Recherche...

2 Bidasses et le Général

(1ère publication de cette chronique : 2002)
2 Bidasses et le Général

Titre original :Due Marines e un Generale

Titre(s) alternatif(s) :War Italian Style, Two Marines and a General, 2 Places en Enfer

Réalisateur(s) :Luigi Scattini

Année : 1965

Nationalité : Italie

Durée : 1h41

Genre : Le jour le plus con

Acteurs principaux :Buster Keaton, Franco Franchi, Ciccio Ingrassia, Martha Hyer

Zord
NOTE
2/ 5

 


"Allô Julien Courbet ? Je vous appelle pour vous dénoncer une arnaque dont j'ai été l'innocente victime ! Hein ? Non, non... je n'ai pas 98 ans, et aucun démarcheur à domicile ne m'a forcé la main pour acheter une assurance pré-natale... non, c'est pas ça. En fait, j'étais dans un Cash Converter... vous savez, ces magasins discounts où l'on peut acheter des objets divers pour pas cher et... hein ? Non plus ! Aucun commercial ne m'a pas refourgué un frigo d'occase au prix du neuf. Pour être franc, c'est une histoire de cassette vidéo... Pardon ? Vous voulez savoir s'il s'agissait d'une jaquette anodine qui cachait en fait un porno que j'aurais innocemment fait voir à mes gosses, ce qui aurait eu pour conséquence de les traumatiser à vie ? Euh... non. Enfin, si ! Ça m'est déjà arrivé avec une jaquette intitulée "Salopards Platoon" et, au final, je me suis retrouvé avec un boulard sadomaso appelé "Domination Extrême", heureusement je l'ai refilé à un type louche aux moeurs douteuses - que je ne citerai pas mais qui a de bonnes raisons d'en vouloir à Elton John et Luc Besson - qui n'a pas eu l'air traumatisé du tout... Mais ça, c'est du passé... Non, en fait, pour tout vous dire, j'ai acheté une vidéo dans un Cash Converter, un film de guerre titré "Deux places en enfer" ! A l'origine, j'avais été séduit par la jaquette dessinée qui exhibait trois baroudeurs qu'on pouvait croire sortis d'un album de "Typhon", "Zembla" ou de "Blek Le Roc" et qui semblait pleine de promesses : "Ho ho !" m'étais-je dit, "Qui peuvent bien être ce Frank Franchi et cette Martha Hyer que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam ? Qui sont donc ces grandes vedettes américaines méconnues ? Bah ! Sûrement des contemporains de John Wayne et de Steve McQueen réunis pour un grand film de guerre plein d'action et de rebondissements". Et, l'âme en paix, j'y suis allé de mes deux euros.


Mais, et c'est là qu'intervient l'escroquerie, monsieur Courbet, car, lorsque j'ai visionné la cassette, je n'ai vu ni clone de John Wayne, ni débarquement sur Daytona Beach au milieu des mitrailleuses allemandes. En fait, ce que j'ai vu, c'est deux comiques italiens ringards accumulant les pitreries et un vieux has been du rire américain en train de financer sa pré-retraite. Vous comprenez aisément mon émoi devant ce quasi-vol qualifié, monsieur Courbet ! Alors si vous pouviez demander à votre ami l'avocat chauve de voir s'il peut m'aider dans la procédure judiciaire que je ne manquerai pas d'intenter contre les vendeurs malhonnêtes de ce Cash Conv... Monsieur Courbet ? Monsieur Courbet ? Allô ??? Hein ? Quoi, vous ne pouvez pas rester en ligne parce que vous êtes à court de forfait... heu, mais non... c'est pas possible puisque c'est moi qui suis en train de vous appeler, là et... Monsieur Courbet ? Allô... Allô ???"


Hélas, Julien Courbet ne m'a jamais recontacté. Aussi, pour dénoncer l'arnaque dont je fus victime, il ne me restait plus que Nanarland.com. Un site qui fait se côtoyer Chuck Norris et Doc Savage ne peut que se trouver du côté du Bon Droit, de la Justice, de la Loi, de l'Ordre, de Nicolas Sarkozy et des Braves Gens.



Car, derrière sa jaquette trompeuse, qui promettait une sérieuse ration d'explosions, de rafales, de sang, de tripaille à l'air et d'exécutions sommaires de méchants nazis, se cache en fait l'une des comédies poussives du célèbre tandem italien Franco Franchi et Ciccio Ingrassia, deux comiques siciliens, mythiques en Italie, mais plutôt méconnus au-delà du Piémont. Très prolifiques de l'autre côté des Alpes, leur carrière compte d'innombrables sketchs et plus d'une centaine de films, le plus souvent ensemble, parfois chacun de leur côté. En dépit d'une colossale production (jusqu'à 5 films par an certaines années) et du succès de ceux-ci, Franco et Ciccio, à l'instar des Charlots, de Paul Préboist ou d'Eric et Ramzy en France, illustrent bien un axiome classique du cinéma : à savoir que le comique est probablement le genre qui survit le moins au passage du temps et qu'un film qui faisait rire au premier degré il y a trente ans, fait ricaner aujourd'hui, mais au deuxième.


