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Galgameth, l'apprenti dragon

(1ère publication de cette chronique : 2018)
Galgameth, l'apprenti dragon

Titre original : Galgameth, l'apprenti dragon

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :Sean McNamara

Année : 1996

Nationalité : Etats-Unis

Durée : 1h50

Genre : Bébête gloutonne deviendra grande

Acteurs principaux :Devin Oatway, Sean McNamara, Stephen Macht, Lou Wagner, Elizabeth Cheap

Art Pas Net
NOTE
3/ 5

Nous sommes heureux cette année d'ouvrir nos colonnes à quelques plumes amies amoureuses du cinéma sous toutes ses formes. Des gens à suivre qui gravitent dans le petit monde de la cinéphilie et qui peuvent eux aussi avoir leurs plaisirs coupables de cœur. Nous prenons les armes en compagnie d'Art Pas Net, cinéphile compulsive et grande promotrice du Cinéma Coréen en France, travaillant notamment pour le Festival International du Cinéma Asiatique de Vesoul qui nous présente avec tendresse les aventures de Galgameth, petit dragon maladroit qui a bercé l'enfance de certains de nos lecteurs...



Il est de ces légendes, où une figure iconique se perpétue de génération en génération, voire d’une culture à une autre, et traverse ainsi non seulement les âges, mais également les mers… Représentez-vous donc un « monstre » ayant imprégné l’imaginaire collectif japonais, puis celui des Coréens jusqu’à se propager au-delà du Pacifique aux Etats-unis, voire s’ancrer au fin fond d’une campagne roumaine… Telle fut la destinée de Galgameth, impopulaire successeur de "Godzilla" et de "Bulgasari"…



S’il est l’un des rejetons le plus malaimé des monstres géants, cela n’est pas faute d’avoir été conçu avec et dans l’amour par un artiste prolifique et protéiforme, feu le sud-coréen SHIN Sang-ok, réalisateur maudit à la vie épique, ayant dû faire face à maintes péripéties tant comme créateur qu’homme ordinaire. Sa propre vie aurait été digne d’une série TV que l’on aurait suivie avec assiduité au fil des épisodes.
Car oui Galgameth, c’est de l’Amour avec un grand A et des grands sentiments, certes dégoulinants pour le public adulte, mais dans l’esprit de SHIN cela devait refléter tous ses espoirs en l’Humanité, grâce à ce monstre géant : un jeune prince combattant envers et contre tout pour défendre les valeurs inculquées par son père, forcément brave, juste et aimant, reconquérir son royaume sous le joug d’un vilain très vilain, sauver la veuve et l’orphelin lovaniens à qui il était promis indépendance et autonomie par son défunt père, et surtout faire accepter Galgameth, dont les proportions grandissantes au fur et à mesure du film et à l’appétit exponentiel pour le métal délivre par là une ode pacifiste, anti-guerre au public, et à tous les figurants roumains s’agitant devant les différents costumes de la créature…


Hérité de la mythologie japonaise, sous la forme d’un dévoreur de rêves et de cauchemars, les Coréens ont assimilé le monstre Baku à leurs propres croyances, que SHIN exploita en film de genre à grands frais pour le Juché nord-coréen KIM Jong-il sous le nom de "Bulgasari" (???) en 1985. Ce monstre fut créé sous la forme d’un artefact par la solide main d’un forgeron nord-coréen vigoureux et prit vie grâce au feu de son créateur, propageant ainsi catastrophes et cataclysmes en grandissant, tout en mangeant des métaux sous diverses formes. Le premier public nord-coréen aurait dû trembler de peur face à cette bête, mais beaucoup de scènes tournées cautionnaient la sympathie générée pour ce monstre par moults gags, dont leur portée comique pouvait être ressentie à son détriment, et pas forcément pour sa finalité première.

Après s’être extirpé via une prétendue fuite d’Europe pour échapper au régime totalitaire nord-coréen, SHIN s’installa aux Etats-unis en 1986 sous le nom de Simon Sheen. Il avait gardé en tête cette histoire qu’il voulut porter à l’écran une seconde fois. Fidèle à son tempérament d’aller toujours de l’avant, et de ne jamais s’attarder sur le passé, il embrassa le fantasme de l’American dream en continuant à se coiffer de plusieurs casquettes pour de nombreux projets à Hollywood, dont celui de Galgameth en soumettant cette histoire à une équipe nord-américaine.

