Recherche...

Dans les Griffes de l'Aigle

(1ère publication de cette chronique : 2008)
Dans les Griffes de l'Aigle

Titre original :Talons of the Eagle

Titre(s) alternatif(s) :Talon de l'aigle

Réalisateur(s) :Michael Kennedy

Année : 1992

Nationalité : Canada

Durée : 1h31

Genre : Do you speak English ?

Acteurs principaux :Matthias Hues, Billy Blanks, Jalal Merhi, Eric Lee, James Hong, Master Pan Qing Fu

John Nada
NOTE
1.5/ 5

Inondant de leurs couleurs outrageusement criardes l'œil hagard du chaland quand il plonge ses mains moites dans les bacs de promotions des hypermarchés, les DVD à bas prix continuent de nous ravir aujourd'hui comme les défuntes VHS hier, par leur contenu évidemment, mais aussi par leurs illustrations bigger than life, leurs accroches tapageuses et interchangeables, et leurs résumés bourrés de coquilles et d'approximations syntaxico-grammaticales. Dernier objet en date à avoir su titiller nos fossettes, ce direct-to-video en apparence anodin, avec ses vedettes d'arrière-cour habituelles, en l'occurrence Billy Blanks, Jalal Merhi et Matthias Hues :

Wow, cet aigle symbole d'une Amérique éternelle, libre et triomphante prolongeant un Billy Blanks prêt à en découdre, serrant un poing qu'on devine vengeur judicieusement agrémenté d'une montre ma fois fort jolie, y a pas à dire ça en jette, c'est TALON DE L'AIGLE. Mais, au fait, c'est quoi un talon d'aigle ? Mon Dieu, se pourrait-il que…

Le titre original, « Talons of the Eagle », signifie littéralement « Les serres de l'aigle ». Sauf que l'éditeur « Lazer Films » n'a visiblement jamais eu connaissance de cette information capitale pourtant trouvable dans tous les bons dictionnaires français-anglais et autres traducteurs en ligne. C'est d'autant plus aberrant que le film avait déjà connu une exploitation en France sur support VHS sous le titre ronflant mais potable « Dans les Griffes de l'Aigle ». Le bonnet d'âne pour « Lazer Films » donc, qui mérite bien le titre d'éditeur nanar sur ce coup-là [NdlR : on a appris depuis qu'il s'agissait d'une sous-marque de ces margoulins de Prism !].

Second film de l'acteur-producteur libanais Jalal Merhi après « Dans les Griffes du Tigre » et avant « TC 2000 » ou « L'Oeil du Dragon » (ouééééé, que des chefs-d'œuvre !), « Talon de l'Aigle » tente de faire vibrer les foules avec la folle mission de deux super flics (Billy Blanks et Jalal Merhi), chargés de mettre fin aux agissements d'un redoutable gang de trafiquants de drogue à Toronto, Canada. Pourquoi Toronto, Canada ? D'après le scénario, parce que Toronto est une plaque tournante du trafic de cocaïne. D'après la vraie vie, parce que Jalal s'est établi dans cette ville, qu'il y a fondé sa firme productrice, « Film One Productions », et qu'il touche ainsi des subventions de l'Ontario Film Investment Program pour immortaliser chacun de ses brillants exploits devant la caméra.


L'héroïsme, c'est avant tout une question de sous.

Comme on pouvait s'y attendre, le contenu de « Talon de l'Aigle » ne recèle absolument aucune surprise : réalisation sans grâce, interprétation sans éclat, bastonnades sans originalité… le film ne semble avoir d'autre ambition que celle de copier tant bien que mal l'élite des direct-to-video, le bijoutier-karatéka Jalal Merhi louchant vers ces sommets inaccessibles que devaient représenter pour lui les high kicks de Jean-Claude, les clé de bras de Steven ou même les bourre-pifs patauds de Papy Chuck.


Jalal et son catogan luisant qui, sans doute plus que ses prouesses martiales, lui a valu le surnom immérité de « Steven Seagal de Beyrouth ».

On touche d'ailleurs là au cœur du problème de Jalal : nanti d'un charisme de loukoum, n'étant le champion d'aucun nouvel art martial exotique (ni d'aucun art martial tout court jusqu'à preuve du contraire), le tatanneur libanais, plutôt que de chercher à se différencier de la masse compacte des kickboxers de vidéo-club, se contente de suivre passivement un mouvement dont il vient grossir la queue de cortège, celle où se débattent les sosies malhabiles et les clones boiteux griffant et mordant pour récolter les quelques miettes tombées dans le sillage des grands. Businessman opportuniste ou fan obséquieux, Jalal appartient à la race des copieurs singeant les tics de leurs modèles sans aucune autre plus-value que celle du ridicule.