Durant toute leur longue carrière, Franco et Ciccio se sont attaqués à quasiment tous les genres connus, traités sous l'aspect parodique : le film de gangsters ("Due mafiosi contro Al Capone"), le western ("I due sergenti del General Custer", "Due r-r-ringos nel Texas"...), le film historique ("I due sanculotti", "I due crociati"...), le film d'espionnage ("002 operazione Luna"...) et, dans le cas qui nous intéresse, le film de guerre. Au regard de leurs autres films, la grande force de "Due Marine et un general" n'est pas tant d'être une simple comédie piteuse mais de marquer les débuts de l'internationalisation du dynamique duo et l'exportation des pitreries sur pellicules de Franco et Ciccio vers l'Amérique. Or, pour s'assurer une diffusion maximale au pays de l'Oncle Sam, les producteurs des deux compères ont eu recours à une technique qui, quelques décennies plus tard, fera école au sein de l'industrie du bis italien : faire appel à une vedette américaine has-been (donc pas chère) et la placer en tête d'affiche. Le but de l'esbroufe étant de profiter du peu de notoriété qu'il reste à ladite star dans son pays natal pour assurer un maximum d'entrées en salles. Et pour "Due marines e un generale", les producteurs n'ont pas lésiné à la dépense (enfin, tout est relatif) puisqu'ils ont réussi à alpaguer rien de moins que... Buster Keaton himself !

Certes, contrairement à d'autres acteurs pour qui l'Italie représentait la terre promise des fins de carrières difficiles, Keaton n'a jamais vraiment arrêté de tourner aux Etats-Unis. Malgré tout, en 1965, après un divorce ruineux, un grand passage à vide sur le plan professionnel et de sérieux problèmes d'alcoolisme, Buster n'était plus que l'ombre de la superstar qu'il avait été trente ans plus tôt, à l'époque du "Mécano de la Général", et souffrait déjà du cancer qui devait l'emporter un an plus tard. C'est donc un Keaton vieilli, usé, fatigué qui traîne sa carcasse et sa cirrhose dans ce film. Et ici "l'homme qui ne rit jamais" mérite amplement son surnom, tirant une tronche de six pieds de long, muet de bout en bout et répétant mécaniquement les gags visuels éculés qui firent autrefois son succès. Buster donne ici tout son sens au verbe "cachetonner" et, probablement conscient d'être tombé bien bas, semble faire exprès de saboter ses rares scènes qui pourraient vaguement être drôles au premier degré.

 

Franco et Ciccio soutiennent un Keaton vraiment en bout de course !


Et pourtant les photos d'exploitation ne mettent pas particulièrement en avant le côté le plus distingué du film... Pauvre Buster !

 

D'autant que les scénaristes ne se sont pas vraiment foulés pour créer ses gags : que ce soit le numéro du piano comique, celui de l'armoire aux tiroirs qui s'ouvrent et se referment tout seuls, ou encore celui des objets improbables qu'il tire de sa casquette, tout cela sent le réchauffé et le déjà-vu. Hommage aux sketchs qui firent autrefois sa gloire ou simple exploitation d'un comique plus vraiment dans le coup ? La question reste ouverte. On aurait presque mal au coeur de le voir ainsi se ridiculiser, et on imagine sans peine le staff technique derrière la caméra en train de lui dire "Ma, vas-y, Buster, réfais nous lé coup dou piano ! Hé, Buster, allez, fais nous rire, pronto !" Sentiment de malaise confirmé par la phrase d'un officier de la Wehrmacht à l'égard du personnage de Keaton : "Oui, il fut un grand artiste... autrefois". Un "hommage" qui vaut tous les avis de décès du monde. 



Car, histoire de le ridiculiser encore plus, il se voit ici confier le rôle du Général Von Kassler, le "renard des dunes", officier allemand fortement inspiré de Rommel, mais muet (à l'exception d'une seule réplique, tout à la fin du film), cible numéro un de l'Etat-Major américain et de son subalterne, un méchant SS qui ne supporte pas le mépris qu'affiche Von Kassler pour les thèses nazies (un peu comme Rommel lui-même). Et les deux marines que l'Etat-major envoie pour l'espionner ne sont évidemment autres que Franco et Ciccio.


Martha Hyer (à gauche), était une vraie actrice américaine (et pas une Italienne sous pseudo), qui joua dans quelques gros films ("Comme un torrent", avec Frank Sinatra) et d'autres plus hasardeux (celui-ci) avant d'épouser un patron de studio et de prendre une retraite anticipée.