Ce type de figure chimérique, se retrouvant en fait dans de nombreuses civilisations, comme le Golem, fut utilisé pour être vu par le plus grand nombre, et notamment le jeune public, afin de sensibiliser ce dernier aux thèmes favoris de SHIN : la bravoure, la dignité, la persévérance, la confiance (en soi), la bienveillance et l’entraide. En grand humaniste qu’il fut, son histoire devait véhiculer cet espoir, mais devait adapter ce récit à une audience occidentale. Il travailla sur un premier brouillon, puis collabora longuement notamment avec le scénariste Michael Angeli pour affiner son ancrage initiatique avec les codes compris par un public occidental, tels que la chevalerie et une pincée de Shakespeare, dont il était un grand passionné pour l’extraordinaire destin de ses héros.

Galgameth : engeance bâtarde entre Casimir et une tortue ninja.


Si bien que l’on se retrouve avec un produit culturellement mixte, avec des références éparses et l’obligation de ratisser large, et malgré de bonnes intentions le résultat n’est pas des plus heureux. Ce qui fait de cette production un somptueux nanar est le déséquilibre permanent entre l’ambition louable d’origine, une mise en scène peu inspirée, une production chaotique malgré un budget décent et un film peu convaincant sur son argument essentiel : Galgameth, le gentil monstre du prince Davin.

C’est d’autant plus accablant que le film, qui porte le nom du monstre, capitalise tout sur ce phénomène. Contrastant fortement avec une production design globalement faste - avec ses jolis lieux de tournage en Roumanie, ses décors grandioses, ses accessoires minutieux, ses perruques bien peignées, et le nombre conséquent d’acteurs et de figurants présents - Galgameth débarque et éclabousse l’écran de toute sa laideur caoutchouteuse.


Lorsque Galgameth, petite bestiole gloutonne, surgit des draps du prince Davin, les parents un tant soit peu perspicaces devinent qu’ils vont déguster…


Après avoir installé le récit, au bout d’une quinzaine de minutes, le prince Davin et nous faisons donc connaissance avec Galgameth, dont le costume en petite version avec un comédien nain dedans laisse bien apparaître les coutures et les lacets. De même pour les effets spéciaux incrustant Galgameth dans des plans d’ensemble ou des gros plans, ces derniers ne sont pas des plus réussis, tant on remarque l’incrustation elle-même.






En 1996, le niveau atteint par les effets spéciaux dans d’autres films utilisant à foison les mêmes techniques ("Dragon heart", "Pinocchio", "Independance Day", "Mars Attacks", "La Course au jouet"...) était autrement plus réaliste. La production ne pouvait être de qualité égale, faute de moyens sur ce type de postes avec une équipe américaine et roumaine, partageant pourtant leur expertise, mais assujettie à des délais compliqués dûs au développement des pellicules spécifiques aux séquences avec effets spéciaux.
Il en va aussi de la caractérisation propre de Galgameth : afin de forcer la sympathie du jeune public pour cette bébête, le spectateur se voit gratifié de mimiques ubuesques, d’une gestuelle farfelue en version miniature et empotée en version géante, avec force grognements et situations plus navrantes que cocasses.






Le comique de répétition est lourdement sollicité car Galgameth est attiré par les métaux et ne peut s’empêcher de les croquer, une marotte que le prince Davin et les Lovaniens tentent de satisfaire autant que possible.






Le réalisateur Sean McNamara, tenant également le rôle du vertueux roi Henryk, a employé une direction d’acteurs lourdaude, et chaque protagoniste joue de façon caricaturale pour signifier au jeune public le panel d’émotions qu’il est censé transmettre en forçant alors le trait, et cela donne malencontreusement sur grand écran des expressions grotesques et exagérées, provoquant le sourire blasé du parent se demandant ce qu’il fait là.