Malgré tout, la crédibilité au cinéma, ça s'achète : en producteur un minimum lucide, Jalal s'est toujours entouré de vedettes aux patronymes plus vendeurs que le sien, comme Cynthia Rothrock, Bolo Yeung ou Olivier Gruner. C'est ainsi qu'on retrouve ici le septuple champion du monde de karaté Billy Blanks, seul sur la jaquette, comme ce sera à nouveau le cas pour « TC 2000 ». Le reste du casting propose aussi quelques trognes familières, tel Matthias Hues (ici cantonné à son habituel rôle de brute épaisse), le vétéran James Hong, figure récurrente du grand et du petit écran ou encore le « king of kata » Eric Lee (vu entre autre dans « The Master Demon » et « X-Treme Fighter »). Des acteurs limités mais crédibles, qui remplissent honnêtement leur fonction dans le cahier des charges et, par comparaison, ne font que rendre plus ridicules encore les vaines gesticulations d'un Jalal Merhi dont les combats sont quasi-intégralement filmés en champ / contre-champ !


Billy Blanks, authentique champion martial, plus connu outre-Atlantique pour ses méthodes de fitness en VHS dont il a écoulé plusieurs dizaines de millions d'unités, manquant battre le record des ventes détenu par « Titanic ».



Le géant allemand Matthias Hues, ici dans un registre familier.



James Hong, généralement cantonné aux rôles de Chinois de service (ou "ethnic role" comme on dit pudiquement aux Etats-Unis) dans un nombre incalculable de films et séries télé.



Eric Lee, détenteur d'une flopée de titres dans le domaine des arts martiaux et second couteau régulier des petites productions de tabasse.



Jalal Merhi, en quête d'une crédibilité qu'il ne trouvera jamais.

Globalement, le film se déroule en trois temps. La première partie s'apparente à un buddy movie classique articulé autour du duo de flics campé par Billy Blanks et Jalal Merhi, le premier figurant un policier de New York rentre-dedans et le second un agent canadien plus raffiné (si si, il aime Beethoven). On assiste pendant une demi-heure à une enfilade de situations stéréotypées s'enchaînant à un rythme réjouissant. Ainsi, à peine les deux flics ont-ils le temps de se serrer la main à l'aéroport qu'une potiche agressée réclame leur intervention : et le tandem de faire connaissance en poursuivant les gredins !


La bonne vieille recette du buddy movie

Séquence suivante : ils se rendent dans un temple dédié aux arts martiaux pour y rencontrer un grand maître chinois estampillé label rouge. Le temps de lui faire une petite démonstration (15 secondes), celui-ci leur déclare, catégorique : vous n'êtes pas prêts, vous devez apprendre les griffes d'aigle, venez ! Et la séquence suivante d'enchaîner directement sur la traditionnelle phase d'entraînement, avec jogging dans les bois, pompes sur la plage et tutti quanti, puis sur un tournoi d'arts martiaux improvisé dans un entrepôt. Une telle concentration de clichés et de hiatus narratifs en si peu de minutes n'aura pas manqué de ravir votre serviteur, profondément ému par cette simplicité belle et cette force brute propres aux grandes œuvres.


Une séquence d'entraînement où nos deux héros font l'apprentissage d'une technique redoutable : les griffes de l'aigle ! (autrement dit les fameux « talons of the eagle » du titre)



Un vieux maître (Master Pan Qing Fu) qui a la fâcheuse habitude de lorgner du côté de l'objectif de la caméra…



Des progrès fulgurants en seulement quelques jours !






All we need is a montage.

Le second tiers du film, qui voit l'infiltration du gang de trafiquants par notre fringant binôme, accuse malheureusement un petit coup de mou, et il faudra patienter jusqu'à la dernière demi-heure du métrage pour retrouver le rythme alerte du début, avec une succession de gun fight miteux et d'empoignades testostéronées du plus ravissant effet (on notera quand même que si Billy Blanks, Matthias Hues et quelques autres combattent torse nu, histoire d'assurer le quota muscles du film, Jalal Merhi, plus pudique, préfère garder sa chemise).


Alors que Billy Blanks se coltine un Matthias Hues fou furieux dans un combat viril et frais comme les aisselles d'un routier en plein mois d'août…



…Jalal Merhi s'occupe du vieux mafieux chinois armé d'un éventail en sautillant comme une fillette. A chacun son style !