Aaaaaah, Franco et Ciccio, les Placid et Muzo du cinéma italien ! Les Pipo et Mollo des temps modernes ! Les derniers remugles du comique troupier incarnés. Ceux là même qui feraient passer les Charlots pour des acteurs Tarkovskiens. Si on peut trouver quand même quelques qualités à Ciccio Ingrassia (le moustachu), qui reste sobre dans son numéro d'éternel bougon et de "leader" du duo, il n'existe pas de mots assez forts pour vilipender son comparse, l'insupportable et très navrant Franco Franchi (le pas beau). C'est bien simple : ce type ne parle pas, il hurle ! Il ne bouge pas, il gesticule ! Héritier des pires cabots de la commedia del'arte, sa prestation se résume à une série de grimaces, de roulements d'yeux et de langues tirées, et de jeux de mots-laids ("la convention de Geneviève", pour ne citer que le meilleur), subtilement rehaussés en VF par son doubleur, qui n'est autre que Jacques Balutin.



Toutefois, le nanardeur exigeant attaché à la grande tradition de l'humour italien lourdingue sera un petit peu déçu par leurs performances. Question d'époque, Franco et Ciccio visaient un public essentiellement familial et enfantin : le film manque donc dramatiquement de filles à poils, de pets, de rots, de types en train de déféquer et de toutes ces subtilités qui donnent son caractère unique et inimitable à la sexy comédie italienne de la décennie suivante. Oui, les pitreries de Franchi touchent du doigt la perfection nanarde (à tel point que, sur le tournage, Buster Keaton le comparaît à un singe et lui apportait chaque matin des cacahuètes dans sa loge...), mais nous n'étions pas encore arrivés à l'époque où l'humour transalpin pouvait tout se permettre.



Et le pitch du film dans tout ça ? Bah ! Le pitch du film, vous l'avez déjà en pleine lecture et total spoil au verso de la jaquette qui se trouve au début de la chronique (une aubaine pour les chroniqueurs feignants). Inutile, donc, d'en faire un second résumé puisque l'auteur se fait un plaisir, en 24 petites lignes, de le révéler entièrement du début à la fin. Evidemment, tentant de vendre un film "sérieux" du style "Deux Marines dans l'Enfer de la Deuxième Guerre Mondiale", le rédacteur est obligé de consigner de manière emphatique et guerrière les pantalonnades de Franco et Ciccio, mais au final, il ne trompe personne tant l'intrigue est grotesque et sent le gag moisi à plein pif.


De l'action ! Du suspense ! Des plombiers !


Buster Keaton mourut un an après la sortie de ce film. Franco et Ciccio, après une petite brouille, se séparèrent dans les années 70 et tournèrent d'autres films séparément avant de se retrouver dans les années 80 pour quelques films beaucoup plus sérieux ("Kaos" de Paolo et Vittorio Taviani) et des apparitions télé. Franco Franchi interpréta sans aucun doute son meilleur rôle lors de ses audiences devant le juge Falcone, vu qu'il fut mis en examen par ce dernier lors de l'opération "mains propres" en Italie, à cause de quelques-unes de ses accointances supposées avec la Mafia. L'ayant très mal vécu, il en mourut en 1992. Quant à Ciccio Ingrassia, il continua à tourner seul dans des productions italiennes avant de retrouver Franco au Paradis des comiques ringards en 2003.

Amen.

Merci à "Franco" MrKlaus et "Ciccio" Nikita pour leurs renseignements pour compléter cette chronique.



- Zord -
Moyenne : 2.00 / 5
Zord
NOTE
2/ 5
Nikita
NOTE
B.F./ 5

Cote de rareté - 3/ Rare

Barème de notation



Ces derniers temps, l'Italie est en train de redécouvrir son patrimoine cinématographique honteux, dont le tandem Franco & Ciccio, semble t-il réhabilités par un documentaire sorti en 2004 et intitulé "Come inguaiammo il Cinema Italiano - La vera storia di Franco e Ciccio". Les oeuvres du duo (parfois appelés en France "les 2 Corniauds", un peu comme Abbott et Costello qui furent chez nous surnommés "les 2 nigauds"), connaissent une ressortie DVD dans leur patrie. Pour celui-là, c'est l'éditeur "01" qui nous sort une version toute simple, hélas, uniquement en italien.


En France, nous devrons nous contenter de retrouver soit la rarissime (et martiale) version de "Cine Video Distribution" citée au début de la chronique, soit celle, un peu plus honnête sur la marchandise, de chez "Ciné 7" (voir ci-dessous).


La VHS "Ciné 7", qui ne ment pas quant au contenu du film, et dont le résumé est exactement le même que celui de l'édition "2 places en enfer".


Ah, et M. Courbet demande à Zord d'arrêter de l'appeler tout le temps à propos de cette histoire de jaquette volante, parce que bon...