Galgameth est aussi fin et subtil que ses bourrelets dodus…


Par ailleurs, Sean McNamara ayant souhaité encore plus occidentaliser le film, bien qu’il ait été d’accord avec SHIN sur l’histoire globale, se devait de traiter de façon poussive et dégrossie, comme bon nombre de productions américaines explicites. Cela se comprend par le fait que la culture coréenne de SHIN, plus homogène avec ses pairs, ne nécessitait pas d’herméneutique, alors qu’aux Etats-unis la perception de la temporalité était totalement différente et l’éventail des émotions devait être constamment détaillé avec beaucoup d’insistance. Ainsi, le passage de l’idée initiale à la réalisation finale ne restitue pas non plus l’épopée romanesque imaginée par SHIN, toutes les étapes obligées du conte cousu de fil blanc sont donc au rendez-vous : la filiation forte entre le roi Henryk et le prince Davin, où règnent respect et générosité, est brisée par un coup du sort tragique…






…fomenté par El El, le méchant ne pouvant être que méchant car il est siamois de son chat, c’est bien connu tous les affreux le sont parce qu’ils sont affublés d’un chat !






Avec le regard sournois et machiavélique, bien entendu, que le cadrage appuie si l’on n’avait pas bien compris qu’il est le félon ultime…






L’apprentissage vers la révélation de soi passant par la confrontation avec l’altérité, grâce au facétieux Galgameth, la vaillante Periel (unique figure féminine) ou les Lovaniens luttant pour leur émancipation. Je vous passe les autres étapes pressenties des épreuves à relever, de la romance hétéro-normée, du sacrifice inéluctable, etc. pour garder un peu de surprise, au cas où vous n’auriez pas anticipé l’issue tant attendue… Galgameth s’enfonce alors peu à peu dans le sentier maintes fois rebattu par ses petons pachydermiques…


Ce qui reste réellement intéressant est plutôt la confusion des genres de Galgameth, un gloubi-boulga de récit moyenâgeux épique, d’aventures et d’heroic-fantasy qui aurait du être regardé par des moins de 12 ans seuls, ces derniers ayant totalement adhéré au personnage de Galgameth et au parcours du prince Davin lors de focus group. Mais du fait de scènes étonnamment dures avec des sévices et des punitions, une représentation de la mort et de la souffrance quasi frontales, le film fut marqué d’un Parental Guidance, qui n’était pas ce qu’aurait voulu SHIN au départ. A ce niveau, il y eut un grand écart non souhaité, et une œuvre éloignée de la vision de son auteur.




De plus, il faut se rappeler que le tournage de 6 mois a été effectué en Roumanie dans un contexte très particulier début 1996. En pleine transition démocratique suite à la glasnost et la perestroïka mis en place par Gorbatchev, après la chute du mur de Berlin en 1989, puis l’exécution du président Ceaucescu s’accrochant au communisme le plus totalitaire. Les institutions roumaines de l’époque étaient en pleine mutation, et beaucoup de structures publiques se privatisèrent rapidement. Cela a de la sorte impacté l’ensemble de l’industrie cinématographique du pays. L’équipe nordaméricaine de production avait signé un accord avec Bucharest Studios fournissant ainsi une partie de talentueux techniciens roumains : Cristian Baicoianu ayant ainsi recommandé comme lieux de tournage Bucarest et Zarnesti, Ioana Corciova au production design, Mihai Dinu à la direction artistique, Doina Levinta aux costumes… avec qui Sean McNamara s’entretint pour définir le ton, le look and feel, le message à délivrer. La sensibilité toute européenne et slave des experts a infusé et a imprégné sans conteste d’un aspect médiéval des plus véraces le film, donnant par là un cachet des plus agréables, l’atout primordial restant à mes yeux de ce nanar.

A noter, la présence de Doug Jones que l’on ne reconnait presque jamais puisqu’il fut celui qui endossa le costume du grand Galgameth avec la perspective forcée pour le rendre géant, prête régulièrement sa silhouette longiligne aux personnages de Guillermo Del Toro ("Mimic", "Hellboy", "le Labyrinthe de Pan", "Crimson Peak", et prochainement "la Forme de l'eau"). Galgameth, film mésestimé ne démérite toutefois pas pour son grand spectacle familial, à voir absolument avec des enfants pour conserver un peu de candeur dans le rire que vous ne pourrez réprimer à certains moments. Je lui mettrai même un 3 étoiles car à part des jeux caricaturaux, une histoire cousue de fil blanc & un Galgy moche, le reste est de bonne facture. Ne boudons pas notre plaisir, c'est que je l'aime bien aussi Galgameth !

- Art Pas Net -

Cote de rareté - 2/ Trouvable

Barème de notation
Le film est sorti très vite chez nous en DVD dans la collection "M6 Kid". Une édition hélas basique avec juste un pauvre choix V.O./V.F. pour tout bonus. Dommage...