à haute tension, dont il décroche les câbles consciencieusement tandis que Betty demande gentiment par téléphone si la compagnie d'électricité veut bien pousser le voltage au maximum, quitte à mettre la centrale qui alimente toute la région en surchauffe. À l'autre bout du fil, l'employé s'exécutera de bonne grâce sans demander aucune explication. L'incrédulité est suspendue dans la stratosphère.


Le fil rouge avec le fil rouge, le bleu avec le... Meeeerde ! je suis dans un film en noir et blanc !

Mais c'est que ça marche en plus ?!... Bon ben comme ça je sais ce qu'on bouffera ce soir.


Preuve qu'on tient un script ambitieux à défaut d'être solide, Graeff nous réserve encore un dernier rebondissement avec l'arrivée en masse de soucoupes volantes portant leur cargaison de Gargons. Cette invasion sera bien sûr reléguée hors champ mais, à voir les réactions horrifiées des personnages qui scrutent le ciel, on se dit que ce doit être assez impressionnant. Après avoir appris qui est son père, Derek parviendra à anéantir la flotte au prix d'un sacrifice un peu idiot qui laisse planer comme un doute sur la supposée intelligence supérieure des extraterrestres. La Terre l'a encore une fois échappé belle et nous pouvons dormir tranquille, mais watch the sky et remember Derek quand même, merci pour lui.


Chérie ! Vite, rentrons le linge je crois qu'il va pleuvoir !


La morale du film laisse cependant perplexe. Ainsi, je ne pense pas que Graeff ait voulu nous alerter des risques que court notre peuple à se montrer trop accueillant. Nous inciter à la méfiance collective, ce serait en effet nous faire sombrer dans une société déshumanisée, celle-là même que rejetait Derek. Ne faut-il pas plutôt y voir le constat désespéré d'un homme qui voudrait n'être que paix et amour mais qui sait que ces valeurs ne pourront jamais trouver leur place dans notre monde moderne ? Certains exégètes estiment quant à eux que le réalisateur a surtout voulu pousser un cri d'alarme pour dénoncer les odieux traitements subis par certains crustacés, encourageant les spectateurs à se faire végétaliens et annonçant déjà la lutte contre les OGM.
Tom Graeff était un visionnaire et Teenagers from outer space est son testament.


Si Graeff savait que son oeuvre donne aujourd'hui lieu à des goodies... Notez la pittoresque présence du squelette.



- Max Schreck -
Moyenne : 2.75 / 5
Max Schreck
NOTE
3.5/ 5
Jack Tillman
NOTE
2/ 5

Cote de rareté - 2/ Trouvable

Barème de notation
Le film est tombé dans le domaine public et a donc bénéficié de multiples éditions, notamment dans des coffrets bon marché compilant diverses séries Z par paquets de cinq, dix, voire cinquante ou cent (attention aux versions colorisées, forcément immondes).









En France, nos amis de chez "Bach Films" en ont livré une édition dans une qualité étonnamment correcte, proposant VF et VO. Le titre choisi se permet même de localiser la planète d'origine de nos amis extraterrestres. Il existe couplé avec un autre film de la même époque, "Des femmes pour Mars", assez croquignolet lui aussi dans son genre.



Il est également téléchargeable gratuitement et légalement sur le net (voir les liens utiles sous la fiche technique).