Après avoir présenté ce film comme on décortiquerait une grosse noix creuse (en s'attardant finalement presque autant sur la coquille que sur le contenu, c'est dire), je crois maintenant devoir mieux justifier la présence sur Nanarland de ce cocktail de muscles saillants et d'action motorisée, de spirit des arts martiaux et de totale médiocrité qu'on retrouve finalement dans tant de DTV désespérément ternes et insipides. Qu'est-ce qui vaut à ce « Talon de l'aigle », outre son titre grotesque, le privilège de nicher sur les pages de ce site ? Je dirais que cela tient avant tout à ce qu'il y a peut-être de plus complexe à décrire dans une œuvre : son atmosphère, et je crois que l'on touche ici au concept même du nanar. A force de se faire traumatiser la rétine par les effets spéciaux hallucinants d'un « Robo Vampire » ou d'un « Captain Barbell », de se faire secouer l'encéphale par l'hystérie agressive des nanars turcs ou pakistanais, on finit par apprécier aussi sans trop oser se l'avouer ces produits calibrés, aux intrigues prévisibles de bout en bout, aux cascades plus du tout spectaculaires et aux situations vues et revues qui n'ont pas leur pareil pour flatter l'ego du spectateur, un peu à la façon de ces émissions de télé-réalité mettant en scène des individus pas très malins qu'on adore détester. On pose son cerveau sur l'accoudoir du canapé le temps d'un programme, on affiche un sourire narquois pour faire bonne mesure et on se retrouve à consommer de l'image entre premier degré et cynisme facile, entre affection sincère et snobisme détaché. On tire un plaisir étrange à se sentir en quelque sorte « supérieur » au niveau intellectuel du programme que l'on regarde, mais au final on consomme quand même.


Le quota "érotisme torride" du film (version "douche" pour Jalal et "à même la moquette" pour Billy).




Une master-class "Le cabotinage pour les nuls" avec James Hong.

L'atmosphère de « Talon de l'aigle », c'est un savant mélange entre le semi-amateurisme des productions Eurociné (pour le côté « luxe de pacotille cache-misère » et les scènes de panique riches en figurants hilares) et les standards artistiques ras-le-bitume des téléfilms Hollywood Night (avec ses éclairages bleus nuit pétants, ses ruelles désertes aux bouches d'égout vomissant une épaisse fumée, ses gogo danseuses aux corps éclaboussés de lumière rouge et rose et ses ambiances sonores à base de boîte à rythme et de saxophone pleurnichard). Un film qu'on a finalement plaisir à trouver mauvais, pas par méchanceté, non, juste parce qu'un film un peu meilleur aurait été simplement ennuyeux, et que quand on achète des DVD dans les bacs à promo des hypermarchés, c'est quand même pas non plus en espérant tomber sur un chef-d'œuvre.


La dernière image du film, sur laquelle défile le générique de fin, accompagné d'une chanson rock FM dont le refrain m'a trotté dans la tête pendant quelques jours ("Talons of the eagle, you gotta be strong to survive, talons of the eagle, you gotta fight to stay alive" !). Mention spéciale à la pseudo Tina Turner du pauvre qui seconde admirablement le chanteur avec ses épanchements vocaux aussi aigus qu'éraillés.

- John Nada -

Entretiens

Cote de rareté - 1/ Courant

Barème de notation

En 2022, Talons of the Eagle est ressorti en blu-ray multizones chez le merveilleux éditeur "Vinegar Syndrome", avec un traitement 5 étoiles presque surprenant pour un tel film : nouveau master 4K à partir du négatif 35mm d'origine, en version audio anglaise avec sous-titres anglais, commentaire audio de l'acteur/producteur Jalal Merhi, documentaire making of "Blood, Blades and Blanks" avec des membres de l'équipe du film, bande-annonce d'époque,



Pour voir le film en VF, le DVD de l'éditeur "Lazer Films" (qui cache les margoulins de "Prism") est trouvable sur des sites de vente en ligne et dans les grandes surfaces. Outre son titre traduit par un stagiaire mongolien, son résumé au dos de la jaquette tiré d'un autre film et ses fautes jusque dans le menu, il s'agit évidemment d'une version simple au format 4/3 d'origine avec VF et chapitrage de rigueur.

Ah si, il y a un bonus de taille : un extrait de 9 minutes tiré d'un programme de remise en forme animé par Billy Blanks, en anglais non sous-titré !






Billy Blanks, avisé inventeur de la méthode “Tae Bo: The Future of Fitness”, mélange de taekwondo, de boxe, d'aérobic et de danse.


L'éditeur "Fravidis" a lui aussi ressorti ce film sur support DVD, en conservant le titre original « Talons Of The Eagle » :

Pour les amateurs de vieux objets, le film était également sorti en VHS, sous le titre plus cohérent « Dans les Griffes de l'Aigle », chez l'éditeur "Une Vidéo" (visuel dans le corps de la chronique).


L'édition DVD sortie en Grande-Bretagne.